Aleksander Kwaśniewski, président de la Pologne de 1995 à 2005
Poutine est le créateur d'une conscience ukrainienne toujours plus forte et éveillée
14.05.2019 17:35

La Pologne a récemment célébré le 15e anniversaire de son adhésion à l'UE. Ukrinform a saisi cette occasion pour interroger l'ancien président polonais, Aleksander Kwaśniewski, sur les avantages que cette étape a représenté pour le pays, sur les perspectives de l'intégration européenne de l'Ukraine et sur ses relations avec la Russie et la Pologne, ainsi que sur les premiers pas que devrait effectuer le nouveau président élu.

- Monsieur le Président, il y a 15 ans la Pologne est devenue membre de l'Union européenne. Comment évaluez-vous cette période d’appartenance de votre pays à l'UE, ce qui a été fait et ce qui n'a pas pu être fait?

- La décision de devenir membre de l'UE a été historique. Notre pays existe depuis plus de mille ans, mais cette décision politique a été l'une des plus importantes. Ces 15 années sont l’histoire d’une réussite, une histoire du développement de l’économie polonaise, des infrastructures, de nos relations avec l’Europe.

Bien sûr, on peut dire que tout n’a pas été réussi, mais il n’y a que très peu de points négatifs. Je me souviens de notre campagne avant le référendum de 2004, à l’époque où les principaux opposants à l'adhésion étaient les villageois et les agriculteurs. Ils affirmaient que les produits européens envahiraient le marché polonais et que les gens ne pourraient plus fabriquer leurs produits. Mais l’inverse s’est produit: la Pologne est aujourd’hui l’un des principaux pays qui exporte beaucoup de produits agricoles vers les pays européens. Et même ceux qui étaient franchement opposés à l'adhésion de la Pologne à l'UE comprennent maintenant que la Communauté a offert à la Pologne de grandes opportunités de développement et des investissements importants, une opportunité pour les jeunes d'étudier dans les meilleures universités d'Europe et une opportunité pour les Polonais de travailler en Occident. Aujourd'hui, plus de 2 millions de Polonais travaillent officiellement dans les pays occidentaux et bénéficient de tous les avantages sociaux. L’histoire de l’adhésion de la Pologne à l’UE est l’histoire d’un succès absolu, et je le souhaite à l’Ukraine.

- Quelle expérience de la Pologne l'Ukraine pourrait-elle utiliser pour suivre son chemin vers l'UE?

- Il est important que l'intégration européenne soit inscrite dans la Constitution de l'Ukraine. Mais cette ligne de la Constitution ne résout pas les problèmes. La préparation est importante, en Occident on appelle cela le «travail à la maison» (homework - ed.). Nous avons commencé le parcours polonais vers l’UE en 1992 et nous l’avons achevé le 1er mai 2004. Et pendant tout ce temps, les dirigeants occidentaux m'ont dit: «Vous devez faire votre «travail à la maison»». Je me suis alors senti comme un élève à l'école. Le Premier ministre espagnol de l'époque, Philippe Gonzalez, m'a alors un jour déclaré: «Si vous faites bien vos devoirs, votre adhésion sera complète et vous bénéficierez de tous ses avantages. Mais si vous faites mal ce travail, vous aurez des problèmes». Par conséquent, je dis à nos amis ukrainiens: l’essentiel maintenant c’est les devoirs. Il est nécessaire de préparer les réformes, le système juridique, les lois, l'économie, la mentalité des personnes, qui doivent être légèrement modifiées. Si vous faites tout cela, l'Ukraine deviendra un membre fort et prospère de l'UE. Je ne pense pas que l’adhésion de l’Ukraine à l’UE soit une perspective indéterminée. Non, nous allons vivre suffisamment longtemps pour voir cela et nous verrons l'Ukraine comme un membre prospère de la Communauté.

- Comment évaluez-vous les perspectives européennes de l'Ukraine dans les conditions de la crise dans l'Union européenne à la suite du Brexit, de la crise migratoire et de l'égoïsme national dans plusieurs pays?

- L'UE traverse actuellement une période difficile de chaos. Mais la Communauté vivra toujours. Malgré le désir de ses collègues russes, elle ne mourra pas, ne se désintégrera pas, mais continuera d'exister à l'avenir.

L'idée principale de l'Union européenne: si nous voulons être l'un des centres d'influence mondiaux au XXIe siècle, nous devons être ensemble. Aucun pays européen aussi fort soit-il, même l'Allemagne, ne peut le faire seul.

Bien entendu, nous survivrons au Brexit et au reste des crises. En chinois, le deuxième sens du mot «crise» est aussi «chance». Je pense que l’Europe qui sortira de cette crise sera plus forte et résoudra tous les problèmes bureaucratiques.

Ce qui est important aujourd’hui est ce que fera l’Ukraine après les élections présidentielles et législatives. Cependant, je pense que le cap de l'intégration européenne va se poursuivre. Je suis un optimiste et je suis convaincu que la question de votre adhésion à l'UE est une perspective proche et non lointaine.

- La Russie va distribuer des passeports aux résidents de la partie occupée du Donbass. Qu'est-ce que cela peut signifier ?

- Je vois cette décision comme une sorte de provocation. Au lieu de donner la possibilité d'un espace de dialogue et de rechercher une certaine compréhension mutuelle dans les jours qui suivront l'élection du président ukrainien, Volodymyr Zelensky recevra en cadeau la pire solution possible. Cela montre les véritables intentions de la Russie à l'égard de l'Ukraine, c'est-à-dire que l'Ukraine devrait être dans la sphère d'influence russe. C’est la politique de Poutine, que nous connaissons depuis de nombreuses années et dont l’apogée a été l’annexion de la Crimée et le soutien, voire la création, du séparatisme à Donetsk et à Louhansk.

Je perçois cette décision très négativement et avec douleur, car j’espérais qu’au Kremlin, à la lumière des élections présidentielles en Ukraine, il y aurait un instant de pause diplomatique typique et un peu de crédibilité quant à un dialogue possible. La décision de délivrer des passeports indique que les Russes ne veulent pas changer de politique à l'égard de l'Ukraine, ce qui constitue un défi pour le nouveau président.

À la lumière de tout cela, l'UE devrait-elle envisager d'étendre les sanctions envers la Russie? Par exemple, le ministre des Affaires étrangères de la Lituanie, Linas Antanas Linkevičius, le suggère.

- Oui, il faudrait sans doute l’envisager. En revanche, comme on le constate, ces sanctions seules, assez importantes de la part de l’UE et des États-Unis, ne refroidissent pas l’enthousiasme de la Russie. Les Russes vont plus loin et la question se pose: que peut-on faire de plus pour que Moscou commence à réfléchir ?

Le problème avec Poutine et son équipe est qu'ils sont convaincus qu'il n'y a pas de peuple ukrainien, un État ukrainien, et qu'il s'agit d'un phénomène artificiel soutenu par des forces extérieures. Et tant que Poutine n’aura pas réalisé que les Ukrainiens sont des Ukrainiens, qu'ils ont leur propre langue, leur propre culture et leur propre identité, il sera difficile de discuter.

J’évalue très négativement la politique du Kremlin à l’égard de l’Ukraine. Je pense qu’elle conduit soit à un gel pluriannuel du conflit, soit aux prochaines phases chaudes de ce conflit. Le monde occidental en la matière devrait montrer sa cohérence, faire pression sur Poutine, tenter de freiner ce type de politique.

- Selon vous, la Russie envisage-t-elle toujours le scénario le plus radical: un élargissement de l'opération militaire en Ukraine?

- Personnellement, je ne le pense pas. Les Russes ont vu que la résistance des Ukrainiens était très forte, en particulier de la part de la jeune génération. C'est un paradoxe, mais dans un sens, Poutine est le créateur de la conscience ukrainienne, qui se réveille de plus en plus forte. La réaction des jeunes Ukrainiens aux événements de Crimée, Donetsk et Louhansk a été très décisive. Je ne pense pas que la Russie veuille se lancer dans une guerre ou un conflit puissant auquel participerait beaucoup de monde et qui conduirait à la création d'un mouvement de résistance. Du point de vue de l'image de la Russie, ce serait un désastre. Bon, après la Russie reste la Russie ...

Cependant, je ne crois pas vraiment à ce scénario. Je pense que la Russie se concentrera davantage sur des éléments hybrides: la guerre de propagande, la déstabilisation de l'Ukraine. Ce sera un scénario plus réaliste.

- Comment évaluez-vous l'élection présidentielle en Ukraine?

- Tout d'abord, ces élections ont été démocratiques, ouvertes et transparentes - et c'est un grand succès pour l'Ukraine.

La victoire de Zelensky est la preuve que tout est possible. Il a raison quand il a dit que quelque chose de similaire pourrait se produire dans les autres républiques post-soviétiques. Pour sa part, il s'agissait d'une récompense pour les autres concernant la transition d'un modèle patriarcal centralisé vers une véritable démocratie et le pouvoir de la société civile. Je pense que c'est un grand succès pour l'Ukraine.

Bien sûr, il faudra voir ce qui va se passer ensuite. Nous avons affaire à un président qui commence tout juste à être un homme politique. Je souhaite le meilleur à Zelensky et je pense qu'il peut réussir.

Tout comme moi, il est devenu président à 41 ans. Par conséquent, dans un sens, je ressens un certain type de parenté avec lui. Certes, mon expérience politique à l'époque était bien plus importante, car j'étais chef d’un parti, député, ministre. Mais aujourd'hui, si j'étais un Ukrainien ou un dirigeant occidental, je donnerais de la crédibilité au nouveau président. Obtenir 73% des voix lors d'élections démocratiques est un succès sans précédent et un énorme capital. Bien sûr, lors d'élections truquées, vous pouvez obtenir tout ce dont vous avez besoin, mais lors d'élections démocratiques, il s'agit d'un mandat très fort!

C'est un grand crédit de confiance, mais d'un autre côté, il y a de grandes attentes faciles à décevoir. Par conséquent, le président Zelensky devrait bien réfléchir à la manière d'utiliser ce mandat pour réformer, renforcer la sécurité de l'Ukraine, aider les citoyens, car ils en ont besoin. Zelensky dirigera un grand pays avec un peuple merveilleux mais difficile à la fois. Personnellement, je lui souhaite du succès et, sans discussion, je lui donne crédibilité et carte blanche pour le début.

- Avez-vous rencontré le président nouvellement élu personnellement?

- Oui, je le connais, je l'ai vu dans différents rôles. J'ai assisté à quelques représentations du «95 Kvartal» et une semaine avant le second tour au forum YES (Yalta European Strategy - ed.) avec l'ancien Premier ministre de Suède Carl Bildt, l'ancien secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, l'ancien président du Parlement européen Pat Cox, j’ai rencontré Volodymyr Zelensky  et ses conseillers.

Ҫa a été une rencontre très intéressante, qui a montré que tout ce que disent les opposants à propos de Zelensky est une exagération ou un mensonge. Nous avons rencontré une personne jeune, énergique et intelligente, qui connaît très bien la politique et qui a des réponses absolument rationnelles dans les affaires des accords de Minsk, des relations avec la Russie, l'Occident, etc. Après cette réunion, non seulement à moi, mais à tous mes camarades, il nous a laissé une très bonne impression.

- Si Zelensky vous demande de lui donner des conseils ou de devenir son conseiller, accepterez-vous?

- C’est naturel, puisque je suis avec vous depuis le début de l'indépendance de l'Ukraine. J'ai déjà conseillé, négocié et à certains moments j’ai été une personne influente, par exemple lors de la Révolution orange. Je suis attaché à l'Ukraine, je crois en son avenir et je suis convaincu que vous disposez d’un grand potentiel dont vous et toute l'Europe ont besoin. Par conséquent, je ferais pour vous tout ce que je pourrais.

Maintenant, le point essentiel pour l'Ukraine: si l'Ukraine utilise ce temps et la crédibilité considérable de Zelensky afin d'aller plus loin sur la voie européenne, cela peut vraiment arriver. De plus, en Europe, en particulier après le Brexit, il faudra obtenir des succès et montrer que nous ne sommes pas en stagnation, mais en développement. L’Ukraine sera la meilleure preuve que l’Union européenne, avec l’Ukraine, est plus forte, plus dynamique et qu’elle a plus de chances.

La deuxième chose, ce sont les batailles parlementaires. Je pense que les élections se dérouleront comme prévu fin octobre, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas d'élections anticipées. Zelensky présentera son équipe lors de ces élections et obtiendra de nombreux votes de soutien. Je ne sais pas si sa faction obtiendra la majorité, mais ce sera proche de cet indicateur. Mais encore une fois - il ne devrait pas s'agir de personnes aléatoires pouvant être gérées par le parlement. Ce problème est similaire à celui du président Macron en France.

Ce qui suit est ce que Zelensky lui-même a évoqué. Il s'agit d'utiliser les forces pro-européennes pour libérer les prisonniers ukrainiens à Donetsk et à Louhansk, les marins qui se trouvent à Moscou, etc. Zelensky lui-même ne pourra pas le faire, il aura besoin d’un fort soutien de la part de l'Europe et du monde et d'un peu de compréhension de la part de la Russie. Il doit également poursuivre les réformes indispensables. Après les élections législatives, il doit former une coalition et un gouvernement.

- Vous irez à l'investiture du président Zelensky?

- Je n'ai pas reçu d'invitation. Si je reçois une invitation, alors bien sûr j'irai. J'étais présent à l'investiture de Léonid Koutchma, Viktor Iouchtchenko, Petro Porochenko. Ce sera peut-être la quatrième investiture à laquelle j'assisterai.

Yuriy Banachevitch, Varsovie.

Photo : Oleg Markevitch, Olexandre Kosmatch, photo di site : centernews.com.ua

EH

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