Serhiy Nayev, commandant des Forces armées de l’Ukraine
Les « élections » russes sur les territoires occupés ne changeront pas les objectifs des Forces Unies
20.11.2018 16:32

Le mois de novembre, dans le Donbass et dans l’ensemble de l’Ukraine, a été empreint d’anxiété. Les soi-disant élections organisées par les autorités de la Fédération de Russie dans les territoires de l'Ukraine, occupés par des troupes russes, ont influencé la situation sur les lignes de front et les actions des forces associées. Ukrinform en parle avec Serhiy Nayev, lieutenant-général des Forces unies de l’Ukraine. 

LA SITUATION DANS LE DONBASS N’EST PLUS UN « CONFLIT OUBLIÉ »

- Après le 11 novembre, lorsque les soi-disant « élections » ont eu lieu dans les territoires occupés du Donbass, la situation politique a changé. Comment cela a-t-il affecté la situation générale dans les zones de combat du Donbass?

- La veille, et déjà le 11 novembre, nous étions prêts à ce que la situation s’aggrave. Immédiatement avant ces fausses élections, les forces d'occupation russes ont tenté de provoquer et d’augmenter le bombardement de nos positions. À cause de ces bombardements, deux de nos militaires ont été tués. C'est très douloureux. Je tiens à exprimer mes condoléances aux familles des soldats morts. Ce sont des héros, leurs noms sont scellés dans l'histoire de l'Ukraine. Aujourd’hui, des milliers de citoyens, dans les rangs ou en réserve, militaires ou civils, maîtrisent l’agresseur et, de fait, sauvent le pays.

Les forces d'occupation russes et leurs mercenaires paieront un lourd tribut pour chaque attaque contre nos positions.

Nous n'avons pas laissé, impunis, les actes des occupants. Vous pourriez probablement en apprendre davantage sur les résultats de notre réponse dans les communiqués de presse (selon les médias ukrainiens, les Forces unies ont fait subir aux militants pro-russes des pertes considérables - éd).

À chaque bombardement de nos positions, les forces d'occupation russes et leurs mercenaires paieront un lourd tribut, ce qui devrait constituer pour eux une raison de bien réfléchir avant d’ouvrir le feu.

Peut-être, précisément à cause de nos arguments convaincants, la journée du 11 novembre a été relativement calme. Au moins, nous n’avons pas subi de pertes ce jour-là, et c’est déjà une bonne nouvelle.

En ce qui concerne la situation globale, rien n'a changé pour nous. Les soi-disant «élections» dans les territoires occupés des régions de Donetsk et de Louhansk ne changent pas l'essentiel: ces territoires, les territoires souverains de l'Ukraine, restent sous le contrôle de l'agresseur russe. Quelle sorte d'hommes de main l'élite du Kremlin envoie-t-elle et comment construit-elle cette mascarade? C'est une question secondaire, néanmoins, elle mérite notre attention.

Cela peut sembler étrange, mais il y a un moment positif dans ces soi-disant « élections ». La communauté internationale a été, une fois de plus, convaincue que le pouvoir du Kremlin vivait dans un monde virtuel et ne reconnaissait pas un seul point du droit international, ne respectait pas une seule lettre de ses obligations, y compris celles qui étaient inscrites dans les accords de Minsk.

De telles actions de la Fédération de Russie dans les territoires occupés du Donbass, des tentatives incohérentes de «légaliser» leurs hommes de main ou même de les amener à des tribunes d'organisations aussi respectées que l'ONU et l'OSCE, ont eu l'effet inverse. L'ONU, l'OSCE, l'UE, l'OTAN et les dirigeants des principaux États du monde ont déclaré qu'ils ne reconnaissaient pas la légitimité de ces soi-disant «élections», condamnaient les actions de l'occupant et insistaient pour que la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine soient respectées. Comment ce «boomerang» d'élections illégales dans les territoires occupés revient-il encore en Russie? Je pense que nous le verrons dans les prochains jours.

Je voudrais souligner que, récemment, les événements survenus dans le Donbass ne sont plus un « conflit oublié », ils ont attiré une attention considérable de la part de la communauté internationale. Nous avons  reçu les responsables politiques européens et mondiaux et montré la situation sur le terrain et la ligne de contact. Cela prouve que la situation en Ukraine se trouve dans la zone d’attention de nos partenaires européens, américains et mondiaux. Nous pensons que l'agression russe est de plus en plus perçue comme telle. Il ne s'agit pas seulement d'un problème ukrainien, mais  d’une souffrance pour toute la communauté internationale, car les occupants agissent en violation flagrante des normes de sécurité internationales.

LES FORCES UNIES VONT POURSUIVRE LEUR TACTIQUE DE BLOCAGE DE L’OPPOSANT

-Selon les évaluations des politiciens ukrainiens, ces pseudo-élections dans le Donbass constituent un « laissez-passer à la guerre ». Est-ce que cela signifie que la voie diplomatique du règlement de la situation a épuisé son potentiel?

- En tant que militaire, en tant que commandant des forces combinées, je peux vous assurer que nous sommes prêts à tout scénario d’actes ennemis. Nous coordonnons constamment ce travail avec l'état-major général et le commandant en chef des forces armées accorde une attention particulière à ces questions.

À ce stade, nous continuerons la tactique consistant à bloquer l'ennemi. Nous privilégions les moyens de règlement politiques et diplomatiques, précisément pour les raisons qui font que nos citoyens ukrainiens vivent dans les territoires occupés.

L’AGRESSEUR NE POURRA PAS DÉTRUIRE LA FOI DES UKRAINIENS EN LEUR ARMÉE

- Il est à noter que les vagues d'informations se sont récemment intensifiées dans le but de discréditer les Forces armées ukrainiennes. L'un des résultats est la perturbation du projet de campagne de mobilisation à Kyiv et dans d'autres régions de l'Ukraine. Comment cela affecte-t-il l'efficacité au combat et le moral des Forces unies?

- Je répondrai par une seule phrase : aucunement. Les conscrits, les appelés et aussi les officiers de réserve ne sont pas impliqués dans les tâches de la zone d'opérations des Forces unies. Aujourd'hui, ceux qui se trouvent à l’avant-front, ce sont des personnes unies par une seule idée et un seul désir: vaincre l'ennemi et assurer la paix à leur pays. Alors, probablement, c’est ainsi que cela devrait être.

Pour ce qui est de discréditer l’armée ... Je ne vous ouvrirai pas les yeux si je constate que nous subissons tous une agression hybride, soutenue par un puissant organe d’information. L'ennemi tente de détruire notre unité, notre confiance en l'armée. Tout cela est fait dans le seul but d'affaiblir notre capacité de résistance.

Je suis sincèrement désolé pour ces jeunes gens qui, peut-être par manque de sagesse ou d'expérience, ont succombé à de tels tours de propagande. Après tout, refusant de servir dans l'armée, ils refusent de protéger leur pays. Compte tenu des conditions de l'agression armée contre l'Ukraine, ils refusent de protéger leurs propres familles, ne réalisant peut-être pas que par un tel acte, ils abandonnent leurs proches à la merci de l’ennemi. Ces jeunes gens abandonnent littéralement leur avenir dans un pays libre et indépendant.

Le service dans l’armée offre à une personne la possibilité de se former en tant qu'individu, de maîtriser une spécialité qui lui permettra de se réaliser dans sa future vie civile. Encore une fois: les appelés ne sont pas impliqués dans des opérations de combat dans le cadre des Forces unies. Dans les rangs des forces armées, ils acquièrent des compétences militaires très importantes qui leur permettront de rejoindre par la suite la nombreuse réserve militaire qui constitue l’un des fondements de notre capacité de défense. En ce sens, le service militaire en tant que devoir constitutionnel n'est pas une phrase vide de sens.

La défense de la patrie est notre cause commune, celle de tous les citoyens de l'Ukraine. Les Ukrainiens, doivent rester vigilants afin de ne pas, consciemment ou inconsciemment, devenir un instrument entre les mains de l'ennemi.

DANS LES FORCES ARMÉES, C’EST LA TOLÉRANCE ZÉRO POUR L’EMPLOI DE LA FORCE PAR LES COMMANDANTS ENVERS LES SOLDATS

- La presse soulève à nouveau le problème de la violence dans l'armée. Il ne s'agit plus d’oppressions banales, mais du déploiement d’une certaine force par des commandants envers leurs subordonnés. Quelle est votre attitude face à ce problème?

- Il y a une expression : la tolérance zéro. Cela signifie qu'en aucun cas de tels incidents de violence ne peuvent être justifiés, ni réduits au silence.

Il convient de garder à l’esprit que les militaires subissent souvent un stress psychologique et physique supplémentaire. Parfois, on observe des pannes psychologiques. Il est important que, dans de tels cas, les forces armées et la société dans son ensemble respectent cette tolérance zéro et manifestent le rejet total et inconditionnel d'un phénomène aussi honteux que celui des agressions.

Je ne suis pas un enquêteur pour évaluer les faits qui ont été rendus publics dans la presse. Chaque cas, chaque message d'inconduite doit faire l'objet d'une enquête approfondie et d'une évaluation juridique, quels que soient les noms, le mérite antérieur ou le rang dans l'armée.

Il existe une règle très simple à ce sujet au sein des Forces unies. La tolérance zéro. Nous nous battons avec l'ennemi et non les uns avec les autres. Chaque militaire, garde nationale, garde-frontière ou officier de police qui accomplit des tâches dans des domaines de responsabilité attache une grande importance à l'esprit de fraternité militaire. Ce n'est pas pathétique. La sensation d'une épaule fiable à proximité permet aux personnes de surmonter des épreuves très sévères.

LA RÉADAPTATION PSYCHOLOGIQUE DES VÉTÉRANS DOIT ÊTRE UNE COMPOSANTE DE LA POLITIQUE DE L'ÉTAT À LONG TERME

- Aujourd'hui, il existe objectivement un problème de réhabilitation psychologique des anciens combattants. Aux États-Unis, on l'appelait «syndrome post-vietnamien». Quelles conséquences la société peut-elle subir à la suite du «syndrome post-Donbass»?

- Les anciens combattants de cette guerre, eux, comme nerfs de la société, réagissent brusquement à toute injustice. Nous avons déjà eu un exemple dans un passé pas si lointain. L’Afghanistan a été le souvenir de notre génération, celle dont la guerre a causé des souffrances physiques et des traumatismes psychologiques à de nombreuses personnes.

En Ukraine, la situation est différente aujourd'hui. Nous n'essayons pas de conquérir d'autres territoires et dans la lutte contre l'ennemi, nous défendons notre liberté, la liberté de vivre et de respirer. Les Forces unies défendent l'indépendance sur leur propre pays.

Mais ceci reste une guerre. Ici, une personne souffre de pressions physiques et psychologiques très difficiles à supporter dans la vie. C’est pourquoi la question de la réadaptation psychologique devrait faire partie intégrante de la politique sociale à long terme de notre État. Après tout, ce problème va  durer plusieurs décennies et nécessiter une approche systématique et ciblée.

Les conséquences de cette guerre se traduiront par une profonde cicatrice que la société portera encore longtemps après la fin de l'agression russe.

Les vétérans de cette guerre, les jeunes en majorité, comme nerfs de la société, réagissent brusquement à toute injustice. Il est également nécessaire que la société explique que les personnes qui vivent dans un environnement pacifique pourraient mieux comprendre la sensibilité de nos jeunes anciens combattants.

Les conséquences de cette guerre, appelons la, « syndrome Post-Donbass », ou autrement - cela n’a pas d’importance - c’est une cicatrice profonde que la société portera encore longtemps après la fin de l’agression russe. Il n'y a pas de solution universelle pour résoudre ce problème.

Tant que cette guerre non déclarée de la Russie contre l'Ukraine est en cours, les militaires devraient se préoccuper constamment d'eux-mêmes et de leurs familles. Il est clair que nous parlons d'un paquet social décent. Ce n’est pas seulement une question de motivation pour le service militaire. Une personne qui protège aujourd'hui sa patrie avec une arme à la main doit être sûre que l'État se soucie de sa famille et se montre capable de la protéger. Un soldat qui remplit honnêtement son devoir doit être sûr que son dur travail militaire sera toujours respecté dans la société. Cela s'applique à un large éventail de problèmes - conditions de vie décentes et hébergement, éducation, soins médicaux, réhabilitation dans des instituts spécialisés et des centres de villégiature, achat de médicaments, etc.

Par ailleurs, la rééducation physique des militaires qui ont suivi un protocole avancé doit être associée, de manière implicite, à une rééducation psychologique. Nous devrons systématiquement «basculer» la conscience de milliers de personnes de la guerre vers la paix, ceci est un processus qui nécessite sensibilité et tact. Je voudrais que notre société, toute la société, et pas seulement la partie qui se bat dans le Donbass, comprenne cela.

L’ARMÉE UKRAINIENNE TROUVE SA FORCE DANS SON UNITÉ AVEC LE PEUPLE

- Les propagandistes de Poutine reconnaissent publiquement la force de l’armée ukrainienne, ce qui, à leur avis, compliquera toute action violente de la Russie contre l'Ukraine. Comment percevez-vous de telles évaluations concernant, entre autres, votre travail?

- Ceci est une preuve que notre ennemi est conscient de notre force. J'aimerais que les Russes se rendent compte de notre force et de nos motivations. Ensuite, peut-être, le flux de mercenaires et de «vacanciers» dans les territoires occupés du Donbass s'atténuera-t-il un peu. J'aimerais croire que ces personnes seront influencées enfin par leur esprit ou, au moins, par un instinct de survie.

Une autre chose m’inquiète. Ils disent que les puissantes Forces armées de l'Ukraine les empêcheront de conquérir l'Ukraine. C'est-à-dire que le Kremlin ne rejette toujours pas ses plans sanguinaires, et fidèle à son idéologie à l'aide de ses canaux de propagande, il s’adresse à sa propre population comme pour la préparer à la guerre.

C'est très dangereux à la fois pour l'Ukraine et pour le reste du monde civilisé. C’est pourquoi nous ferons tout ce qui est nécessaire pour que les Forces unies soient encore plus vigilantes, mieux entraînées et prêtes à toute provocation des envahisseurs russes. Nous devons juste être forts. Après tout, nous allons devoir aider l'armée russe et ses mercenaires à quitter le territoire ukrainien dans les meilleurs délais.

Notre force n’est pas seulement une arme, une vision stratégique ou une habileté tactique, notre force réside dans le fait que nous luttons pour une cause juste. Non seulement l'armée se bat contre les envahisseurs russes mais tous les Ukrainiens y contribuent. Il est impossible de vaincre tout un peuple. Les Forces unies ne sont que l’avant-garde de ce peuple. C’est la base de notre confiance que la victoire sera la nôtre. Obligatoirement.

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EH

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