Anatolii Polioviy, académicien, chef du département d'agrométéorologie, Université de l'environnement d'Odessa
Le changement climatique dicte leur choix aux agriculteurs : mise à niveau technologique ou ruine
30.07.2021 16:30

Les problèmes des agriculteurs du sud de l'Ukraine, qui ont subi d'importantes pertes de récoltes ces dernières années en raison du réchauffement climatique, sont devenus particulièrement aigus car l'Ukraine, et aussi la Moldavie, occupent respectivement la deuxième et la première place dans le domaine des risques de sécheresse parmi 138 pays du monde. Une situation alarmante s'est produite lors de la récolte-2021 : dans des conditions d'alternance de journées chaudes et d'orages, les agriculteurs ne peuvent pas acheminer dans les champs les machines agricoles et procéder aux récoltes.

Comment les agriculteurs peuvent-ils s'adapter à la culture dans une zone agricole à risques afin de rester compétitifs ? Anatolii Polioviy, chef du Département d'agrométéorologie et d'agroécologie de l’Université d’Écologie d’Odessa, professeur, membre de l'Académie des sciences de l'École supérieure d'Ukraine, a partagé ses réflexions avec Ukrinform.

LES CAUSES DES PERTES DE RÉCOLTE EN 2021

- Le lancement tant attendu du marché foncier en Ukraine a coïncidé avec la détérioration des conditions climatiques pour la culture des céréales, des graines oléagineuses et autres dans les régions du sud. Dans la région d’Odessa une chaleur anormale alterne avec des averses, ce qui rend difficile pour les agriculteurs la récolte des céréales, dont certaines ont déjà été perdues en raison de vents violents. S'agit-il de phénomènes temporaires ou de signes d'une transition progressive vers un climat semi-aride?

- Je crois que les conditions de la récolte 2021 sont une confirmation claire du fait que les changements climatiques ne se produisent pas progressivement, mais plutôt à pas de géant. De plus, en dépassant parfois notre capacité d'adaptation, ils peuvent entraîner de sérieuses pertes de céréales d'hiver et d'autres cultures. L'année dernière, les agriculteurs de Kiliyskiy, Izmailskiy, Bolgradskiy et d'autres territoires de la région d'Odessa ont déjà subi de lourdes pertes, sans prendre la précaution d’assurer leurs récoltes en cas de dommages causés par la sécheresse.

Quant à l'influence des phénomènes d’aridité sur le développement des cultures comme le blé ou l'orge: dans des conditions de températures élevées, le niveau d'intensité de la photosynthèse diminue et, par conséquent, la productivité globale des plantes. De plus, l'évaporation totale de l’eau de la surface du sol augmente, crée un manque d'humidité pour le développement des plantes cultivées et occasionne des coûts supplémentaires pour l'agriculteur. Dans le même temps, le réchauffement climatique présente des avantages: la durée de la saison de croissance augmente, les opportunités de culture de variétés à haut rendement sur chaume, par exemple le soja ou le mil, s'étendent. Beaucoup dépend de la capacité et de la préparation des agriculteurs à réagir aux changements : en irriguant les terres agricoles ou en remplaçant les variétés agricoles traditionnelles par des hybrides résistants à la sécheresse, en utilisant de nouvelles techniques de culture du sol qui réduisent l'évaporation de l'humidité des champs. En d'autres termes, les agriculteurs sont confrontés à un choix difficile : soit le renouvellement des technologies agricoles, soit la ruine...

LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE A-T-IL DES AVANTAGES ?

Permettez-moi d'insister : en raison du changement climatique, de nombreux processus ont été perturbés. D'une part, les conditions de culture des variétés traditionnelles du sud de l'Ukraine se sont détériorées, des risques sont apparus de diminution de leur productivité et de leur qualité, notamment en raison de leur contamination par des maladies hivernales et de la verse des plantes à épis dans les champs. D'autre part, la période sans gel a été allongée, ce qui assure la culture de variétés plus tardives. Dans le même temps, au cours des dernières décennies, des gelées jusqu'à -8 ° C se produisent également en mai, comme ce fut le cas en 2000 et 2003, à la suite desquelles les cultures d'hiver ont été endommagées dans leur période de croissance active. Jamais au siècle dernier les agronomes n'avaient observé un tel phénomène.

- La situation de crise en 2020 a également montré que de nombreux agriculteurs du sud de l'Ukraine ne sont pas prêts à cultiver dans des conditions de sécheresse. Certains ont perdu près de la moitié de leurs récoltes, d'autres étaient au bord de la ruine, et certains ont tout simplement fait faillite, ignorant l'assurance récolte contre la sécheresse. Je veux donc vous poser la question suivante: en tant qu'auteur du manuel pour étudiants «Modélisation du régime hydrométéorologique sur la productivité des agroécosystèmes» - quels modèles d'adaptation des agriculteurs sont les plus prometteurs dans les conditions actuelles ?

- À mon avis, le facteur d'adaptation le plus important aux conditions de la région d'Odessa est la restauration et la modernisation du système d'irrigation obsolète à plus de 80%, y compris la réparation des stations de pompage et des canaux, ainsi que la reconstruction dans les fermes des réseaux de régulation de l'eau, ce qui peut améliorer l'état écologique et la récupération de certains sols semi-arides. Et je vois que le Cabinet des ministres a déjà tendu la main aux producteurs agricoles de la région d'Odessa, en allouant 240 millions d'UAH sous forme de compensation partielle pour les pertes subies par les personnes touchées par la sécheresse en 2020 et en adoptant une stratégie d'irrigation et de drainage en Ukraine pour une période allant jusqu'en 2030, qui prévoit la mise en œuvre d'un certain nombre de projets à grande échelle pour un coût total de plus de 4 milliards USD.

MISE EN OEUVRE DU PROJET PILOTE DE RESTAURATION DE L'IRRIGATION À ODESSA

Il convient de noter qu'il a été décidé de mettre en œuvre un projet pilote pour la restauration des systèmes d'irrigation publics dans la région d'Odessa - sur la base du système d'irrigation du Bas-Dnister partiellement fonctionnel. Il est seulement important de prendre des mesures pour éviter la disparition en chemin d'une partie des investissements en capital ciblés sur les installations de remise en état des terres ayant besoin d'être améliorées.

- Soit dit en passant, alors que les spécialistes de l'Institut des problèmes de l'eau et de la remise en état des terres et de l'Agence nationale de l'eau d'Ukraine élaborent et coordonnent des projets pour la restauration d'un certain nombre de structures du système d'irrigation du Bas-Dnister, les responsables de l'entreprise agricole de Yassy «Agro-Olymp 2019» ont réussi à lancer en juin 2021 un système d'irrigation moderne pour irriguer 600 hectares de terres agricoles ... Dans le cadre du projet, 8 kilomètres de conduites inter-champs ont été rapidement posés, deux stations de pompage, trois arroseurs circulaires, contrôlés à distance à l'aide d'une application mobile, ont été activés.

- Il n'y a pas si longtemps, j'ai eu l’opportunité de visiter l’exploitation agricole «Askaniska» gérée efficacement dans la région de Kherson. Les agriculteurs locaux, utilisant habilement le matériel d'irrigation et se conformant aux technologies agricoles, ont obtenu une récolte d'orge de printemps de 56 quintaux par cercle sur une vaste zone irriguée au cours d'une année sèche. Et voilà le paradoxe: alors que les agriculteurs des fermes voisines se plaignaient bruyamment de la sécheresse, à «Askaniska» on travaillait dur pour un résultat élevé, assuré par l'irrigation goutte à goutte ! Malheureusement, de telles exploitations agricoles sont peu nombreuses, qui ont réussi à préserver pendant de nombreuses années et même à moderniser leur propre système d'irrigation; dans la plupart des cas, des structures de régulation de l'eau à moitié usées ont été démantelées les années précédentes.

Cependant, je suis convaincu que l'irrigation n'est pas une panacée, car en restaurant les stations de pompage, les canaux principaux et les ouvrages de régulation des eaux des fermes, il n'est possible de fournir une humidité vivifiante qu'à une partie des terres agricoles. Par exemple, dans la région d'Odessa, il est prévu, selon l'administration régionale de l'État, de rénover l'exploitation des systèmes d’amélioration des sols sur une superficie de 157 000 hectares au cours de la période 2021-23.

C'est beaucoup ou peu ? C’est beaucoup. Considérant que la superficie des terres irriguées en juillet 2021 ne dépasse pas 43 000 hectares, et qu'il est prévu de développer un réseau d'installations d'irrigation et de drainage qui inclura 114 000 autres hectares de terres sèches! Et au total pour la mise en œuvre du projet «Reconstruction des systèmes d'irrigation du Bas-Dnister en Ukraine» jusqu'en 2030, les spécialistes du ministère de la Politique agraire ont justifié l'allocation d'environ 80 millions de dollars du budget de l'État et d'autres sources.

L'IRRIGATION N'EST PAS UNE PANACÉE

- En substance, la mise en œuvre de ce projet peut être considérée comme une sorte de test pour la capacité d'adaptation des agriculteurs à une agriculture réussie dans la zone d'agriculture à risque...

- Oui, alors que la superficie totale des terres irriguées à Odessa ne représente que 11% des terres agricoles de la région (227 mille hectares). Mais je tiens à préciser que c'est sur les terres irriguées que les agriculteurs ont produit récemment plus de 40 % de fourrage, 80 % de légumes, 100 % de riz et plus de 20 % de céréales. Après tout, le rendement des céréales, des légumineuses et des cultures industrielles sur les zones irriguées est presque deux fois plus élevé que sur les terres agricoles pluviales. Apparemment, compte tenu de tout cela, la superficie des terres irriguées dans le monde a doublé au cours des 20 dernières années et l'indicateur des terres irriguées par rapport à la superficie totale des terres arables est plusieurs fois supérieur à celui de l'Ukraine: au Japon par exemple il est déjà de 82 %, et dans nos pays voisins, la Roumanie et la Moldavie, il atteint respectivement 30 et 17 %.

Pendant ce temps, la zone climatique semi-aride de notre pays a tendance à s'étendre, se déplaçant progressivement des régions du sud vers le nord. Par conséquent, les exploitations agricoles peuvent utiliser d’une part le facteur de l'irrigation pour assurer une efficacité élevée et constante de la production agricole, en tenant compte de la possibilité pour les entreprises agricoles d’acheter du matériel d'irrigation avec une compensation par l’État de 25 % de son coût, et d’autre part les prêts préférentiels pour l'achat de semences de variétés résistantes à la sécheresse et d'autres opportunités, en premier lieu les derniers progrès scientifiques et les pratiques d’avant garde.

- En d'autres termes, l'irrigation n'est qu'un maillon, certes essentiel, dans la chaîne des adaptations des agriculteurs dans l'exercice de leur activité en conditions semi-désertiques ?

- Exactement. Une adaptation réussie est possible grâce à l'utilisation de technologies agricoles modernes, au traitement fongicide des semences, à l'utilisation de variétés régionales de cultures d'hiver à taux de tallage élevé, résistantes à la verse et aux conditions naturelles arides. Cependant, je n'oserais pas dire que la plupart des exploitations agricoles de la région d'Odessa ont pris en compte ces exigences : par exemple, cette année, où les conditions de développement des cultures d'hiver étaient presque optimales. Par conséquent, je peux prévoir, d'une part, une récolte brute de céréales et de légumineuses plus élevée par rapport à la saison sèche 2020. D'autre part, il y a une augmentation significative d’infections des céréales par diverses maladies à la suite de la récolte «humide» - de fortes pluies pendant la période de maturation des plantes. Ceci entraînera sans doute une perte de 20 à 30 % des revenus des exploitations agricoles qui ont négligé le traitement pré-semis des semences avec des fongicides.

Je voudrais aussi noter qu'il ne s'agit pas tant du résultat des averses de juillet, accompagnées de rafales de vents qui cassaient ou inclinaient les tiges jusqu'au sol, que des vaines tentatives de certains producteurs agricoles d’«économiser de l'argent » sur les achats de semences de variétés supérieures de blé à croissance lente et résistantes à la verse.

- Quelles technologies agricoles, à votre avis, offrent la productivité la plus élevée pour les cultures d'hiver ?

- Je pense que dans les conditions arides du sud de l'Ukraine, de nombreux agriculteurs utilisent à juste titre la technologie de culture sans labour, dont le principe essentiel est: le grain - pour les gens, tout le reste - pour le sol. Étant donné que le travail du sol minimum vise à préserver au maximum l'humidité et à reconstituer l'humus, ainsi qu'à améliorer les propriétés chimiques et biologiques. De plus, la technologie Zero Conservation, expérimentée par les agriculteurs dans de nombreux pays, favorise la transformation des résidus de végétation en nutriments. Et ce qui est très important aussi, cette méthode permet de résister à l'érosion hydrique et éolienne du sol. Il ne faut pas non plus oublier la rotation des cultures, le plus souvent mal réalisée et, malheureusement, non respectée.

Les petites exploitations devraient certainement penser à changer la structure des surfaces ensemencées, à souscrire obligatoirement une assurance pour les cultures dans des conditions de croissance aride et passer d'une production principalement céréalière à la culture de variétés de mil plus résistantes à la sécheresse, et en présence d'irrigation, aux cultures maraîchères.

QU'OFFRE LA SÉLECTION?

- Et enfin, la question de la sélection : les agriculteurs ont-ils la possibilité de choisir des semences de cultures marginales résistantes aux conditions extrêmes actuelles dans le sud de l’Ukraine.

 Pour autant que je sache, les spécialistes de l'Institut de sélection et de génétique travaillent avec succès dans le sens de la sélection adaptative des cultures agricoles. Et au cours des 15 dernières années, ils ont créé et inscrit au registre d'État 183 variétés et hybrides de blé tendre et dur d'hiver, d’orge d'hiver et de printemps, de maïs, tournesol, pois, soja, pois chiches, sorgho, luzerne, sainfoin.

De nombreuses variétés sélectionnées par eux sont non seulement très productives et à maturation précoce, mais aussi résistantes à la sécheresse et au gel, et subissent avec succès des essais à la fois en Ukraine et en Turquie, en Espagne, en France, en Roumanie, en Géorgie et dans d'autres pays dotés de technologies de pointe pour la culture céréalière. De plus, certaines variétés, par exemple l'hybride de maïs «Dialogue» mis au point par Viacheslav Sokolov et d'autres, ont été créées à l'aide de la technologie de l'ADN.

Peut-être s'agit-il d'une de ces manœuvres économiques utilisées par les entrepreneurs agricoles en Israël, en Turquie et dans d'autres pays travaillant dans des conditions climatiques difficiles ? Quand le retour sur investissement des projets d'installation de systèmes d'irrigation modernes pour les terres agricoles sera-t-il garanti par des bénéfices supplémentaires dus à l’obtention de nouvelles récoltes? Je pense que l'analyse de l’expérience des exploitations agricoles de ces pays qui travaillent dans des zones agricoles à risques pourrait tout à fait être utile aux agriculteurs du sud de l'Ukraine.

Mikhaylo Aksaniuk, Odessa

Photo de Nina Lyashonok

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