Qui est Nadia Savtchenko, l’héroïne devenue ennemie et danger public numéro 1 en Ukraine ?

Qui est Nadia Savtchenko, l’héroïne devenue ennemie et danger public numéro 1 en Ukraine ?

Ukrinform
Passer de la personnification de la liberté, telle une Marianne au sein nu sur une barricade ukrainienne, à la réincarnation de l’antechrist en deux ans est un procédé impossible. Pas en Ukraine apparement ...

"Aucun politicien n’est mort sur Maїdan. Je n’ai pas peur, je ne l’ai jamais eu et je ne l'aurai jamais. Se battre, vivre et mourir pour la vérité ne fait jamais peur" .

Placée en détention provisoire sans possibilité de libération sous caution aujourd’hui par un tribunal de Kyiv, dès le lendemain de la levée de son immunité parlementaire, la députée Nadia Savtchenko, doit aujourd’hui affronter l’ire d’une population qui l’avait accueillie en héros il y a moins de deux ans, après une longue captivité en Russie. Une histoire de montagne russe adaptée au voisin ukrainien.

Et si sa jeune carrière politique a toujours été ponctuée de coups d’éclats, de transgressions et de maladresses, ces deux dernières semaines ont vu se dérouler des événements que d’aucun pensait réalisables il y a encore quelques semaines.

La décision prise par le tribunal aujourd’hui est liée à une affaire qui a secoué l’Ukraine le 8 mars dernier, celle de l’arrestation en flagrant délit de préparation d’acte terroriste d’une autre figure de la guerre dans l’est de l’Ukraine, le président de l’ONG « corps des officiers », Volodymyr Rouban, par des membres du SBU à un point de passage sur la ligne de démarcation. Accusé d’avoir cherché à transporter des armes des territoires occupés vers la capitale ukrainienne pour y commettre des attentats de grande envergure et d’être lié aux dirigeant de l’auto-proclammée République de Donetsk, Olexandr Zakharchenko, celui-ci a été placé en détention dès le lendemain de son arrestation.

Ancien négociateur dans les procédures d’échange de prisonnier entre les Républiques séparatistes et les autorités ukrainiennes, et proche de la députée libérale, Rouban avait emmené avec lui Savtchenko lors d’un de ses voyages de l’autre côté de la ligne de démarcation. Cette dernière s’était d’ailleurs portée garant du prévenu lorsque la question de sa remise en liberté sous caution avait été évoquée, avant d’être rejetée.

Ce sont ces liens d’amitié qui ont poussé les enquêteurs des services de sécurités, mandatés dans le cadre de l’enquête contre l’ancien négociateur pour préparation d’actes terroristes, à convoquer Savtchenko pour un interrogatoire.

Et il s’agit là du point de départ de l’affaire qui agite Kyiv aujourd’hui.

Après avoir prétendu se trouver en France, à Strasbourg, pour des raisons professionnelles (elle devait assister à une session “imaginaire” de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ce qui a un temps laissé penser à une fuite), Savtchenko a finalement été entendue par les enquêteurs du SBU le 15 mars, dès son retour en Ukraine. Protégée par son statut de parlementaire, elle en était ressortie libre bien que dans la foulée, le Procureur général de l’Ukraine, Youri Loutsenko, se soit déplacé au Parlement ukrainien pour demander la levée de son immunité et l’accuser d’avoir voulu elle aussi commettre un attentat de grande ampleur, contre l’hémicycle.

Entre cette première demande des autorités judiciaires et le vote de la levée hier, jeudi 22 mars, les Ukrainiens ont assisté à de véritables joutes verbales entre les deux camps, Savtchenko ayant choisi de riposter de manière plus que virulente.

C’est ainsi que, dès la déclaration de Loutsenko devant les parlementaires, l’ancienne prisonnière de guerre a convoqué certains médias pour appeler la population et les militaires au renversement des autorités et à un coup d’état, (ce qui, pour ne rien arranger, est punissable en vertu du code pénal ukrainien), reprochant même au Président Porochenko et à l’Etat-major des forces armées ukrainiennes de s’être allié au Kremlin pour tuer leur propre peuple. Cette stratégie, si stratégie il y avait, n’a pas eu le succès escompté puisque peu de personnes ne lui accordent encore une part de sympathie et il lui est difficile de trouver des soutiens dans un milieu politique qu’elle a côtoyé, mais surtout critiqué, depuis sa remise en liberté.

Car si les actions de Savtchenko, et finalement sa situation, ne choque personne aujourd’hui en Ukraine, c’est parce qu’au cours des deux dernières années, elle s’est fait le chantre de la contestation populaire contre les élites politiques, économiques et les autorités du pays. Au point de perdre tout support et de nombreuses amitiés, comme celles de Porochenko, qui l’avait accueilli et érigé en héroïne nationale avant de se voir critiqué pour son laxisme dans le conflit et la question des prisonniers de guerre, ou de son ancienne alliée politique, Ioulia Timochenko, qui a voulu utiliser son nom et son visage en la plaçant en têtes de liste de son parti lors des dernières présidentielles avant de couper tous les ponts avec son ex-nouvelle protégée :

"Nadia Savtchenko est ma douleur profonde personnelle. Je me souviens comment toute l'Ukraine et les pays démocratiques du monde regardaient avec enthousiasme le véritable Héros de l'Ukraine : quand Nadia a été libérée grâce aux efforts de tous, elle avait devant elle toutes les routes possibles" , disait d'elle son ancienne mentor.

Il y a également eu cette levée de boucliers des parlementaires en 2017, dirigés entre autre par la femme du nouvel “ennemi” de Savtchenko, Iryna Loutsenko, peu habitués à être bousculés et ayant peu appréciés d’être affublé des noms de chèvres et de moutons.

Parce que le style Savtchenko, c’est cela. De la virulence, des coups d’éclat, médiatiquement préparés, des apparitions coup de poing, des phrases coup de sang, à faire pâlir de jalousie un rappeur francilien.

Comme quand elle disait, peu de temps après sa libération et interrogée à propos d’une éventuelle candidature à la présidentielle :

"Si le peuple dit: «Il le faut», le soldat répondra: «Oui». Aucune crainte, aucune hésitation. Et aucune envie. Mais si le peuple le dit, j’irai. Si les élections se tenaient aujourd’hui, je les emporterais, si c’est demain, il faut voir".

Derrière ces vives paroles, selon ses opposants, c’est surtout peu de choses, et la popularité dont elle a jouit les mois qui ont suivi sa libération s’est peu à peu éteinte dans la population à cause de mots mal choisis, d’actes mal perçus, et majoritairement d’actions qui, se voulant révolutionnaires, ont autant fait bouger la société qu’une rafale de vent ne fait vibrer un arbre en haut du Mont Ventoux.

Cette énergie à détruire, ou du moins à essayer, à même poussé une partie de la presse, du peuple, et de la classe politique à se poser la question des raisons de la libération de Savtchenko, y voyant une volonté manifeste du président russe, Vladimir Poutine, d’insérer un “cheval de Troie” dans la classe politique ukrainienne. Et ce ne sont pas ses liens de proximité avec le dirigeant du parti politique “choix ukrainien”, Viktor Medvedtchouk, ami intime et parrain de l’une des filles de Vladimir Poutine, ni ses demandes à la communauté internationale de supprimer les sanctions contre la Russie pour améliorer la situation dans le Donbass ou à pardonner tel un Mandela, louable si cela n’arrivait pas dans un contexte de guerre ouverte, qui vont aider l’ancienne Jeanne d’Arc portée aux nues à échapper à son bûcher populaire :

"Nous allons probablement devoir demander pardon. Non, pas probablement, mais certainement. Il faudra demander pardon, sinon la paix ne s’installera jamais. Il faudra demander pardon à la mère qui a perdu son dernier fils. Peu importe de quel côté du conflit elle se trouve"

Quoi qu’il en soit, il semblerait que les enquêteurs des services de sécurité ukrainiens aient en leur possession plusieurs preuves de son implication dans le projet d’attentat de Volodymyr Rouban, dont une vidéo enregistrée à leur insu.

Cette preuve matérielle fait cependant débat puisque la loi ukrainienne empêche quiconque de filmer sans son accord un élu du peuple et ne pourra donc pas être utilisée contre elle dans le cadre du procès qui va s’ouvrir contre elle.

Selon le politologue Olexiy Minakov, "Les preuves vidéo présentées à la Verkhovna Rada par le procureur général Yuriy Loutsenko contre Nadia Savchenko ne peuvent pas être utilisées en justice. Il y a une interdiction d'utilisation de matériel vidéo contre les membres du parlement et, à ma connaissance, ces preuves ne peuvent pas être utilisées. Dans ce film, montré au Parlement, il y avait Savchenko, mais le prétexte formel était l’arrestation de Ruban. De toute évidence, le procureur utilisera des témoignages et des preuves pour la traduire en justice".

L’utilisation même de la vidéo comme preuve fait débat puisqu’il semble que ces derniers temps, les matériaux audio ou vidéo soient devenus l’arme favorite du SBU et des enquêteurs pour prouver ou tenter de démontrer la culpabilité des Hommes (ou femme dans ce cas) politiques de l’opposition. Il ne faut pas remonter loin pour se rappeler les preuves audio d’un supposé échange entre Mikhail Saakashvili et un ancien leader du parti des régions dans lequel la question d’un coup d’Etat était déjà évoqué. Et c’est justement ce qui questionne une partie de l’opinion. A ce jeu du coup d’Etat, si l’ensemble de l’opposition (réelle ou fantasmée) est expulsée, emprisonnée ou discréditée, les élections présidentielles de 2019 n’auront pas le même visage.

C’est certainement aussi ce sur quoi compte la députée, dont le discours et les actes totalement désordonnés, n’ont jamais réellement apporté de changement mais ont toujours été longuement questionnés et analysés, et lui ont permis, en bien comme en mal, de rester sur le devant de la scène.

Надежда Савченко снимает плакат с надписью
Надежда Савченко снимает плакат с надписью "Свободу Надежде Савченко" с парламентской трибуны / Фото: Владимир Тарасов, Укринформ

Dans tous les cas, l’appel aux armes et au renversement des dirigeants par la force, ne plaide pas en sa faveur et n’aide pas à la croire victime du complot que certains aiment à voir et dénoncer de toutes part, comme lorsqu'elle insistait, au moment de lancer son appel au coup d'Etat le 15 mars dernier : "Aucun politicien n’est mort sur Maїdan. Je n’ai pas peur, et je ne l’ai jamais eu et je ne l'aurais jamais. Se battre, vivre et mourir pour la vérité ne fait jamais peur" .

Et même s’il n’y a pas de fumée sans feu, il y a peu de chances que l’on se retrouve actuellement confrontés au “chemtrails” de la politique ukrainienne. La question sera plus de savoir son degré d’implication dans les actes qui lui sont reprochés, tout autant que la véracité de TOUS les actes qui lui sont reprochés. Et surtout son degré de rationalité et de discernement face à la situation et les choix qu’elle a pu, ou non, avoir fait. C’est ce que tentera d’établir la justice ukrainienne dans les semaines ou les mois à venir.

Mathieu Radoubé


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