Hanna, la femme évacuée d'Azovstal avec son bébé

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Nous espérions aller avec la Croix-Rouge, mais nous étions assis face à face avec des soldats russes

Le bunker de l'aciérie Azovstal est devenu une maison et une forteresse de sauvetage pendant deux mois pour Hanna, une enseignante de français de 24 ans, son fils de six mois, Sviatoslav, et ses parents. La famille est venue se cacher dans des sous-sols de l'usine lorsque le petit avait moins de quatre mois.

Les gens dans le bunker appelaient Sviatoslav un ange, et les militaires ukrainiens disaient qu'il était un vrai cosaque. Son sourire faisait croire à tout le monde qu'ils allaient enfin s'en sortir. Les militaires cherchaient de la nourriture pour le bébé et ils ont fait cuire de la semoule avec de l'eau qui a été chauffée dans une tasse au moyen d’une bougie.

Cette famille est arrivée à Zaporijjia dans les premiers bus qui ont sorti les gens des bunkers de l'aciérie tard dans la soirée du 3 mai. Ce jour-là, des centaines de médias étaient présents au centre d'enregistrement des personnes déplacées, et la vice-première ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk est venue rencontrer la colonne en personne. Il n'était pas possible de parler avec Hanna le même jour car sa famille est partie pour une région plus sûre. Mais Hanna a finalement accepté de raconter son histoire à une correspondante d'Ukrinform.

Hanna a tenu un « journal de guerre » pendant deux mois. Elle y a écrit sur la vie dans un bunker, un silence terrible, une commotion et sa première rencontre avec des soldats russes.

- Quand êtes-vous arrivée à Azovstal et pourquoi avez-vous décidé de vous y cacher ?

- Le 24 février, nous avons entendu des explosions. Il s'est avéré qu'il s'agissait d'une offensive de Novoazovsk. Et tôt le matin du 25 février, j'ai entendu des explosions près de notre maison, à environ deux ou trois rues de là. Nous avons décidé d'aller à l'abri antibombes d'Azovstal. Mon mari a reçu un message disant que les gens peuvent s'y cacher.

- Saviez-vous quel genre de bunkers il y avait ?

- Nous savions seulement qu'ils étaient là. Quand nous sommes arrivés, on nous a dit qu'il y avait tout ce dont nous avions besoin pour les premiers jours et que nous pouvions ne pas nous inquiéter.

- Quel âge avait votre fils Sviatoslav à l'époque ?

- Presque quatre mois.

- Qu'avez-vous emporté avec vous ?

- Nous avons pris des documents, des bijoux, des denrées pour les premiers jours, de l'eau, de la nourriture pour bébé et quelques vêtements. Nous pensions y rester deux ou trois jours, et lorsque l'attaque principale sera terminée, nous pourrons rentrer chez nous. Nous n'avons même pas pris d'animaux. Notre chien et nos trois chats sont restés à la maison.

- Quand avez-vous compris que vous y resteriez évidemment plus longtemps ?

- Au début, nous croyions vraiment y rester une semaine et c'est tout. Puis la deuxième semaine a commencé. Eh bien, nous pensions que nous resterions également cette semaine-là, nous n'avons qu'à attendre un peu. Lorsque nous étions dans le premier bunker pendant environ une semaine, il a été touché par un puissant missile et nous avons réalisé que nous devions changer de bunker. Nous sommes allés dans un autre et là nous avons commencé à nous rendre compte que tout ça durerait longtemps. Il y avait plus de monde là-bas. Et la situation s'aggravait, les explosions devenaient plus fréquentes. Il n'était plus possible de sortir dehors. Il y avait des toilettes au rez-de-chaussée du bâtiment et même aller aux toilettes était un défi pour nous. S'y rendre, regarder par la fenêtre, respirer l'air et repartir était considéré comme un acte très courageux.

- Quelle a été la réaction de Sviatoslav ?

- Quand il y a eu les premières explosions, au début il a eu peur, il a pleuré. Puis, il s'y est habitué. Il aimait beaucoup l'obscurité, car la plupart du temps nous passions dans le noir ou à la lueur des bougies, des lampes de poche, dans l'humidité et le froid. J'avais très peur qu'il attrape une sorte d'infection, la tuberculose. L’endroit était mal aéré et il y avait beaucoup de monde. De plus, nous étions dans les locaux où se trouvaient autrefois les bains, le plafond fuyait et l'humidité avait un grand impact sur notre santé.

D’abord, je combinais l'allaitement avec du lait maternisé, mais à cause du stress, j'ai arrêté d'allaiter et j'ai dû passer aux préparations infantiles.

Le 24 février, nous avons acheté des préparations pour nourrissons et des couches parce que nous savions que c'était le plus important, et l'armée ukrainienne nous a aidés dans le bunker.

Les préparations ont suffi pour quelques semaines, ensuite, nous ne savions pas quoi faire et les militaires nous en ont apporté davantage. Ils les cherchaient quelque part. Lorsqu'il n'y avait plus de lait infantile, nous mélangions du lait et du sucre. Nous avons trouvé un paquet de semoule et avons essayé de le faire bouillir : nous avons trouvé des tasses en fer, y versé de l'eau et l'avons chauffée.

PETIT ANGE QUI NOUS PERMETTAIT DE TENIR LE COUP

- Comment avez-vous tenu ? Je suis sûre que c'était effrayant.

- Il y avait beaucoup de tels moments. C'était particulièrement difficile le matin, au moment où tu te réveilles et réalises que tu reviens à cette réalité, et ce n'est pas un rêve, mais c’est comme un film d'horreur où tu joues le rôle principal. Vous pourriez pleurer, jurer ou crier. Mais c'est une décharge émotionnelle... vous pleurez et puis vous vous ressaisissez.

J'étais très inspirée quand mon enfant a souri, et je savais que je devais tenir bon pour lui. Et les gens dans le bunker ont traité Sviatoslav d'ange, disant que si nous sortons, c'est grâce à lui. Il a soutenu et amusé tout le monde avec son sourire, sa spontanéité enfantine et sa gentillesse.

- Sviatoslav a probablement eu ses premières réussites dans le bunker ?

- Bien sûr. Il a commencé à manger de la semoule. Avant ça, on n’utilisait que le biberon, et maintenant nous mangeons à la cuillère. Il a commencé à s'asseoir et à dire « maman ». Il a appris à faire beaucoup de choses en deux mois.

- Vous étiez combien dans le bunker ?

- 75 personnes dont 17 enfants. Le nombre variait : quelqu'un est parti, quelqu'un est arrivé, et il y avait de tels casse-cou. Cela m'étonne quand certains robots des médias russes commencent à dire : comment connaît-elle le nombre exact de personnes et d'enfants qui y séjournent ? Quand on vit ensemble pendant deux mois, on sait tout : on connaît les habitudes, les proches, les chansons préférées de chacun. Et je connais le nombre exact d'enfants, parce que nous avons partagé la nourriture : séparément pour les enfants et les adultes. Les enfants pourraient avoir des biscuits et un morceau de pain si nous parvenions à le cuire. Autrement dit, les enfants avaient des privilèges.

- Comment avez-vous réparti les tâches ? Y avait-il un horaire de travail en cuisine, par exemple ?

- Oui, nous avons immédiatement établi un horaire de travail pour que tout soit juste, pour que certaines personnes ne risquent pas leur vie et obtiennent de l'eau, cuisinent, tandis que d'autres puissent simplement s'asseoir et profiter de tout.

- Comment avez-vous obtenu de l'eau ?

- Il y avait un atelier chaud à l'usine, et selon les règles, l'eau et le lait devaient être donnés gratuitement aux ouvriers tous les jours. Autrement dit, il y avait des réserves d'eau. Bien sûr, il n'y avait pas assez de lait mais il y avait assez d'eau, pourtant il fallait en chercher. Comme tous les ateliers étaient à moitié détruits et que chaque sortie pouvait coûter la vie, il fallait vraiment trouver de l'eau.

- Vous souvenez-vous de la réaction de nos militaires lorsqu'ils ont vu votre bébé pour la première fois ?

- Ils étaient tous choqués. Ils ont immédiatement dit qu'ils feraient quelque chose parce qu'un si petit enfant ici, c’était incroyable.

Certains d'entre eux le portaient dans leurs bras et jouaient avec lui. Un des gars a demandé comment s'appelait le bébé et j'ai dit « Sviatoslav », et ce gars a répondu : « C’est un vrai cosaque ».

SORTIR D’ICI OU RESTER DANS UNE FOSSE COMMUNE

- Quand l’évacuation est-elle devenue possible ?

- Nous essayions de sortir depuis début mars. On parlait de couloirs verts, cependant, malheureusement, ils ont tous été bombardés.

Certains ont dit que les gens partaient par un couloir vert, mais en réalité, ces gens partaient tout seuls. Ils ont atteint le centre-ville, où la colonne a été divisée en deux parties par les bombardements des soldats russes, une partie des gens a pu s'échapper et l'autre a été forcée de retourner au bunker. Il y avait un garçon avec un chat. Il a mis le chat dans une voiture et lui, il est monté dans une autre. Le chat est arrivé à Zaporijjia et le garçon est revenu.

À la mi-mars, nous avons compris qu'il n'y avait aucune option alors que les bombardements s'intensifiaient.

À la mi-avril, on nous a dit que la situation était compliquée et que nos militaires feraient tout pour nous sauver. Ils ont commencé à tourner des vidéos sur nous, sur la nécessité de nous sauver, sur le fait que nous sommes des civils, que nous sommes nombreux et qu'il faut faire quelque chose avec nous. Le 25 avril, ils sont venus nous voir et nous ont dit que nous serions évacués aujourd'hui. Nous avons pris nos affaires et fait des listes préliminaires de ceux qui seraient les premiers, et d’autres qui passeraient en deuxième étape. Les enfants, les femmes avec des enfants et les blessés [parmi les civils – note de l’auteur] avaient un privilège. J'étais sur la première liste. Lorsque nous sommes sortis dans le hall, des bus devaient nous emmener aux points de contrôle de l'usine. Mais à ce moment-là, l'armée russe nous a vus d'un drone et a jeté une mine juste sous notre porte. Quatre de nos militaires ont été blessés.

Plusieurs fois, nous avons essayé de sortir dehors, pensant que c'était peut-être une erreur, mais non. Chaque fois que quelqu'un sortait du bunker, le drone réagissait et une mine était lancée dans notre direction. Une fois que nos militaires n'ont pas pu sortir, ils y sont restés toute la nuit. Une énorme bombe ennemie a été larguée sur nous. Selon les informations dont nous disposions, il s'agissait soit d'une bombe au phosphore, soit d'une bombe de trois tonnes.

- Lorsque cette bombe a explosé, quelqu'un a-t-il été blessé ou non ?

- J'étais un peu au-dessus de l'abri. Ma mère était avec moi, elle a été touchée par une onde de choc. Peu après, il s'est avéré qu'elle avait un bras cassé. J'ai eu une légère commotion, les vomissements ont commencé tout de suite. Nos gars ont été commotionnés, pour certains d'entre eux ce n’était pas pour la première fois. C'est terrible. J'ai vu des personnes avec une deuxième commotion, c'est un état terrifiant, et elles deviennent hystériques.

Une femme était dans les toilettes, et il y avait un miroir, qui s'est cassé et est tombé sur sa tête après l'explosion et nous n'avons pas pu arrêter le saignement pendant longtemps. Elle avait un tas de maladies complexes.

À ce moment-là, notre générateur a été lancé à quatre mètres et il a cessé de fonctionner. Nous nous sommes retrouvés dans le noir complet. Nous avons trouvé des bougies et aidé les civils et les militaires. Après cette frappe, deux sorties d'évacuation ont été bloquées, et nous avons compris que si une autre bombe tombait, ce serait une fosse commune.

- Et qu'en est-il d'un cessez-le-feu promis par les Russes ?

- Il a duré plusieurs jours... quelques heures. Il y a eu une autre tentative d'évacuation. Les gens sortaient, nos gars les aidaient, passaient des enfants et des sacs. Et on entend des coups de feu, le bruit d'avions, et on comprend que le cessez-le-feu est terminé et qu'il faut retourner au refuge. Honnêtement, après de telles tentatives, nous ne pensions pas pouvoir nous échapper. C'était risqué de sortir à chaque fois et de comprendre que l'armée russe allait vous bombarder.

- De quoi aviez-vous le plus peur ?

- Du silence. Cela semble paradoxal, mais c'était la chose la plus stressante. Lorsque vous entendez constamment des coups de feu, vous pouvez à peu près comprendre où ils se trouvent. Quand il y avait du silence, il était toujours suivi d'une mine ou d'une bombe. Le calme avant la tempête. Nous ne l'avons pas aimé.

BUNKER ET VUES PRO-RUSSES

- Le 30 avril, c’est votre dernier jour dans le bunker. Parlez-nous de ça.

- Nous nous sommes réveillés. C’était calme et cela durait toute la journée. Certaines personnes ayant des positions pro-russes ont quitté le lieu le même jour en traversant un trou dans la clôture. Il y avait beaucoup de trous faits par des explosions. Il y avait beaucoup d’employés qui connaissaient bien Azovstal. Par la suite, beaucoup de ces personnes ont divulgué tous les indicatifs d'appel, toutes nos positions. J'espère vraiment que la « loi du boomerang » marchera et que la justice sera rendue.

Mais comment peuvent-ils être si sournois ?

- Alors vous êtes resté avec ces gens (aux vues pro-russes) pendant deux mois ?

- Oui. Étant dans le bunker, nous avons compris les opinions politiques de chacun, ce qui a compliqué la situation. Après tout, quand les gens agissent ensemble, c'est une chose, et quand les gens ont des opinions différentes mais qu'ils doivent survivre d'une manière ou d'une autre, c'est comme si vous êtes dans un sous-marin, vous ne pouvez partir nulle part.

RENCONTRE AVEC DES SOLDATS RUSSES

- Revenons au 30 avril.

- Nos militaires sont venus nous voir le soir. Ils ont dit que nous avions dix minutes. Nous avons emballé nos affaires très rapidement. Nous sommes allés en bus à travers les décombres. Il était très difficile de comprendre l'ampleur des destructions. L'usine n'existe plus. C'est comme dans un jeu vidéo. Nous ne croyions pas que c’était si grave. Je me suis déplacée en bus et j'ai pensé que je verrais des maisons à moitié détruites, mais j'ai vu qu'il n'y avait pas de maisons du tout. Elles ont toutes été anéanties.

Nos gars nous ont emmenés aux points de contrôle, puis on a passé à travers jusqu'à la rue Naberejna et là, nous avons été remis aux représentants de la Croix-Rouge, de l'ONU et de l'église. Je me souviens des mots d'un représentant de l'église, qui a dit : « Pour vous, la guerre est finie ». Mais ce n'était que le début.

- L'armée russe est-elle apparue à ce stade ?

- Nous avons roulé quelques mètres et des soldats russes sont entrés dans nos bus. Il y avait une personne avec une mitrailleuse devant et une autre derrière.

- Saviez-vous que ce serait comme ça ?

- Bah non ! Nous pensions que nous irions avec la Croix-Rouge, mais nous n'avions aucune idée que nous serions face à face avec des soldats russes. Ça a été un choc pour nous.

Au cours du trajet, notre joie a cédé la place à la peur et au manque de compréhension de l'endroit où nous étions emmenés.

- Vous ont-ils amenés pour la filtration ?

- Oui, nous sommes allés à Bezimenné [dans la région de Donetsk]. Nous y sommes arrivés de nuit. Dans la première tente, on nous a dit de nous déshabiller. Ils ont choisi des femmes minces. Ils pensaient que nous pouvions être militaires ou avoir un lien avec eux. Ils ont enlevé tous nos habits, y compris les sous-vêtements. Ils cherchaient des tatouages et des cicatrices. J'ai une cicatrice après une appendicectomie et ils ont demandé s'il y avait une intervention chirurgicale. Si vous avez un tatouage, vous devez expliquer sa signification. J'avais un médaillon avec un trident et on m'a tout de suite demandé de nommer la personne qui me l'avait offert.

Ils ont vérifié toutes nos affaires personnelles. Tous les objets tranchants, y compris les kits de manucure, ont été saisis.

- Ça a duré longtemps ?

- Ça a duré très longtemps. Surtout quand vous tenez un bébé dans vos bras à une ou deux heures du matin.

- Dans ce camp parmi les « employées », y avait-il des femmes qui ne réagissaient d'aucune façon à votre enfant ?

- Elles ont dit : « Si tu veux, nous tiendrons ton bébé ». Moi, j’ai répondu : « Désolé, vous ne prendrez mon enfant pour rien au monde ».

Le dépistage avait lieu dans la deuxième tente. Il y a tout un groupe de militaires russes avec des ordinateurs. Ils ont pris nos téléphones, les ont connectés à leur ordinateur et ont téléchargé toutes les informations : photos, contacts, messages, réseaux sociaux. Même les photos que ma mère a supprimées ont été retournées sur son téléphone. Ils ont eu toutes les photos. Les passeports ont été scannés. Ils ont appris tout ce qu'ils pouvaient sur nous. Puis nous nous sommes assis un par un devant des militaires russes, qui nous ont interrogés. Ils nous ont posé des questions sur nos liens avec l'armée. S'il y en avait, alors la pression psychologique commençait et ils disaient qu'il valait mieux que nous leur disions tout. Tout est comme le KGB.

SANS PETIT DÉJ POUR ÉCONOMISER DE LA NOURRITURE

- Lorsque vous étiez à Azovstal, avez-vous compris qu'on était au courant de vous dans les territoires contrôlés par le gouvernement ukrainien ?

- Nous ne savions pas qu’ils étaient au courant. J'ai été choquée lorsqu'un représentant de la Croix-Rouge a dit : « Nous approchons de Zaporijjia, il y aura environ 300 journalistes ». Je pensais qu'il exagérait. Mais quand nous sommes arrivés, j'ai réalisé qu'il y avait une foule de gens.

On me dit que Katia Osadcha, Podoliak me cherchait. Et je réponds : « C’est qui Podoliak ? » J'ai été privée d'information pendant deux mois.

- Qu'avez-vous fait en premier, quand vous étiez déjà à Zaporijjia, après avoir passé la nuit à l'hôtel ?

- J'ai pris le petit déjeuner. Il n'y avait pas de petit déj dans le bunker. Le premier repas commençait à 2 heures de l'après-midi afin d'économiser de la nourriture. J'ai pris le petit déjeuner, j'ai regardé des actualités et j'ai compris à quel point l'Ukraine est devenue forte, à quel point notre peuple a changé…

- Combien de poids avez-vous perdu dans le bunker ?

- J'ai perdu 10 kilos. Mon père en a perdu 20.

- Je vais vous interrompre, mais je ne peux pas m'empêcher de vous demander. Avez-vous gardé le médaillon avec le trident ?

- Oui. J'ai emporté les choses qui ne pouvaient pas être emportées. Merci à mon enfant.

- Que voulez-vous faire avant tout ?

- Je veux aider nos gars d'Azovstal à sortir. Je veux vraiment qu'un pays tiers essaie d'emmener les gars en bateau. D’autant que les articles 37 et 38 de la Convention des Nations Unies stipulent que tout pays peut s'engager à les extrader sans le consentement de Poutine.

- Hanna, si vous remontiez le temps, sachant tout ça, iriez-vous dans le bunker ?

- Non, jamais. J'essayerais immédiatement de partir et de récupérer mon mari.

- Je comprends que vous, comme la plupart des habitants de Marioupol, ne croyiez tout simplement pas que la ville serait tuée ?

- Le 24 février, quand j'ai vu un message d'un de mes amis sur Facebook tôt le matin disant que la Russie avait attaqué l'Ukraine, je l'ai lu et j'ai pensé qu’il s’agissait de 2014. Je n'y ai même pas prêté attention. Mais ensuite, j'ai entendu des explosions et j'ai réalisé que la guerre avait commencé.

- Gardez-vous le contact avec quelqu’un du bunker ?

- Oui. Il y a une famille : une mère et sa fille de 14 ans. Nous continuons à communiquer. Elles m'ont beaucoup soutenu et aidé. Il est très difficile d'être seule avec son enfant dans de telles conditions.

- Qu'aimeriez-vous dire à nos militaires ? Je crois qu'ils pourront lire cette interview.

- Je les aime beaucoup. Ce sont des gars formidables. Ma famille et moi et toute l'Ukraine, nous leur devons la vie. Nous prierons pour eux, nous ferons tout pour qu'ils puissent retourner sains et saufs dans leurs familles.

Olga Zvonariova, Zaporijjia

Crédit photos : Dmytro Smolienko, Hanna

kh