Stefan Voss, vérificateur de faits de l'agence de presse allemande dpa
Il y aura de plus en plus d'hypertrucages et ce sera la tâche des journalistes de les démasquer
04.09.2020 14:44

En septembre, Ukrinform et l'agence de presse allemande dpa organiseront une série de webinaires de vérification des informations pour des représentants des médias ukrainiens. Nous avons discuté avec l'un des conférenciers du projet, l'expert de dpa Stefan Voss, des outils que les médias d'information peuvent utiliser pour contrer la désinformation, ainsi que des nouvelles qui sont le plus souvent vérifiables. On a aussi demandé la paternité de quelles photos et vidéos est presque impossible à trouver.

LA DIFFUSION DE FAUSSES INFORMATIONS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX VISE PRINCIPALEMENT À PROVOQUER DE L'ANXIÉTÉ OU DE LA COLÈRE

- Depuis combien de temps dpa dispose-t-elle d'une unité de vérification des actualités ? Selon quels critères déterminez-vous qu'un certain message est une infox ?

- Les premières vérifications des faits dans l’agence ont été rédigées en 2013. Une unité de vérification des actualités a été créée en 2017. Le fact-checking dans dpa consiste toujours à vérifier une déclaration ou une affirmation. Nous vérifions uniquement les déclarations factuelles et ne vérifions jamais les opinions.

Par exemple, nous vérifions si une photo ou une vidéo correspond à l'événement en cours dans un certain endroit ou si elle est ancienne et d'un autre lieu. Nous constatons dans notre travail quotidien que les statistiques sont souvent mal interprétées, par exemple sur les infractions. De plus, nous sommes souvent confrontés à des citations fictives attribuées à une personne en particulier.

- Qu'est-ce qui doit vous mettre la puce à l'oreille en premier lieu dans l'actualité pour qu'elle soit prise pour vérification ?

- Le plus souvent, nous vérifions les déclarations de personnes célèbres, comme des hommes politiques, ou les déclarations diffusées par les utilisateurs sur les réseaux sociaux. Notre vérification des faits se concentre généralement sur l'énoncé clé.

- Quels types de «fake news» rencontrez-vous le plus souvent dans l'espace d'information allemand ? Voyez-vous certaines particularités régionales lors du travail avec des informations internationales ?

- Nous nous abstiendrons d'utiliser le terme extrêmement politisé et en même temps inexact de «fake news». Il s'agit plutôt de désinformation, de manipulation et d'erreurs. Sur les réseaux sociaux, nous sommes principalement confrontés à ces fausses déclarations qui se propagent pour provoquer de l'anxiété ou de la colère chez les gens. On observe ce phénomène dans de nombreux pays européens. Depuis le début de la pandémie de coronavirus, certains conseils qui circulent sur les réseaux sociaux tels que Facebook, YouTube ou Telegram mettent la vie en danger.

- Pouvez-vous vous rappeler un ou deux exemples qui ont été très médiatisés en Allemagne ?

- Il n'est pas surprenant que récemment, les fausses nouvelles les plus courantes soient associées à la pandémie de COVID-19. Par exemple, l'affirmation selon laquelle l'auteur américain Dean Koontz, dans son thriller « Les yeux des ténèbres » («The Eyes of Darkness»), avait prédit il y a environ 40 ans une éclosion de Sars-CoV-2 à Wuhan en Chine vers 2020. Cette affirmation a été largement diffusée sur les réseaux sociaux allemands. La vérité est que le roman appartenant à l’époque de la guerre froide concernait à l'origine les armes biologiques d'un laboratoire de l'Union soviétique.

Autre exemple : Facebook a partagé des photos d'une bouteille de désinfectant prétendument fabriquée en 2016. L'étiquette indique que le spray est efficace, entre autres, contre le coronavirus. Il était alors dit que l'avertissement du gouvernement était un mensonge et qu'il n'y avait pas de nouveau virus. Il est vrai que les coronavirus sont connus depuis des décennies, mais le type de coronavirus qui s'est maintenant propagé est nouveau.

POUR DÉBUSQUER LES HYPERTRUCAGES, L'EXPERTISE JOURNALISTIQUE EST AUSSI IMPORTANTE QUE L'EXPERTISE TECHNIQUE

- Quel éventail d'outils est actuellement utilisé dans la vérification ? Comment vos approches de la vérification ont-elles évolué au fil du temps ?

- dpa utilise un grand nombre d'outils et de méthodes de vérification. Ils vont de la recherche d'image inversée aux outils de géolocalisation spécifiques, tels que le repérage des ombres, et aux outils d'enquête sur les sites Web.

Au fil des années, nos capacités de vérification se sont considérablement améliorées. Notre équipe s'est agrandie. Actuellement, plus de 20 collègues enquêtent sur les faits. Ceci est particulièrement important car le fact-checking et la vérification sont toujours un travail d'équipe. Nous sommes actuellement en train d'améliorer nos compétences dans le domaine de la criminalistique numérique, notamment dans la détection des hypertrucages.

- Selon vous, que les journalistes et le grand public doivent-ils savoir sur les hypertrucages ?

- La façon dont vous pouvez maintenant techniquement manipuler la vidéo et même l'audio est effrayante. Mais encore plus dramatique est le fait que de plus en plus de gens utilisent ces outils de trucage. La question n'est pas de savoir si les hypertrucages sont utilisés dans nos pays pour colporter de fausses déclarations et nuire à la société. Cela arrivera certainement. La seule question est quand.

L'expérience des techniciens spécialisés dans la vidéo et développeurs est requise pour débusquer techniquement les hypertrucages. Mais ce n'est qu'un côté de la médaille. L'expertise journalistique est tout aussi importante. Elle comprend des questions comme celle-ci : les informations contenues dans une vidéo, suspectée d’être un hypertrucage, sont-elles logiques ? Dénoncer des hypertrucages sera la tâche des médias. Nous devons, sans tarder, nous préparer intensément à ça, d'un point de vue technique et journalistique.

- Les infox sont de plus en plus habilement déguisées en faits. Quels défis rencontrez-vous à cet égard ?

- Ce sont des défis classiques de chaque journaliste. Nous vérifions si l'affirmation factuelle est effectivement correcte. Pour le faire, nous examinons de près les arguments du texte à vérifier. Ce travail peut parfois prendre des jours. Et pour des questions compliquées, nous consultons des experts indépendants.

- Vous avez découvert qu'une nouvelle est fausse. Comment la décision sur les actions futures est-elle prise ? Est-il nécessaire de la réfuter, de donner une nouvelle fiable à part sans mentionner la fausse ou de ne rien donner du tout ?

- Tout dépend du média dans lequel travaille le journaliste. dpa est une entreprise de médias purement privée qui ne reçoit aucun soutien financier de l'État. Ce n'est pas notre tâche principale de vérifier les publications d'autres médias renommés. Nos journalistes rapportent de première main tous les événements importants dans le monde. Nous n'avons ni mandat éducatif ni dépendance politique. Il est de notre devoir de permettre aux gens de se forger leur propre opinion (politique) basée sur des faits. C'est pourquoi nous publions des vérifications des faits pour dépister les manipulations et les erreurs.

- Y a-t-il une différence entre la réponse à une désinformation (une fausse information diffusée à des fins délibérément trompeuses – NDLR) et aux renseignements erronés (diffusés indépendamment de l'intention – NDLR) ?

- Ça dépend de ce que l'on entend par ces deux termes. Pour nos vérifications, peu importe si une fausse information est diffusée sciemment ou par erreur. Ce n'est pas la tâche des vérificateurs de faits de dpa de se soucier de la motivation des manipulateurs.

COMPRENDRE LES MÉCANISMES DE VÉRIFICATION EST PLUS IMPORTANT QUE DE SAVOIR UTILISER UN OUTIL

 - Votre travail est-il basé uniquement sur votre propre pratique ou utilisez-vous des solutions d'autres médias ou institutions pour améliorer votre travail, comme par exemple le projet EuvsDisinfo ?

- Nos vérifications des faits sont basées presque exclusivement sur nos propres recherches. Nous lisons de nombreux autres textes sur nos sujets. Cela fait partie de nos recherches. Mais, comme je l'ai déjà dit, les points-clés de nos vérifications doivent être étudiés par nous-mêmes. EUvsDisinfo ne joue pas un rôle important dans notre travail quotidien.

- Qui, pensez-vous, est efficace aujourd'hui dans la lutte contre les infox ?

- Il est difficile d'évaluer qui, dans le journalisme d’aujourd'hui, lutte efficacement contre la désinformation. Dans tous les cas, ce sont des médias indépendants qui utilisent des vérifications transparentes des faits pour montrer quelles affirmations sont fausses. Les compétences de chaque équipe éditoriale de vérification des faits sont cruciales pour l'efficacité de la lutte contre la désinformation.

La vérification signifie un apprentissage constant : les techniques et les outils que l'équipe utilise depuis longtemps peuvent soudainement ne plus fonctionner. De nouveaux réseaux sociaux apparaissent. Ou les grandes entreprises arrêtent les options de recherche du jour au lendemain. C'est ce que Facebook a fait il y a un an en désactivant les options de recherche graphique Graph Search. Il ne suffit pas que les vérificateurs de faits et les chercheurs savent utiliser un certain outil, car celui-ci pourrait être désactivé demain. Il est beaucoup plus important de comprendre les mécanismes de la recherche.

IL EST SURTOUT DIFFICILE DE VÉRIFIER DES ACTUALITÉS OÙ LES FAITS SONT TRÈS MÉLANGÉS AVEC DES OPINIONS

- Selon un rapport récent de Global Engagement Center du Département d'État américain, le système de désinformation de la Russie comporte cinq piliers principaux : communications officielles du gouvernement, canaux internationaux de diffusion de l'information financés par l'État, cultivation de sources proxy, militarisation des médias sociaux et utilisation de cyber-moyens pour la désinformation. D'après votre expérience, qu'arrive-t-il aux infox et à leurs principales sources ces dernières années ?

- En Allemagne également, les médias publics étrangers diffusent délibérément de fausses informations. Cependant, pour notre travail de vérification des faits à dpa, le fait «qui» déclare quelque chose est moins pertinent. Nous nous concentrons sur «ce» qui est dit et réfutons les fausses déclarations. Nous devons faire notre travail de la manière la plus impartiale possible.

- Quels types d’infox sont les plus difficiles à vérifier aujourd'hui ?

- Les actualités dans lesquels les affirmations factuelles et les opinions sont fortement mélangées sont particulièrement difficiles à vérifier. De plus, il est souvent un problème technique de déterminer l'origine d'une photo ou d'une vidéo. De nombreux enregistrements ont d'abord été partagés dans des services de messagerie fermés (WhatsApp, Telegram) et plus tard distribués via des réseaux ouverts comme Twitter ou Facebook. Cela rend presque impossible de déterminer qui est l'auteur d'une photo ou d'une vidéo.

- Se basant sur vos observations concernant la propagation de la désinformation et des technologies qui aident à lutter contre elle, quelles conclusions peut-on tirer ? Ces processus se produisent-ils au même rythme ? Quelles prévisions pouvez-vous faire à moyen terme ?

- C'est la tâche des journalistes de dénoncer des infox sur les réseaux sociaux. Ce ne sont pas seulement des unités spéciales de vérification des faits qui en sont responsables. Par conséquent, chaque journaliste devrait être en mesure d'appliquer les compétences de base de la recherche et de la vérification numériques. Un grand nombre d’infox peuvent encore être découvertes à l'avenir avec ces techniques de base. Il se peut qu'à un moment donné, les hypertrucages soient si «parfaits» qu'il n'y aura aucune technologie pour les démasquer. Cela donne aux journalistes une raison de plus pour agir. Ils auront besoin de compétences en recherche numérique, de capacités de pensée logique, d'années de pratique de la vérification des faits et d'une grande persévérance. Plus les journalistes suivront cette voie, plus nos sociétés libres réussiront dans la lutte contre la désinformation.

Nataliia Kostina, Ukrinform

Deutsche Presse-Agentur (dpa), fondée en 1949, est l'une des principales agences de presse indépendantes au monde. dpa fournit aux médias, aux entreprises et à d'autres organisations du contenu éditorial, notamment des textes, des photos, des vidéos, des graphiques, des audios et d'autres formats. Elle diffuse en 4 langues : allemand, anglais, espagnol et arabe. L'agence compte environ 1000 journalistes répartis sur plus de 150 sites en Allemagne et à l'étranger. dpa travaille selon les principes énoncés dans le statut de l’agence : indépendamment des idéologies, des entreprises et des gouvernements.

kh

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