Volodymyr Mykyta, académicien, peintre de Transcarpathie
J'ai refusé les titres «honoré» et «artiste populaire ukrainien» car ils sont maintenant dévalorisés.
06.02.2019 16:45

Aujourd'hui, le célèbre artiste fête ses 88 ans. La veille, il nous a accordé une petite interview pour parler de sujets éternels - avec qui d’autre parler, sinon avec une telle personne? Est-il logique de poser ces questions «enfantines»: qu'est-ce que l'amour? Dieu? Le chemin? L’amitié? La gloire? Le bien et le mal?

-Monsieur Volodymyr, cette année, nous avons eu un vrai hiver : beaucoup de neige, de givre, ce qui est rare pour la Transcarpathie ces dernières années. Cet hiver ressemble-t-il à l'hiver de votre enfance?

- Cette année, l’hiver est très beau, mais pas comme à l’époque de mon enfance lorsqu’il y avait beaucoup plus de neige. Comme les enfants, nous avons aimé jouer dans cette neige! J’aimais et j’aime toujours la neige, surtout dans les montagnes où j’ai passé des hivers merveilleux, j'y suis souvent allé avec un chevalet pour peindre et particulièrement en hiver.

- Pourquoi? À cause des paysages enneigés?

- Pas seulement. Certes, dans les montagnes, c'est toujours plus beau que chez nous, car la neige ne fond pas,  elle reste avec le gel. Mais ce n’est pas la seule raison qui me fait voyager.

Vous voyez, en hiver, les gens de la campagne restent à la maison: ils brodent, tissent ou fabriquent quelque chose, ils ont le temps de parler. Et puis vous, vous étudiez la psychologie des habitants des montagnes, le roulage… vous faites des esquisses ... et vous remplissez de créativité et de spiritualité.

- Si vous regardez le monde du haut de votre âge, comment vous apparaît-il?

- Assez triste, savez-vous. Le monde évolue à un rythme vertigineux, mais je ne dirais pas, pour le mieux. Il semble que les nouvelles technologies qui apparaissent semblent très utiles à la vie et au confort, mais en même temps l'harmonie avec la nature, les animaux et l'espace est perdue. Les gens sont différents maintenant, ce ne sont plus les mêmes qu’autrefois.

- Quelle est la différence?

- Les gens sont devenus hypocrites. Il est très rare de trouver quelqu'un à qui on peut se confier lors d’une conversation. Ou alors, quand une personne s’épanche, c'est souvent désagréable pour vous, car vous découvrez sa vie intérieure. Un tel monde de dégradation spirituelle devient de plus en plus fréquent et ce n'est pas seulement chez nous, c'est partout! Vous savez, en 1989, j’ai peint le tableau  «L’âge de l’Antéchrist» - tellement distraite, et je ne l’ai pas dessiné pour une raison quelconque, mais parce que des révélations bibliques mentionnaient que le XXIe siècle serait le siècle de l’Antéchrist. En fait, c'est comme ça. Regardez à quel point le monde est tendu, de loin, il est au bord de la guerre. Et j’ai toujours  le sentiment que l’Antéchrist existe bel et bien dans la chair sur Terre, dans un grand État.

 - Vous parlez de notre voisin?

- Oui. Nous n’avons aucun changement positif à attendre de ce pays! De plus, ce sont des descendants de Gengis Khan, impossible de les calmer, le monde entier en a peur! Et de plus, j'analyse les informations et je vois que Dieu nous punit, car de tels désastres, tels qu'ils se sont produits récemment, font peur! Quand la planète vit dans une telle tension, peut-être n’y aura-t-il pas de guerre, vous savez, car il n’y aura plus personne ... Par conséquent, il me semble que nous devrions tous maintenant comprendre profondément  le devenir de notre avenir et être prêts à tout. Je n'attends pas beaucoup de joie de l'avenir.

-Vous pensez souvent à notre avenir?

- J’y pense et je ne comprends pas non plus les actions des hommes. Nous planifions ce qui est fou en soi: cela me fait rire de voir que des gens investissent tellement dans la colonisation de Mars. C'est un énorme capital, des milliards de dollars. Pourquoi ne pas investir cet argent pour sauver notre planète maintenant? La sagesse a disparu.

J'ai des arrière-petits-enfants et je suis très inquiet à leur sujet. Ce sont des personnes qui sont totalement en rupture avec les processus de la vie. Ont-ils déjà caressé une vache? Ils n’ont pas de contact avec la nature, ils ne veulent pas savoir comment le fruit apparaît après la fleur, ils l'achètent dans un magasin. L'homme s'éloigne complètement du cadre de sa vie, de la nature et de la faune. Et c'est un désastre.

- Êtes-vous satisfait de votre passé, de l'époque à laquelle vous avez vécu?

- Le passé de chacun dépend du mode de vie de la personne. L'homme construit sa vie. J'ai une référence idéologique et je m'en tiens à cela, par conséquent j'ai eu le passé que je me suis forgé. J’ai vécu des situations très difficiles, je me suis patiemment débrouillé, sans personne et sans plainte. Lorsque j’avais un souci, je ne m’en prenais qu’à moi-même.

On dit qu’il faut passer par un chemin épineux pour arriver au sommet. Mon chemin était épineux. Je n'ai jamais recherché de soutien - depuis mon enfance jusqu'à maintenant. Après la guerre, je suis rentré dans une école d’art. Je gagnais de l’argent comme je pouvais, j’ai déchargé des wagons de  charbon, j’ai dessiné pour des journaux, j’ai même joué dans un orchestre à la campagne en  battant le rythme à la cuillère.

Et j’ai toujours aimé les jolies filles, j’étais ami avec plusieurs d’entre elles. Toutes ces filles étaient de bonnes familles, intelligentes, mais finalement, je me suis marié à une orpheline. C'était un choix réfléchi, l'un des plus beaux de ma vie. Ma femme et moi avons commencé notre vie commune sans meubles, ensemble nous avons fabriqué tout ce que nous avons maintenant. Nous avons vécu une vie unique!

- Cela vous offensera peut-être - mais je ne peux m'empêcher de vous demander ... En ce qui concerne les artistes, en général, on dit qu’ils sont de mauvais pères de famille, qu’ils font la cour à toutes les femmes. Et voici votre expérience. D'une certaine manière, cela ne correspond pas à l'image classique ...

- Oui, je suis d'accord, cela ne correspond pas. Ma femme et moi avons toujours été différents de mes collègues. Mais juste pour que vous sachiez, mes collègues ont adoré ma femme! Tout le monde avait beaucoup de respect pour moi, pour mon style de vie et pour ma femme. Parce que c’était inhabituel pour eux, je vais jusqu’à dire qu’ils ont été étonnés de nous voir ainsi.

- Nous avons logiquement abordé la question que je voulais vous poser: qu'est-ce que l'amour?

- C’est la chose suprêrme. C'est l'essence divine! Vous êtes déjà un saint quand vous aimez! Maintenant, je ne parle pas seulement de l'amour d'une femme! Nous devons pouvoir aimer tout le monde. Dieu nous préserve qu’une personne perde le besoin d'aimer! Je me suis trouvé dans des situations où certaines de mes connaissances m’ont détruit. Diverses raisons, le plus souvent, un désir de création artistique, mais je ne leur ai jamais souhaité de mal, je ne me suis jamais querellé avec quiconque. Il faut savoir le faire.

- Une critique d'art originaire de Transcarpathie, Oksana Gavrosh, vous a récemment qualifié, dans un commentaire, de «l'artiste de son peuple», voire de «l'artiste de sa maison». Vous êtes vraiment entouré par des éléments de la cabane paternelle, cette vie qui n’est plus présente chez les habitants de la Transcarpathie d’aujourd’hui ... Dites-moi, que signifie ce peuple pour vous?

- C’est la génétique. Chaque pays a ses propres racines, son intériorité. Notre peuple de Transcarpathie a traversé des périodes très difficiles, imaginez-vous, ils ont vécu pendant des siècles sous  la direction de différents États sans avoir le leur, mais regardez comment ils ont préservé leur culture! Ils n’ont pas été effacés de la surface de la terre! Pourquoi? Parce qu'ils n'ont pas résisté, ils ont patiemment enduré toutes ces autorités étrangères. Et ils ont gardé leur langue, leurs écrits, leurs chants, leur sagesse, leur vie, leurs coutumes, leurs traditions ... Et comment, moi, un descendant de ces personnes célèbres, dites-moi, comment pourrais-je ne pas les respecter et ne pas adorer?!

- Qui est votre premier critique?

- Auparavant, c'était bien sûr une femme. Maintenant c’est ma fille, celle qui habite à Uzhgorod. Les enfants ont très bon goût, ne se trompent jamais avec leurs conseils. Quand Onica me dit : papa, il y a quelque chose qui ne va pas, alors, elle a raison. J'écoute ses conseils. Mes filles étaient toutes les deux très douées en dessin, mais l'art n'est pas un travail de femme, mais  elles sont maintenant toutes les deux artistes.

Onika (la plus jeune fille - auth.) brode des objets uniques, c'est une chorégraphe, elle danse, c'est incroyable! Ma fille aînée, Olena, est une célèbre historienne de l'art. Je suis fier d'elles.

- On dit qu'un homme vit pour toujours dans ses enfants. Êtes-vous d'accord?

- Je suis d'accord. Mais avec une précision. Je n'ai pas que deux enfants, ils sont nombreux, car mes toiles sont aussi mes enfants. Chacune de mes peintures est mon enfant. Parfois, même avec humour, je dis ceci, que je ne sais même pas qui sont mes vrais enfants : mes filles ou mes tableaux. Parce que les enfants se font dans l’amour, c'est un travail agréable, d'accord. Et les images coulent de soi parfois avec du sang et de la sueur. Vous chérissez davantage  ce que vous avez eu du mal à obtenir. J’ai souvent demandé à des fonctionnaires de faire revenir mes tableaux de la galerie Tretyakov à Moscou à Uzhgorod lorsque les collectionneurs ne comprenaient pas pourquoi je ne vendais pas mes œuvres. C’était des collectionneurs célèbres alors que la plupart de mes collègues rêvaient de vendre leurs tableaux, je leur ai sincèrement expliqué que je ne pouvais pas vendre mes œuvres à une collection en Europe, car je voulais au moins voir mes enfants de temps en temps, et comment cela serait-il possible à Munich?

- On dit des artistes que ce sont avant tout des gens épris de liberté. Qu'est-ce que la liberté pour vous? L'avez-vous déjà eue, cette fameuse liberté?

- Pour moi, en tant qu'artiste, la liberté, c'est s'affranchir de l'influence de quelqu'un, c'est le chemin qui mène à soi, à la recherche de soi. En fait, la dimension dans laquelle le créateur se considère libre est une chose, mais tout dépend de la manière dont il a construit sa liberté. À mon époque, tout le monde était accro au réalisme social. Quand vous dites: je suis libre, c’est une chose et quand vous avez réellement fait ce que le parti vous a demandé, c’en est une autre. Dans tous les cas, la liberté s’apprécie par une mesure interne.

- Avez-vous réussi à atteindre les sommets désirés?

- Je n'ai jamais vécu un tel sentiment dans ma vie. Même si j'ai maintenant 88 ans. Je n'ai jamais eu le sentiment d'atteindre le sommet. La créativité, c'est quand une personne veut atteindre la vérité. Et elle est inaccessible. Cependant, nous devons aller la chercher, apprendre par étape et aller plus haut, dans la mesure du possible. Qu'est-ce que cela signifie dans la vie? Créer sans mensonge. Je me souviens de la phrase d'Einstein: «Tout dans le monde est relatif ». Alors, parfois on vous loue, on vous classe, on vous  honore, mais vous regardez tout cela en pensant: « Seigneur, pourquoi, alors suis-je si loin de ce que je voulais accomplir? ». Et en ces moments, vous vous rendez compte que tout est faux.

Il me semblait toujours que tous les collègues peignaient mieux que moi et que je ne pourrais jamais faire comme eux, même si je voulais.

 - Vous avez beau mépriser tous les signes de distinction, mais ils sont des symboles de la gloire et vous les avez toujours: académicien, artiste honoré, artiste populaire de l'Ukraine ...

- Vous serez surpris, mais non. L'année dernière, j'ai rendu tous mes certificats et documents concernant le titre d'artiste honoré et national de l'Ukraine. Depuis presque un an, ils restent à l’union régionale des artistes. Je ne sais pas s’ils ont été transférés à l’administration présidentielle. Mais je tiens à vous faire une déclaration maintenant à ce sujet - faites-le savoir!

- Mais pourquoi les avez-vous rendus?

- Parce que maintenant ces titres sont complètement dévalorisés, ils n'ont aucune valeur, n'importe qui peut les obtenir, peu importe le résultat du dessin. Par conséquent, je suis contre de tels titres. L’artiste n’a pas besoin de titres dévalués de l'État.

- Eh bien, pour mettre fin à cette partie de la conversation, dites-moi ce qu'est la gloire? Des ailes, un sommet ou un fardeau?

- Quelle gloire peuvent avoir des artistes modernes après ceux  du passé, par exemple ceux de la Renaissance? Quand j'ai eu l'occasion d’aller à Rome et que j'ai vu les chefs-d'œuvre des artistes de la Renaissance, j'ai été choqué. Après ce voyage, je n'ai pas pris mes pinceaux pendant deux mois! J'ai alors réalisé qu'il était impossible d'atteindre leur niveau! Parce que ce ne sont pas eux qui ont dessiné, mais c’est le Saint-Esprit qui l’a réalisé avec leurs mains. C’est au bord de l’impossible. Et puis ils ne faisaient que travailler sans penser à la gloire. C’est un paradoxe. Voilà ma réponse à votre question.

- Vous êtes un homme profondement croyant.... Qu'est-ce que Dieu? Comment le ressentez-vous dans votre vie?

- Je sens Dieu constamment et partout - même dans une petite feuille, dans une fleur. Je suis convaincu que tout ce qui nous entoure est Dieu. Par conséquent, je ne peux pas être sans lui. Ceci est mon interprétation, donc être faux est un péché. Et pourtant - nous avons déjà parlé de l’amour. Ainsi, il devrait occuper tout l'espace, il ne devrait y avoir aucune place pour la haine. Oui, il y a beaucoup de mal, il y a des méchants, mais pourquoi les haïr? Ils devraient être pris en pitié, car ils sont déjà très malheureux - parce qu'ils sont méchants. Ils sont déjà punis. On me demandait souvent pourquoi je ne critiquais pas la médiocrité, alors, j’expliquais qu'il ne fallait pas la critiquer, car les médiocres n'ont pas de talent, ils sont déjà punis, pourquoi devrais-je les blesser à nouveau?

- Y a-t-il quelque chose dans la vie que vous n'avez pas fait et que vous regrettez?

- Je regrette d'avoir dessiné si peu. A vrai dire, je n'ai jamais eu autant de temps que je l’aurais souhaité pour mes créations- il y avait du travail dans le syndicat, des expositions, des voyages à la recherche de jeunes talents, du travail avec des artistes amateurs ... Tout interférait avec la créativité, je me demandais parfois comment je réussissais à faire des choses. Cependant, je suis heureux d'avoir aidé beaucoup de personnes talentueuses venues de petites localités à leur faire un nom. C'est bien qu'ils aient occupé leur créneau. C'est une belle récompense pour ce que je n'ai pas eu le temps de faire.

Tetyana Kogoutytch, Uzhgorod

Photo : Serhiy Goudak, le site officiel de Volodymyr Mykyta

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