L'histoire d'un éclaireur ukrainien grièvement blessé qui est sorti vivant du territoire ennemi

L'histoire d'un éclaireur ukrainien grièvement blessé qui est sorti vivant du territoire ennemi

Ukrinform
Finn racontait son histoire avec tant d'humour et d'esprit comme s’il parlait de l'intrigue d'un western de Tarantino – un western des temps modernes, qui s'est déroulé dans les steppes du Donbass pendant la guerre russo-ukrainienne.

Nous sommes dans un parc verdoyant de l'hôpital du ministère de l'Intérieur. Si un film était tourné sur l'un de ses patients, cette scène serait sous-titrée comme « rééducation post-blessure ». Dans cet endroit, la paix, l'amour et l'attention flottent littéralement dans l'air. Il y a des bancs partout. Il y a beaucoup de femmes autour, jeunes et plus âgées : sœurs, copines, épouses et mères. Chacune rend visite à son homme. Les patients, tous portant des T-shirts verts, sont plus forts d'esprit que beaucoup d'entre nous.

Nous nous asseyons pour parler avec Dmytro Finachyne, alias Finn. Il plaisante, récite une comptine moqueuse sur la Garde nationale, la première force qu'il a rejointe.

Cette fois, nous, les journalistes, parlons très peu. Nous écoutons l'histoire de Dmytro, qui peut être d'un grand intérêt pour toute école de survie et/ou cadets ukrainiens. Par ailleurs, pour ceux qui vivent au milieu de cette guerre, il est utile de se rappeler son coût réel.

COMMENT AZOVCHYK ET MOI AVONS ÉTÉ BLESSÉS IL Y A TROIS SEMAINES

La journée était brûlante. Un de mes doigts pendait juste sur ma main. J'ai essayé de le couper, mais ça n'a pas marché. L'autre bras, blessé par plusieurs éclats d'obus, est devenu incroyablement lourd de la clavicule vers le bas. Quelqu'un a mis un garrot dessus, mais je n'ai pas pu évacuer, donc le garrot n'a pas pu être retiré non plus. J'avais le choix : perdre le bras ou perdre la vie. Alors j'ai réalisé que même si je survivais, mon bras serait amputé. Eh bien, si je survis...

Nous sommes allés en mission pour défricher la zone forestière à proximité de Popasna, plus précisément près de Yakovlivka, pas loin de Soledar. Au début tout était calme. Nous avons traversé des buissons épais, une prairie, une petite colline, puis il y avait une autre zone boisée, et encore des buissons. Nous devions nous déplacer jusqu'à une certaine hauteur, où les forces amies étaient censées se trouver, mais notre groupe avancé s'est heurté à des orcs (troupes russes – NDLR). À ce stade, nous étions encore en bas de la colline, dans ces buissons. Les Russes étaient beaucoup plus nombreux que nous.

Les premiers gars qui sont arrivés là-bas ont pris le fardeau du combat. Ils ont tous été tués, tandis que nous avons également subi des tirs nourris, commencé à battre en retraite et entendu par la radio qu'en raison de tels tirs, l'évacuation était actuellement impossible. Mais les orcs ont ouvert le feu directement sur nos buissons. Alors on a commencé à sortir de là, à genoux. Entre les positions des forces ukrainiennes et la zone forestière, il y a un champ de blé à hauteur de genou d'un kilomètre de long, que nous avons dû traverser.

Au début, nous étions quatre à nous replier : moi, Azovchyk (membre du régiment Azov – NDLR), Socrate (nous faisions partie du bataillon Koulchytsky, mais à cette époque nous étions déjà à la disposition de la 128e brigade d'assaut de montagne), et un gars de l'unité du Donbass.

Alors que nous commencions à peine à sortir de la zone, Azovchyk a été touché. Et j'ai vu une balle atteindre ce gars de l'unité du Donbass. Il y avait une fontaine de sang coulant de son corps là où la balle a fait une sortie… Il s'est juste effondré sans aucun bruit. Il est mort tout de suite.

Ainsi, Azovchyk est blessé et commence à riposter, canardant avec sa mitrailleuse. Je dis : « Ça suffit de tirer, tu t'es fait toucher ? » Il répond : « Je suis un 300 (terme militaire signifiant « blessé au combat » – NDLR) ». Je lui demande s'il peut ramper jusqu'à moi. Alors il le fait, et Socrate aussi. Nous regardons Azovchyk, et nous voyons qu'il a été touché à l'épaule, aux tissus mous, on ne voit même pas de sang.

Je ne comprends toujours pas comment fonctionne ce phénomène. Azovchyk est un grand mec. La balle a pénétré son épaule, a passé quelques centimètres et s'est juste arrêtée.

Socrate rapporte par radio qu'il y a un contact et que nous sommes sous le feu. Je prends le téléphone, vérifie notre position pour voir où nous sommes et où se trouve l'ennemi, puis nous transmettons nos coordonnées. Nos mortiers sont à l’œuvre. Le premier obus frappe la position des orcs et nous entendons de là un vacarme fou, le bruit comme si quelqu'un a blessé un cochon, un rugissement inhumain. Un des orcs a été touché. Alors tout le monde crie, s'agite… Et il hurle juste de folie.

Mais ils nous ont bien eu aussi. Il y en avait tellement là-bas qu'ils nous ont vraiment marteler. Azovchyk ne pouvait plus ramper. Nous enlevons donc son gilet pare-balles, mais pas le casque. Et alors la négociation commence. Azovchyk attrape la trousse de premiers soins, commence à en sortir des trucs et demande : « Finn, prends la chlorhexidine (antiseptique – NDLR), ne la laisse pas ici, et tiens le patch, et ces pilules aussi. » Je réponds : « À quoi bon ? » Il me dit de ne pas laisser tout ça. « Sauve l'appareil de vision nocturne, continue-t-il, après tout, c'est une pièce chère et il est vraiment difficile de l’obtenir de nos jours. »

Les Ukrainiens essaient de ne pas gaspiller leurs médicaments, équipement et uniforme. En général, la première chose que vous êtes censé faire avec un blessé dans un abri tactique est de couper ses vêtements et de voir s'il y a des saignements. Mais j'ai entendu tant de fois dans de telles situations : « N’essaie surtout pas de couper quelque chose... Tu sais combien ça coûte ? Mon pantalon est de 11 000 hryvnias (près de 300 dollars – NDLR). Tout est prévu ici, il y a un velcro sur le côté... Si je suis blessé, ne coupez rien. »

Nous attachons la ceinture sous les aisselles d'Azovchyk, la bouclons, prenons les sangles et commençons à bouger le gars. Alors pendant qu'on le tire, on comprend qu'on est tous déshydratés. De plus, l'adrénaline monte, il fait tellement chaud dehors que c'est presque insupportable.

Nous l'avons donc traîné environ 40 mètres, pendant que les orcs faisaient pleuvoir du feu sur nous. Nous rampions dans le champ de blé. Et il y avait une tranchée antichar que nos gars avaient faite autrefois, mais maintenant les orcs ont pris le contrôle de cette position et nous pilonnaient à partir de là. J'entends nos soldats dire à la radio qu'ils ont un blessé au visage, grièvement blessé, et qu'il a besoin de l'évacuation. Quelqu'un leur dit que c’est impossible car personne ne peut atteindre nos positions au milieu d'un feu dense.

***

Nous tirons Azovchyk sur le dos, allongé parce que sinon nous serons vus. De plus, je ne peux pas lever la tête. Je tiens ma mitraillette, couvrant notre sortie, essayant de contrôler d'une manière ou d'une autre le secteur, essayant de repérer « un singe » là-bas. Et puis je vois qu'une balle a traversé un récepteur et que le ressort s'est envolé. J’ai jeté ma mitraillette et je vois que mon doigt pend sur mon gant tactique. Cette mitraillette était un trophée provenant du peuple « fraternel ». Alors ma main a été touchée. La balle a percé la mitraillette et l'énergie a soufflé tous ses entrailles. Mon doigt de la main droite pendait sur la peau, mais le gant le retenait un peu. En tant que militaire, j'ai capté la situation. Je mets un garrot sur mon bobo et le fixe avec la main gauche. Je vois que c'est un bobo décent, en fait, la balle a même arraché un morceau de ma paume. Nous continuons à tirer Azovchyk. Je ne sais pas combien de temps il faut encore le traîner. J'entends Socrate dire à quelqu'un à la radio : « Finn est blessé, légèrement, a mis un garrot sur son bras droit ».

Et puis je ressens ce bam, juste comme ça, quelque chose heurte mon casque. J'ai eu l'impression qu'un costaud m’a frappé de toutes ses forces avec un marteau sur la tête.

Le coup suivant atteint mon bras gauche et la douleur est féroce. J'essaie de lever le bras. Je peux serrer les doigts, mais il s'avère que je ne peux tout simplement pas bouger mon bras. Je dis : « Je crois que j'ai été touché à l'os du bras ». Au sol, je sens que je m'affaiblis trop rapidement. L'énergie vitale me quitte... Je m’adresse à Socrate : « Mets le garrot parce que je vais crever ».

***

La balle, comme je l'ai appris plus tard, m'a brisé l'os en haut du bras et a traversé mon corps, passant sous la clavicule avant de sortir. La blessure était visible mais personne ne pouvait voir ce qui se passait à l'intérieur.

J'entends Socrate crier à la radio : « Finn est 300, lourd, évacuation nécessaire. Allez, on ne peut plus sortir d'ici tout seuls ».

Alors mes gars essaient de me sortir de là, mais les blessures me font très mal. Azovchyk disait : « Mec, tu hurlais fort là-bas, en nous faisant savoir que tu ne te sentais pas bien ». À un moment donné, je me suis évanoui. Au milieu de cette douleur, je voyais déjà des diapositives passer devant mes yeux. Mon cerveau m'a offert quelques clichés de ma vie d'avant-guerre et des premiers jours de l'invasion.

LE DÉBUT DE L'INVASION RUSSE, OU LA PREMIÈRE BATAILLE EN FÉVRIER 2022, IL Y A QUATRE MOIS

Je me souviens avoir servi dans la Garde nationale à Kyiv, protégeant l'ordre public. Je n’appréciais pas mon service à l’époque, comptant les jours jusqu'à la fin du contrat. Il y avait des rassemblements qui se déroulaient tout le temps dans la rue Bankova (devant le Bureau du président – NDLR). Et là, je pensais pourquoi ils me paient ? Quel est le sens de ma vie ? Je marquais des jours sur le mur. Une semaine passe, et je la raye. Et presque à la fin de mon contrat, je suis allé au terrain d'entraînement de Staré, j'ai rencontré les gars du bataillon Koulchytsky, ils étaient trop cool. Ils se battaient depuis le début de la guerre (en 2014 – NDLR). Ce sont des patriotes vraiment motivés. Juste waouh… À partir de 2018, j'ai été transféré au bataillon Kulchytsky. Un mois s'est écoulé avant que je parte pour mon premier déploiement. Étant une recrue, j'ai été envoyé en deuxième ligne de défense, qui est constituée de fortifications, de capsules en béton, de portes en fer. Il faut surveiller tout ça afin que les habitants ne volent rien pour le profit de la ferraille.

Tout au long de ces trois mois, vous restiez simplement assis dans des champs, regardant des lièvres ou des faisans et en même temps repoussant certains colonels qui venaient inspecter les lieux et vous inscrivaient pour avoir ignoré les champignons sur un tuyau ou un réchaud de campagne. Alors ils ont vu comment j'allais là-bas, assis là dans ce champ de maïs, je ne suis pas devenu un ivrogne, tout allait bien. Donc, ça va, un bon gars apte au travail. Alors ils m'ont pris dans l'équipe.

Mon bataillon était censé se déployer avec la 80e brigade d'assaut aérien alors qu'elle entrait dans Stanytsia Louhanska. C'est-à-dire qu'ils sont un corps militaire plus important que notre unité de la Garde nationale, qui, en conséquence, est tombée sous leur commandement.

Le 23 février, nous sommes arrivés à Popasna. Nous venons pour la rotation des troupes, passons la nuit comme prévu et le 24, nous partons pour Stanytsia Louhanska. Une fois arrivés, nous nous sommes couchés tout de suite. Le lendemain matin, notre commandant arrive, nous disant de nous lever. Des explosions ont secoué des villes à travers l'Ukraine. La guerre a commencé. Nous nous sommes immédiatement préparés et sommes partis.

Cette nuit-là, nous sommes arrivés dans la ville d'Oskol. Il y avait un barrage, des bâtiments administratifs et une station d'épuration. Nous avons été accueillis par un jeune homme qui y travaillait. Juste après le déclenchement de la guerre, il a démissionné et a rejoint une unité de défense territoriale dans sa région, où il a été chargé de garder cette installation. Il dit : « Vous pouvez vous installer dans mon cabanon ». J'entre et vois une inscription sur le mur : « Région de Kharkiv ».

Nous sommes donc arrivés. Et chaque jour, on était prêts à ce que des chars ennemis arrivent, mais ils ne le faisaient pas. Et puis on nous a dit de nous déplacer vers un autre site, pour garder le barrage. Le matin, nous avons mis deux dalles de béton géantes en travers du barrage pour que l'ennemi ne puisse pas passer si facilement. J'ai monté le drone et il a commencé à neiger abondamment. La visibilité est tombée à seulement 200 mètres en pleine tempête de neige. Ensuite, nous entendons ce « Boum ! ». Première explosion, puis vient une autre. C'est un char qui a explosé. Nous y avions planté des mines antichars. Un char et un véhicule de combat d'infanterie explosent.

Alors je continue à faire fonctionner ce drone et je vois que les Russes sont arrivés, venant vers cette route. Je pense: « Cool ». Je fais la mise au point de la caméra, je fais un panoramique le long de la route, et voilà, un énorme convoi, tournant sur la route. Puis je vois un char qui se tient là, avec son canon visant directement notre barrage. Alors je dis aux gars : « Regardez, il vise le barrage, envoyons les coordonnées à notre artillerie, il faut faire quelque chose car ça peut faire vraiment mal ».

Notre artillerie a commencé à utiliser des mortiers. Et, apparemment, cela les a influencés. Ils ont tiré plusieurs coups de feu sur ces dalles de béton, puis ont démoli deux autres bâtiments, la cabane où nous étions restés... À ce moment-là, nous étions debout sur le barrage. Alors je me suis assis, regardant mon viseur et une pensée tournais dans ma tête : « Peut-être que des fantassins essaieront d'avancer ». Un de mes amis regarde la caméra thermique et voit mieux à travers la neige. Mais il n'y a rien, aucune infanterie en vue.

Plusieurs fois, ils nous ont tiré dessus avant de faire brusquement demi-tour et de démarrer. Nous avons pensé : c'est tout ? Ils ont laissé leur matériel derrière eux, deux VCI ont explosé sur des mines, mais ils ont juste abandonné quatre autres, on ne sait pas pourquoi.

L'un de leurs chars, qui a été touché, a continué à tourner au ralenti toute la journée jusqu'à ce qu'il soit à court de carburant.

Alors ils se sont retirés. Apparemment, il a été signalé qu'il y avait des gars sérieux ici, et les troupes russes n'ont pas pu franchir notre obstacle. Mais le lendemain, ils ont commencé à nous marmiter...

Au début, ils ont tiré au moyen de Grad, d'autres lance-roquettes multiples, puis leur avion de combat est arrivé, nous bombardant durement. Oh mon Dieu, il y avait même des bombes de 500 kg là-bas. Alors que nos gars s'abritaient dans l'une des maisons, une bombe est tombée à une centaine de mètres, formant un entonnoir de 20 mètres de profondeur. Les orcs nous hantaient, bombardant la zone. Franchement, je ne m'attendais pas à une telle « attention particulière » envers notre équipe. C'est là que j'ai compris que la guerre pouvait se terminer bien plus tôt que prévu...

… La douleur m'a ramené à la réalité.

SOCRATE A ÉTÉ TUÉ ET IL NE RESTAIT QUE MOI

Les gars n'arrêtaient pas de me tirer vers la sécurité. Azovchyk s'était déjà levé et aidait Socrate à me traîner. Le sang coulait de partout. Nous n'avions pas d'eau sur nous, alors la déshydratation s'est installée. Je m'évanouissais de temps en temps. Ils ont enlevé mon gilet car il s'accrochait à tout sur notre chemin.

Et puis un autre combattant est apparu de nulle part. Je ne peux pas dire à quel bataillon il appartient… J'aimerais vraiment le trouver et lui parler. Il nous a donné de la nalbuphine, un très bon analgésique. Ils m'ont fait une injection. Mais il y a deux faces à cette médaille. D'une part, la douleur venait de s'estomper, mais d'autre part, j'ai commencé à « m'éteindre », m'évanouissant de temps en temps. Souffrant de fièvre, je disais n'importe quoi, comme « code », « jus », « allons creuser des tranchées » et des trucs comme ça.

Je suis tombé dans les pommes. Puis j'ouvre les yeux et je vois Socrate mettre de l'herbe sur mon visage. Je suis juste allongé là comme ça ... Il fait si chaud, ma bouche est sèche, c'est comme le Sahara là-bas. J'ai l'impression que ma langue s'est desséchée et collée au palais. Azovchyk a eu l'idée de mâcher du blé pour en extraire un fluide. Allongé, je mâche donc ce blé, mais il ne m'hydrate pas du tout.

Puis je me suis évanouie à nouveau avant d'ouvrir les yeux et de ne voir que les bottes de quelqu'un. C'était le gars qui nous a rejoint récemment. Il dit : « Socrate est parti en avant et les orcs l’ont croisé. Ils ont tiré. Socrate est mort ».

On m'a dit plus tard que les orcs ont pris sa radio et ont dit : « Votre Socrate n’est plus là. Nous allons tous vous tuer, si nous vous retrouvons ».

Azovchyk a rampé pour chercher un autre chemin et s'est perdu. Et cet autre gars a essayé de continuer à me tirer tout seul. Au début, j'avais un peu de force pour l'aider, poussant mon corps vers l'avant, mais ensuite je me suis trouvé mal. À la fin, ce type a décidé de ramper de l'autre côté. Je demande : « Qu'est-ce que tu fais ? » Il répond : « Je vais trouver un moyen de contourner, par les buissons, de l'autre côté ». Je lui dis : « Mon ami, je n'y arriverai pas, je ne peux pas, je rampe à peine après toi de toute façon ». Et il lance : « Eh bien, continue à ramper tout droit, seul ».

C'est donc là qu'il m'a laissé. Bof, d'accord, tout droit, et j'ai commencé à ramper. Je me rends compte que j'ai peu d'options, en fait.

J'avançais très lentement… Je n'avais pas encore parcouru environ 70 mètres jusqu'à la zone boisée… C'est très compliqué de se relever du sol quand les bras ne fonctionnent pas. J'ai quand même essayé, mais je suis tout de suite tombé par terre.

De temps en temps, je tournais de l'œil, il est donc difficile de dire combien de temps je suis resté inconscient.

LA FORÊT, LE PILOTE RUSSE, OU COMMENT J'AI ENCORE SURVÉCU IL Y A TROIS MOIS

Certains notent que c'est ma riche imagination qui m'a sauvé et d'autres disent qu'elle m'a joué des tours. Peut-être les deux. Dans tous les cas, mon conscient et mon subconscient m'offraient des épisodes du passé, lorsque j'ai été pour la première fois sous le feu d'un avion de guerre ennemi.

C'était le 11 mars, dans la région de Kharkiv, où les Russes ont d'abord avancé avec leurs chars, puis leurs avions ont commencé à bombarder la zone.

Cet avion nous frappait fort, je m'en souviens. Je filais à travers cette forêt comme un lièvre, d’une fosse vers une autre...

Je me souviens le plus de cette attaque à la bombe. On ne peut pas l’oublier. Et puis ce même jour, le 11 mars, l'avion ennemi a été abattu, et 13 jours plus tard, nous avons capturé le pilote de cet avion. Il était là-bas dans la nature pendant 13 jours par temps glacial, alors il s'est gelé les pieds. C'était Serguey Kossik. Il y a beaucoup de ses vidéos « héroïques » sur Internet, tournées en Syrie. Et ici en Ukraine, il s'est gelé les pieds.

Il avait des cartouches d'armes à feu sur lui, une grenade et deux portables à touches. Ses gens l'appelaient pour coordonner son itinéraire, lui disant où aller et quoi faire. Il avait aussi un pot de Nescafé avec du sucre dedans. Il le bouffait pour survivre.

Les habitants locaux ont vu qu'un orc parcourait Oskol, alors les enfants ont couru au QG du bataillon et l’ont dénoncé.

En fait, il y en avait beaucoup qui voulaient tuer le gars. Après tout, il est pilote et a causé beaucoup de chagrin…

Serguey n'était pas là trop longtemps, mais j'ai quand même eu la chance de discuter avec lui. Il a dit qu'on lui avait donné des coordonnées et qu'il venait de lancer des bombes.

Nous avons demandé où il se trouvait le 11 mars et quelles étaient ses cibles ? Il a dit qu'il ne savait pas car il ne visait que des cibles à des coordonnées données. Autrement dit, nous sommes tous des « coordonnées » pour eux, vous et moi ne sommes que des coordonnées et il ne se soucie de rien d'autre, il fait son travail tranquillement, assis dans un cockpit confortable, puis il rentre chez lui, dort paisiblement, et après il se vante d'avoir fait quatre sorties avec les gars, « ahah, nous avons foudroyé ces Ukrainiens ! ».

Il a commencé à saigner, peut-être il était trop nerveux, alors nous lui avons prodigué les premiers soins. Puis ils l'ont chassé. C'était aussi une belle voiture, une Toyota, si je me souviens bien. Bon, ils l'ont mis dans le coffre mais enfin… d’une belle voiture, quand même.

Et j'ai aussi rappelé à quel point notre région de Kharkiv est pro-ukrainienne. Comment les gens nous ont nourris, comment ils ouvraient leurs portes pour nous accueillir. Aussi, à Sloviansk (région de Donetsk – NDLR), les habitants nous donnaient toujours de la nourriture jusqu'à ce que l'aide humanitaire afflue systématiquement.

DES JEUX D'ESPRIT QUI M'ONT AIDÉ À SURVIVRE

C'était l'heure du soir. Alors je rampe, je me repose, puis je rampe de nouveau. Je m’approche de la forêt. Et enfin, je réalise que c'est la forêt d'où nous sommes venus. J'ai juste décalé un peu mon itinéraire sur le côté. Je regarde bien et je reconnais le lieu avec le blé bas d’où nous sommes sortis, et plus loin il y avait le blé plus haut. Soudain, je vois que le mec, qui m'avait quitté, y est également arrivé.

Avant ça, je lui disais tout du long : « Frérot, nous sommes toujours à l'arrière de l'ennemi. Je n’en sortirai pas tout seul, ne me laisse pas ici. Je me sens très mal, je m'évanouis tout le temps, j'ai perdu beaucoup de sang ».

Et il me regarde juste par-dessus son épaule, fait un signe de la main me disant au revoir, et s'éloigne en rampant dans la forêt.

Au début, j'étais choqué. J'ai pensé : « Quel en*ulé ! » Puis je me suis ressaisi : « Va-t’en ! Je vais me débrouiller tout seul ! » Alors j'ai recommencé à ramper. Il rampait sur le ventre comme un serpent, et je ne faisais que suivre ses traces. Je me suis dit : « Ah non, je ne vais pas rester là, je te suis, mec ! »

Et ensuite, j'ai perdu sa trace et je ne savais pas exactement où aller…

J'ai atteint une rivière asséchée. Il restait quelques gorgées d'eau sale dans une empreinte de botte. J'ai tout bu comme si c'était de l'eau bénite. Je l'ai aspiré avec ce limon et, comme dans le film « Astérix et Obélix », je me suis remonté le moral. Je suis donc assis là dans les buissons, sans aucune idée : vers où dois-je bouger, crier à l'aide ou non, peut-être que c'est la zone tenue par l'ennemi...

Et puis ça me frappe : « Merde, c'est probablement la fin ». Je suis allongé là, les yeux fermés, ça va un peu mieux, et je crains seulement que, si je meurs ici et que ces bâtards d'orcs trouvent mon corps, ils l’esquinteront tellement que ma femme et ma mère ne pourront même pas m'enterrer... 

Vous savez, c’est comme les chiens qui s'enfuient de chez eux et meurent quelque part dans les buissons. Je ne veux pas mourir dans les buissons, ce n'est même pas un champ de bataille. C'est comme si je ne méritais pas ça, alors je me suis retrouvé et j'ai recommencé à ramper quelque part. Il faisait déjà nuit dehors. J'ai roupillé un peu. Lorsque j'ai ouvert les yeux, il faisait encore noir. Et c’est parti…

Je regarde et je vois notre voiture derrière les buissons. C'est une Range Rover et trois gars de notre équipe. Je leur dis : « Je suis là ». Et ils restent là sans réagir. Je me dirige vers cette voiture, mais il n'y a en fait aucune voiture là-bas. Tout était dans ma tête. Donc, je me suis allongé, j'ai fait une sieste, puis j'ai ouvert les yeux et j'ai vu une autre voiture, notre véhicule blindé. J'ai vu Portos, un gars vraiment sympa, très positif. Je l'apprécie énormément. Il a 55 ans, déjà démissionnaire, mais est ensuite revenu dans l'armée au cours de la mobilisation. Je m’incline vers lui, et hop, il n’est plus là...

Je délire ou quoi ? J'ai pensé qu’il fallait à nouveau boire un peu plus de cette eau sale, alors j'ai bu de cette vase et je suis remontée en rampant.

J'ai pensé que je devrais prendre un bâton et essayer de me remettre debout. Alors je me suis levé et il faisait noir dans mes yeux, je n'entendais qu'un bruit sourd. J'ai baissé les yeux et j'ai vu une paire de jambes. C'étaient mes jambes. Quand je me suis relevé, je me suis évanoui et j'ai roulé en bas de la colline, causant ainsi un pneumothorax, contusion des deux poumons. Du liquide a commencé à s'accumuler dans mes poumons et mon omoplate gauche s'est fissurée.

Depuis, je respirais comme un chien, souvent et par intermittence.

Je n'ai plus fait une telle erreur, j'ai juste rampé sans essayer de me lever.

Il y avait un autre problème : je gelais.

Vêtu d’une veste militaire trempée de sang, je suis tombée dans le marais. C'était vraiment glacial. La nuit était si froide que de la vapeur sortait de ma bouche.

Alors j'ai continué à me parler à moi-même, à ramper après les voitures que mon esprit me dessinait. J'appelais mes gars qui n’étaient pas là non plus. Il y avait trois voitures que je ne pouvais pas « attraper ». Ce n'est que plus tard que j'ai compris que tout était dans ma tête. Chaque fois, cela semblait si réel.

Je me réveille le matin et je tremble tellement que quelque part au Canada un tremblement de terre est probablement sur le point d'éclater.

Donc, je me suis réveillé et j'ai vu le soleil briller déjà. J'ai rampé vers un pré parce qu'il doit y faire plus chaud, non ? Et puis j'ai réalisé que j'étais déjà de notre côté et que c'était notre forêt. On partait d'ici, et nos gars pouvaient être quelque part dans les parages.

J'ai été blessé à midi, le 23 mai, et c'était le 24, donc un jour s'est écoulé depuis que j'ai commencé à ramper avec un garrot.

J'ai pensé que je devrais m'en sortir vivant. Mais j'ai dû retirer le garrot de mon bras droit. À ce moment-là, j'avais déjà accepté le fait que je perdrais mon bras gauche… Mais je dois absolument sauver mon bras droit.

Je ne suis pas mort de froid simplement parce que, comme un « vieux guerrier sage », je portais des sous-vêtements thermiques chaque fois que je partais en mission la nuit. Le vrai défi était « d'aller aux toilettes ». C'était toute une histoire.

J'ai essayé de déboutonner mon pantalon d'une manière ou d'une autre et cela n'a pas marché. Je ne pouvais plus attendre. Alors j'ai commencé à couper les boutons. Cet uniforme a été fourni par le gouvernement. Il était de très bonne qualité, donc ces boutons ne se détachaient tout simplement pas. De toute façon, avec beaucoup d'efforts, j'ai fait mon truc et je n'ai pas mouillé mes vêtements. Bravo, mec, me dis-je, la vie s'améliore maintenant.

***

C'est donc la deuxième nuit après ma blessure et les moustiques ont commencé à m'embêter, ainsi que le rhume, donc je ne savais plus quoi faire.

De temps en temps, je sentais quelque chose de froid couler sur mon ventre et je me disais, с’était quoi ce truc ? Plus tard, j’ai pigé que c’était une blessure. Je voulais la scotcher, mais je n’ai pas réussi à le faire.

Et toutes ces images sont revenues dans ma tête... Un soldat est sorti. Je dis : « Hé mec, tu as une radio sur toi ? Dis-leur de contacter la 128e et de signaler que Finn est près de chez vous, que je suis blessé et j'ai besoin d'être évacué. Ils savent qui je suis, ils comprendront. Pendant ce temps, je vais juste m'allonger et me reposer ici dans les buissons, dormir au soleil parce qu'il fait si froid ». Il répond : « Bien sûr ».

Je me suis endormi et j'ai même eu chaud. J'ai pensé que c'était génial et nos gars pourraient bientôt arriver. Puis je me suis réveillé, j'ai rampé jusqu'à l'endroit où se tenait ce soldat, mais il n'y avait aucune trace de lui là-bas, rien. C'était juste une autre hallucination.

Je rampe, comme d’hab, dans la brousse et je descends la colline. Je vois que l'herbe y est la plus verte. Je pense qu'il y a peut-être de l'eau là-bas. En fait, il y a vraiment une flaque, une grande. Cependant, elle est couverte de bulles blanches et sent le sulfure d'hydrogène ou quelque chose du genre. Dégueu ! Mais je me suis dit : « C'est quoi ton problème, mec ? » Je souffle cette mousse, prends une gorgée, c'est si froid et si bon...

J'ai pensé : « Où étais-tu avant, ma flaque ? » Alors j'ai beaucoup bu et mon esprit s'est un peu éclairci. J'ai trouvé une bouteille pour recueillir de l'eau. J'ai compris où j'étais, où étaient nos positions. Mais je ne pouvais pas me lever et y aller.

J'ai à peine ouvert cette bouteille, je l'ai serrée entre mes genoux pour l'ouvrir avec mes dents. La collecte de l'eau était mon prochain défi. Le doigt de ma main droite pendait et j’ai une plaie ouverte, mon bras gauche est devenu un terrible fardeau que je voulais aussi juste couper. Et je le ferais, mais je n'avais pas assez de force.

Je prenais mon bras gauche, le mettais devant moi, m'appuyais dessus et sirotais. Une fois que j'en avais assez, je poussais ce bras de côté.

Les moustiques se régalaient de moi, je me suis souvenu que j'avais une moustiquaire dans ma poche pour la mettre sur ma tête. J'ai fouillé dans ma poche, mais je ne pouvais pas la retirer. Finalement, je l'ai sorti, j'ai déchiré le paquet avec mes dents et j'ai mis la chose sur ma tête, de sorte que le problème des moucherons avait disparu.

Je n'ai pas réussi à surmonter le froid glacial. Je me suis rendormi et j'ai eu l'impression d'avoir froid. Je tremblais littéralement. Soudain, j'ai ouvert les yeux et j'ai vu que nos gars étaient arrivés. Ils me disent : « Hé, on t'a apporté du Coca et du thé vert chaud ». Je réponds : « Wow ! Mais d'abord, je dois déplacer ma mitrailleuse PKT à un autre endroit, mais c'est tellement lourd… »

À ce moment-là, je ne pouvais plus plier mon bras gauche, qui était tout enflé et meurtri, devenu un lest monolithique.

J'ai rampé jusqu'à ces gars que je pensais être là, j'ai pris cette PKT dans ma main gauche, comme je l'imaginais, et je l'ai tiré de l'autre côté de la clairière. Alors je l'ai apporté là-bas, je suis revenu et j'ai demandé où était mon thé. Mais ils m'ont dit qu'ils avaient besoin d'une autre PKT.

Et je faisais des va-et-vient, juste pour entendre qu'ils avaient besoin de plus de PKT... Vous vous moquez de moi, les gars ! Je prends une autre mitrailleuse, parce que j'ai tellement envie de mon thé, je rampe là-bas, apporte l'arme et reviens. J'ai donc fait ces bêtises tout au long de ma deuxième nuit dans la nature… Mais ensuite, ces types ont disparu et j'ai réalisé que cette mitrailleuse était en fait mon stupide bras gauche, qui était si lourd.

Plusieurs fois j'ai halluciné : des voitures, des militaires, qui ont promis de venir me chercher et de me faire du thé. Je m’endormais et je me réveillais : pas de voitures, pas de monde. Pourquoi me faites-vous ça, les gars ?...

Ce n'est que plus tard, à l'hôpital, que j'ai compris que grâce à ces jeux d'esprit et à ces exercices physiques, j'avais survécu.

***

Un autre matin est venu. J'ai rampé environ 20 mètres et j'ai perdu connaissance. J'ai essayé d'évaluer mes chances de tronçonner mon bras gauche car c'était un lest qui pourrait entraver ma survie.

Je regarde le doigt de ma main droite, et tout est couvert de terre ensanglantée, il est fourré d’herbe. Le doigt bouge tout seul d'un endroit à l'autre. J’ai pensé qu’il était certainement foutu, alors j'ai pris un couteau, je l'ai mis entre mes genoux et j'ai commencé à scier. Je n'ai ressenti aucune douleur.

Au fur et à mesure que je le coupais, le couteau tombait et je le remettais entre mes genoux… J'ai coupé le doigt d'environ un tiers, puis je n’ai pas pu continuer…

Le matin, j’avais chaud à nouveau. Mais j’ai senti clairement que je ne pouvais plus ramper. Il n'y avait plus d'énergie en moi.

Je restais allongé près de la flaque d'eau, aspirant de l'eau et m'évanouissant à nouveau. J'ai pensé : « Les gars, si vous ne me trouvez pas, c'est tout, il me reste un jour et puis… adieu ».

Et c'était si amer parce que j'ai déjà tellement souffert ici, alors c’était en vain ou quoi ?! En plus, ces maudits bombardements tout le temps, des coups de feu, des obus de mortier alors que je suis allongé là et que les mines claquent « Bam ! Bam ! » et la terre me saupoudre le visage.

Il y avait une autre chose là où j'étais allongé quand j'ai vu un quadricoptère orange voler au-dessus de moi. J'ai pensé qu'ils me cherchaient peut-être. J'ai fait comme les enfants étant sur la neige : j’ai dessiné une sorte d’étoile, en agitant les mains. Ce truc a plané et s'est envolée. J'ai pensé, maintenant, peut-être qu'ils viendraient me chercher. Au lieu de ça, j’ai subi des tirs de mortier mais, Dieu merci, j'ai survécu.

LE 25 MAI

Je restais allongé là, me rappelant tout et me parlant de comment j'ai réussi à m'embarquer dans cette galère.

Je suis un fan des émissions de télévision sur la survie dans la nature. Je les ai tous regardés. Je pensais que je mangerais des sauterelles, des larves de fourmis ou des grenouilles… J'ai trouvé une grenouille dans cette flaque, mais elle était plus petite qu'un ongle, c'était en quelque sorte mauvais de la blesser. Il n'y avait pas de sauterelles ou de fourmis autour, rien du tout dans cet endroit oublié de Dieu.

Et le matin du 25, après ces « missions de transport de mitrailleuses » pendant la nuit, j'ai levé la tête et j'ai vu un groupe de soldats descendre la colline, environ six personnes, portant des fusils. Ma première pensée a été que c'était des orcs. Je me suis allongé sur l'herbe et j'ai cru que je pouvais m'y cacher. Et immédiatement j'ai réalisé que je n'avais pas d'armes sur moi, je ne pouvais rien faire.

Je pensais qu'une fois qu'ils m'auraient trouvé, ils m'interrogeraient sur mes positions, ce que j'ai fait avant, qui je suis en général. Je ne m'en sortirai pas vivant, ils me tueront et je serai ici dans ce champ comme un morceau de viande. Mais pour une raison quelconque, je ne pouvais même pas penser que c'était notre groupe ukrainien.

Je pensais que je me cachais bien. En quelques secondes, j'ai entendu quelqu'un me demander : « Qui es-tu ? » Et je suis allongé, en pensant que je suis un « grand maître du camouflage »...

Le soldat s'approche et demande à nouveau : « Qui es-tu ? » Je dis : « Je suis Dmytro Finachyn. » Il s'approche encore : « Tu es d’où ? » Et je vois qu'il a un camouflage de type ukrainien alors j'ai pensé : « Seigneur, tu m'as entendu ! » Et j'ai failli pleurer en disant : « Je suis de la Garde nationale ». « Et qu'est-ce que tu fais ici si tu es de la Garde nationale, hein ? Vous êtes censé garder quelque chose ou frapper les gens avec une matraque, pas être allongé dans des forêts. Que fais-tu là ? », a-t-il dit.

C'est ainsi que nos gars de l'armée se moquent traditionnellement de la Garde nationale. J’explique : « Nous avons été pris en embuscade alors que nous défrichions la zone, et me voici. » « Est-ce un garrot que tu as mis ? », demande-t-il. « Oui, dis-je, ma main était touchée, il y a une blessure juste ici et mon bras est cassé aussi. » Il m'a demandé combien de temps j'étais là-bas. Et il me semblait que quatre jours s'étaient déjà écoulés. Il s’étonne : « Oh, mec, quatre jours, tu dis ? Frérot, ne t'inquiète pas, nous ne te laisserons pas ici ». À ce moment-là, j'ai déjà compris qu'il s'agissait de vraies personnes. Ces hommes étaient trop réalistes, trop détaillés. Ils disent qu'ils ne me quitteront pas, ils sont de la 80e, maintenant ils me laissent avec un homme, pendant qu'ils vont faire des reconnaissances pour voir d'où j’ai rampé. Les gars reviennent et disent que la voie est libre. Il y a eu une bataille, il y a des armes qui traînent et un corps aussi.

J'ai suggéré que c'était le type qui avait été blessé au visage. Il m'a montré le chevron, mais il n'y avait pas d'indicatif d'appel écrit là-bas. Dans notre groupe, tout le monde avait un indicatif d'appel écrit, contrairement à ceux qui sont arrivés plus tard. Je me suis souvenu que nous avions deux hommes sans indicatif d'appel sur les chevrons. Je lui ai demandé de décrire le mort. Il a dit que son visage était tout bandé et qu'il avait une moustache et des cheveux longs. J'ai compris que c'était ce type Sviat. Il nous a rejoints plus tard, étant arrivé de Kyiv. Il était avec une unité antichar, un opérateur de Javelin. Alors ces types sont revenus pour récupérer les corps de Sviat et de Socrate. Ils m'ont mis dans un sac de couchage et m'ont traîné hors de là. Nous avons eu le temps de discuter pendant qu'ils me portaient. Ce sont des gars formidables, en fait.

Donc, ils me portent, tout va bien. Je pense que j'ai besoin d'un peu de repos alors je ferme les yeux. Un mec, indicatif d'appel Tigre, dit : « Hé, ne meurs pas ! » Je lui réponds que je ne suis pas en train de mourir ou quoi que ce soit : « Je vis déjà dans ces buissons depuis quatre jours, laissez-moi dormir un peu » « Non, non, tu dormiras à l'hôpital », lâche-t-il. D’accord. On continue à plaisanter, ils me portent, envoient un homme en avant, aux positions de la 128e, pour avoir de l'aide pour me porter. Au bout d'un moment, deux gars de ma 128e sortent des buissons. Et ils disent : « C'est Finn, il est vivant ! ». Ce sont Doc et Poliak, je les connais tous les deux car nous faisions partie d'une même équipe (Doc est médecin). Ils pensaient que j'avais été tué. « C'est toi que tout le monde cherche ? », me demandent-ils.

Je réponds : « Je ne sais pas, j'espère que c'est moi, j'aimerais vraiment être ce mec. » Et puis ils ont coupé mon uniforme, s'excusant d'avoir à le faire. Je dis : « Allez-y, tout va bien. » Alors il coupe l'uniforme pour voir mon ventre et je le regarde et vois que tout mon corps est couvert de sang, qui s'est déjà épaissi et ressemble à de la vieille rouille.

Il me met un pansement à l'épaule, puis un pansement compressif, me place sur un brancard, le plus doux, en me recouvrant d'une couverture thermique. Et moi : « Ouais, cool ! ».

Ils étaient encore en train de me panser dans le véhicule d'évacuation sanitaire, et un mec plus âgé m'a dit : « Tu es plus cool que ce type Jouravel... » Il était un éclaireur ukrainien qui essayait de survivre dans la zone ennemie en 2019 après avoir été blessé. Malheureusement, il n'a pas survécu.

Ils m'ont amené à Yakovlivka. C’est de cette localité que nous étions partis au début. Là, j'ai vu Lera, une femme plus âgée avec qui nous nous croisions constamment.

Elle pleure en me parlant : « Mon fils, tu es vivant ! » Je le confirme. Elle se précipite pour me faire monter dans une autre voiture. Nous partons et elle est assise à côté de moi en disant : « Tout ira bien, tiens bon. » Elle tient mon bras sain tout le long. Je lui demande : « Et Socrate ? » « Il n’est plus là », répond-t-elle. Je continue : « Et qu'en est-il d'Azovchyk ? » « Azovchyk est vivant. Ne t’inquiète pas, tout va bien », a-t-elle déclaré. Eh bien, Dieu merci, au moins Azovchyk a réussi, c’est déjà pas mal.  Alors que nous roulons, j'entends des bombardements, tout martèle… C'était en fait un feu nourri. Ils m'ont déplacé dans une autre voiture, puis encore une fois. Je somnolais déjà un peu, l'officier médical en chef du bataillon m'a déjà mis une perfusion. Il savait que j'avais un pneumothorax alors il a mis une aiguille de décompression dans mon poumon gauche, me demandant si cela facilitait la respiration. Je ne pouvais pas le dire, même si j'étais censé ressentir l'effet tout de suite. Le poumon était censé être rempli d'air car tout était sorti. Puis mes gars, Kotyara et Bagram, m'ont vu et ont sauté à bord. Bagram a pris son téléphone et a passé un appel, en mettant le haut-parleur : « Parle, c'est ta femme. » C'était dur de l'entendre sangloter. Au début, je lui disais quelque chose, mais elle ne cessait pas de pleurer. Honnêtement, je ne peux pas imaginer ce qu'elle a traversé, ce qu'on lui a dit. Ils disent que j'ai déjà été enterré trois fois, deux fois j'ai été déclaré mort, puis le statut a été inversé, puis encore la même chose. Alors elle pleure, je pleure, et je vois Bagram enlever son chapeau pour me couvrir afin que personne ne puisse me voir pleurer. Ensuite, il appelle ma mère, je dis à maman que tout va bien. Que puis-je dire d'autre ? Je peux à peine parler, plus d'énergie, rien. Je lui ai juste dit que j'étais vivant et qu’on m’emmenait à l'hôpital. Je me souviens déjà de l'étape suivante, quand Bagram se tenait devant moi à l'hôpital en disant : « Tu n'as plus de bras. » Je m'en doutais. Je reprends mes esprits à Kramatorsk, où j'ai été transféré de Bakhmout. Je suis allongé dans une chambre d'hôpital, avec des cathéters, un drainage du poumon droit, du liquide qui sort. Rien ne fait mal, j'ai remué un peu et j'ai demandé de l'eau à une infirmière, alors elle m'a mis un tube. Après une nuit dans cet hôpital, ils m'ont dit qu'ils m'emmenaient à Dnipro. Le 25 mai, j'ai été évacué. Mon bras et mon doigt ont été amputés à Bakhmout. Du 25 au 26, j'ai passé la nuit à Kramatorsk. De là, j'ai été transporté à Dnipro, à l'hôpital Mechnikov. J'ai entendu dire que c'était un super endroit. Une fois qu'ils m'ont amené là-bas, les médecins m'ont entouré comme des fourmis. Ils vérifient mon cardio, font une radiographie et enlèvent le bandage. Et je pouvais sentir que mon bras puait avant même qu'ils aient enlevé tous les pansements. Le médecin l'a regardé et a dit que c'était une gangrène gazeuse, alors ils devaient faire de nouveau une amputation.

Puis je me suis réveillé aux soins intensifs, où on me préparait pour une opération. J'ai été très surpris, tout y était si neuf et moderne. Tout était super bien fait. L'infirmière est venue me parler. C'est une déplacée interne qui a fui une zone de conflit et a trouvé un emploi à l'hôpital, ajoutant que sa fille y travaillait également. On m'a apporté du thé chaud et je me suis souvenu de mes hallucinations : « Ils ne me l'ont pas donné à l'époque, mais maintenant je vais sûrement l'avoir. » Puis mes gars se sont précipités, apportant des fraises et des bananes. Je dis : « C'est parfait les gars, mais comment je suis censé les manger ? » Je suis tout emmitouflé comme Frankenstein ou une momie.

La nouvelle amputation a été effectuée le même soir, alors ils m'ont ramené aux soins intensifs. Et le matin, ils m'ont préparé une sorte de table de lit, alors je me suis assis pour manger de la bouillie, en mettant une cuillère entre deux doigts, le petit et l’annulaire.

Et puis je regarde autour de moi et je vois ma mère, ma femme et mon oncle se tenir là, en sanglotant. Mon oncle demande : « Pourquoi n'es-tu pas allongé ? » Je leur dis : « Pourquoi devrais-je être ? » Et il reprend : « Je pensais que nous viendrions ici et que nous verrions de la gelée allongée sur un lit et pleurant dans un oreiller. Mais tu manges, tu as déjà appris à le faire sans ton doigt... » Je réponds : « Ça va, pourquoi pleurer ? Si je mourais, tu pleurerais, oui, mais je suis vivant, tu vois. » C'était moi qui leur offrais un soutien moral. Mon oncle, le frère cadet de ma mère, il est très pessimiste, donc il dit : « Mec, ne t’écroule pas, tiens bon. » Et je réponds : « Serguiy, ne t’écroule pas, tiens bon … »

ÉPILOGUE

J'ai toujours voulu rejoindre l'armée. Et je savais aussi que si je survivais, je ne quitterais pas l'armée. Je suis diplômé de l'Académie du Ministère de l'Intérieur. Eh bien, je devais passer mes examens finaux en mars. Puis, le 23 mars, le jour de mon anniversaire, alors que nous étions en train de faire un barbecue, j'ai reçu un texto disant : « Selon le décret présidentiel, en raison de la loi martiale, tous les examens finaux seront considérés comme réussis sur la base des résultats des tests précédents. » Et voilà, c’est ainsi que j'ai passé mes examens.

C’est tout maintenant, ma carrière d'officier et celle de combattant sérieux sont terminées. Je vais devoir démissionner pour des raisons de santé. Je ne pourrai plus utiliser d'armes, même si j’ai une prothèse de pointe. Je serai un fardeau pour mon unité, ce qui est inacceptable. C'est la guerre, donc on n'a pas le temps de s'occuper de moi. Plus tard, si quelqu'un a besoin de moi, je pense que je pourrai me reconvertir dans un autre métier. L'avenir ne peut guère me faire peur car l'essentiel est que j'ai mon aujourd'hui et mon demain.

Oksana Klymontchouk, Lana Samokhvalova, Kyiv

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