Olena Zerkal, vice-ministre des Affaires étrangères de l'Ukraine, chargée de l'intégration européenne
Nous nous battons pour le retour de la Russie dans le champ juridique
19.06.2019 17:45

Pendant deux semaines, l'Ukraine et la Russie ont tenu la parole au Palais de la Paix. L'interprétation des articles des conventions, des termes juridiques, de la présentation et de la persuasion des parties désigneront le vainqueur dans cette bataille juridique. L'Ukraine a tenté de convaincre le tribunal que la Russie avait occupé la Crimée et fourni des armes au Donbass, que c’est le «Buk» russe qui a abattu le MH17, que la Russie a construit illégalement un pont sur le détroit de Kertch, qu’elle arrête les navires dans la mer Noire, la mer d'Azov et le détroit de Kertch ... et pour tout cela, le tribunal a le droit de juger la Russie.

Alors, comment la Russie s'est-elle justifiée, comment l'Ukraine a-t-elle défendu tous ses arguments et quand de nouveaux détails dans l'affaire du vol MH17 seront-ils révélés? Des réponses dans une interview exclusive qu’Olena Zerkal, vice-ministre ukrainienne de l'Intégration européenne, a accordée à Ukrinform.

- Madame Olena, je vous suis très reconnaissante d'avoir trouvé du temps pour cette interview pendant ces deux semaines très tendues. La préparation des réunions a lieu 24 heures sur 24. Ce sont des processus très complexes et je voudrais vous demander comment vous vous préparez?

- En fait, tout dépend de ce que vous entendez par préparation. Préparer un discours, le tenir devant l’audience est une chose, préparer une position en est une autre. Tout d'abord, nous préparons la position. Cela est indiqué dans notre mémorandum. Ensuite, lorsque nous avons reçu les objections des Russes, nous avions encore deux documents concernant la convention maritime que nous avons soumise au tribunal. Et ensuite, des travaux sont en cours pour préparer toutes les positions que nos avocats utilisent lors des audiences. Et sur la base de leurs positions, la préparation de mon rapport, en tant qu’agente, est déjà en cours car je dois le soumettre entièrement avec tous les détails.

- Quel est le plus difficile? Le processus de préparation ou votre propre performance? Dites-nous comment vous vous préparez pour les performances?

- En fait, je le perçois déjà comme acte final. La chose la plus difficile a été de gérer toutes ces choses pendant ces 5 années, parce que tout le monde veut obtenir un résultat aujourd'hui, voire hier, et  alors ne rien faire. Mais cela ne fonctionne pas en droit international. Par conséquent, nous nous sommes préparés pendant 5 ans, nous avons élaboré des positions, nous avons eu des altercations, nous avons prouvé notre position, nous avons défendu notre position auprès de nos professeurs. Il y a toujours des questions, il y a toujours des problèmes liés à la mise en œuvre de quelque chose, en particulier du droit international. Par conséquent, lorsque nous nous réunissons tous, nous passons du temps à énoncer la plupart des questions. Et ce n’est qu’après tout ce qui a été dit que nous sommes déjà en train de nous préparer par écrit, c’est-à-dire que quand je parle devant les juges, j’ai déjà un certain scénario interne du contenu que je veux transmettre.

- Que ressentez-vous au moment où vous montez à la tribune et commencez à parler, en regardant le visage de 15 juges, comme à la Cour internationale de justice de l’ONU?

- Bien sûr, tout le monde est inquiet, surtout devant la Cour internationale de justice des Nations Unies, parce que, lorsque vous entendez « la Cour », vous ressentez une terrible pression. Et, bien sûr, c’est ma première performance, en 2017 qui été la plus difficile à gérer. Cette fois vous comprenez déjà comment fonctionne la respiration, comment mettre des accents, comment répartir les forces lors d’un discours, mais la première fois, c’était très difficile.

- Les représentants de la Russie ont beaucoup parlé de la Crimée où, semble-t-il, les gens vivent mieux maintenant, ainsi que des Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk, qui ne sont pas officiellement reconnues comme groupes terroristes et qui se seraient être armées pour se défendre contre l'Ukraine. Quelle a été le plus difficile pour vous à entendre?

- J'écoute les Russes non seulement dans la salle d'audience. Je les ai aussi écoutés dans les négociations que nous avons menées avant de déposer des poursuites, quand ils ont nié l'existence d'un différend entre les parties. Et ce que nous entendons ici n’est rien comparé à ce que nous avons entendu lors des négociations et que nous n’avons pas enregistré. Là nous avons écouté et sur le train de l'amitié, et en général sur les fascistes et sur le massacre des enfants. C’est-à-dire que tout cela faisait partie de notre travail. Quand ils parlent maintenant du fait que nous avons tenu des discussions sans vouloir parvenir à une sorte de compréhension commune, ils ne se rappellent peut-être pas de tout ce que  nous avons dû entendre de leurs agents.  Par conséquent, en effet, en 2017, lorsqu'ils ont parlé d'armes dans les mines et du MH17, qui a été abattu par des inconnus au tribunal, c'était difficile à entendre, mais, parallèlement, je suis sûre que les juges devraient l'entendre pour comprendre à quel point il est difficile de discuter avec les Russes et essayer de parvenir à une sorte de compréhension mutuelle en ce qui concerne l'application ou la compréhension de la convention. Lorsque tu dis une chose et ils te répondent à tout autre chose.

- Au sujet du vol MH17. Une grande nouvelle devrait nous parvenir la semaine prochaine à l’issue d’une conférence. Des nouveaux détails de l'affaire seront-ils annoncés ou, peut-être, la date d'audience sera-t-elle annoncée?

- Je pense que nous allons entendre beaucoup de choses. Les Hollandais en sont déjà à la phase finale. La société leur demande de mener à bien l'enquête et ils ont déjà obtenu certains résultats qui seront annoncés. De plus, Bellingcat nous dévoilera d'autres informations la semaine prochaine, car elles vont généralement de pair avec l'ouverture de l'enquête.

- A votre avis, à quel moment l’affaire du MH17 pourra-elle être jugée?

- Toutes les actions préparatoires nécessaires sont déjà terminées. Nous avons déjà  un accord. Nous avons déjà un mémorandum financier. Tous les fonds ont été alloués ainsi que des ressources financières pour organiser des audiences. Les procédures sont toutes prescrites. Tout le monde attend la fin de la session criminelle. Et je respecte beaucoup les Néerlandais  parce qu’ils ne divulguent rien au public avant la fin de l’enquête. Et ce n’est qu’après s’être assurés, que tout est entièrement prêt pour eux et que la situation est telle que du béton armé, que seulement ils pourront sortir et dire quelque chose qu’ils savent déjà avec certitude.

- Que se passe-t-il à huis clos lors des audiences devant la Cour permanente d'arbitrage? Seules les 30 premières minutes des discours des agents sur les deux premiers jours ont été révélées aux journalistes. Les représentants de la Russie ont demandé à ce que les audiences se déroulent à huis clos. 

- Ils ont peur d'entendre beaucoup de ce qu'ils disent maintenant car cela pourrait alors être utilisé contre eux dans d'autres lieux. Bien sûr, ils ne veulent pas que tout le monde se moque de ce qu’ils utilisent: par exemple, ils pensent que non seulement en 2014, il y eu une insurrection militaire, mais qu’en général, nous n’avons obtenu notre indépendance que grâce à une révolte à Moscou. Et ils ajoutent ceci dans le dossier. Ou alors ils disent qu'en 1954, la Crimée a été illégalement transférée en Ukraine en raison de l’absence d’actes pertinents. Il y a certains faits qu'ils fournissent à l'arbitrage. Et regardez ce qui se passe actuellement au tribunal maritime international quand ils déclarent au monde entier que la Russie est un État côtier au sens légal d’une convention, puisqu’un «référendum» a eu lieu en Crimée et qu’ils sont les seuls à avoir reconnu ce référendum, quelques heures après sa tenue, et c’est là le fondement de l’acquisition légale de leur souveraineté sur la Crimée…..je pense que tout cela fait également partie de l’histoire que les arbitres doivent maintenant entendre pour se prononcer sur l’application de la Convention et sur le présent différend.

- Nous attendons maintenant que les deux tribunaux confirment leur compétence, c'est-à-dire le droit de connaître ces affaires. Quelles sont les prévisions maintenant? Vous avez dit que la décision ne serait connue qu'à la fin de l'année?

- Cela dépend principalement du travail des arbitres. Combien de fois ont-ils déjà résolu la question de savoir s'ils sont prêts à travailler sur la solution? À en juger par les questions que nous avons reçues hier de l'arbitrage, ils sont déjà très présents dans les documents, ils s'intéressent à la position des parties sur des questions très techniques et très délicates. Ils travaillent, ils ont probablement déjà quelques bases pour la décision. Dans le même temps, imaginez combien de temps il leur faudra pour parvenir à une position commune, rédiger une décision commune, car les arbitres en rédigent pour chaque élément, puis les combinent, discutent et arrivent à avoir une vision éclairée du problème. Ils peuvent voter tous, peut-être avoir une opinion séparée, peut-être en partie, c'est-à-dire que cela dépendra de la position des arbitres. Mais en pratique, cela ne dure généralement pas plus de six mois après l'audience.

- C'est-à-dire que les deux tribunaux pourront annoncer leurs décisions dans 6 mois?

- Oui

- Et combien de temps après l'affaire peut-elle être considérée sur le fond?

- Beaucoup commettent des erreurs, car ils estiment que les Russes, dans tous les cas, par exemple en ce qui concerne la Cour internationale de Justice, doivent soumettre leur mémorandum avant le 12 juillet, car le tribunal a accordé un délai de 13 mois pour la rédaction du mémorandum à chaque partie. En même temps, ce n'est pas le cas, car les Russes ont interrompu leur préparation du mémorandum en présentant des objections de compétence, donc, le tribunal reprendra le processus de résolution du litige après avoir rendu sa décision au sujet de la compétence, ce qui laissera 13 mois à la Russie pour préparer son mémorandum. Peut-être, ce délai sera-t-il raccourci selon une décision de procédure. Et prédire ce que le tribunal décidera est assez difficile, mais je n'exclus pas que le tribunal puisse leur donner 13 mois.

- Mais si l’Ukraine gagnait, la Russie, pourrait-elle refuser d’exécuter la décision du tribunal?

- Nous luttons pour que la Russie revienne dans le champ juridique. Parce que le droit international a été créé précisément pour assurer des conditions égales pour tous les pays. Et si quelqu'un, en particulier un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, viole ses obligations, cela représente alors une grande menace pour le droit international, pour le système juridique dans son ensemble. Bien sûr, il n’y a pas que la Russie qui le fait, et il y a beaucoup de failles dans le droit international, comme dans le système des Nations Unies, mais je pense qu’en ce qui concerne la Russie, tout le monde est déjà fatigué des manipulations constantes de la loi, et tous insistent beaucoup sur la nécessité de ramener la Russie dans le cadre du droit international.

Et nous travaillons maintenant à la mise en œuvre de l'ordonnance du Tribunal maritime international à l'égard de nos marins. Je pense que dans un avenir proche, vous verrez comment nous allons l’appliquer sur les sites de l’ONU.

- À votre avis combien d'années faudra-t-il avant qu’une décision définitive ne soit prise ? 

 - Nous sommes déjà entrés dans l'histoire des litiges. A coup sûr. Et les résultats de ces audiences et de la décision - ainsi que de l'arbitrage et du tribunal - auront des conséquences non seulement pour l'Ukraine, mais également pour la formation de tout le droit international à l'avenir. Je pense que beaucoup plus de personnes, d’étudiants vont écrire leurs thèses et leurs mémoires sur la base de ces matériaux. Et en outre, il est très important que le tribunal et l'arbitrage interprètent les événements qui se déroulent en Ukraine. Et nous pouvons dire qu’ensemble nous créons le droit.

Iryna Drabok, La Haye

eh

Pour toutes citation et utilisation de documents sur Internet, ouverts aux moteurs de recherche, des hyperliens au premier paragraphe vers "ukrinform.fr" sont oblugatoires. En outre, des reproductions de traductions d’articles provenant de médias étrangers ne sont possibles qu’avec un lien hypertexte vers le site ukrinform.fr et sur les sites Web des médias étrangers. Documents marqués "Publicité" ou avec une clause de non-responsabilité: "Le matériel est publié conformément à la partie 3 de l’article 9 de la loi ukrainienne "sur la publicité" n° 270/96-VR du 3 juillet 1996 et à la loi de l’Ukraine "Sur Médias" n° 2849-IX en date du 31 mars 2023 et sur la base de la Convention/facture.

© 2015-2024 Ukrinform. Tous droits réservés.

La conception de site — Studio «Laconica»

Recherche avancéeMasquer la barre de recherche avancee
Par période:
-