Le lieutenant-général Andrii Gnatov, chef d'état-major des forces armées ukrainiennes
Il faut s'attendre à des provocations de la part de la Fédération de Russie et se tenir prêt à une réponse commune et décisive aux actions de l'agresseur.
Le Président a nommé le général de division Andriy Gnatov chef d'état-major général des forces armées ukrainiennes en mars. Il a 30 ans d'expérience militaire, a commandé une brigade de marine, les troupes du commandement opérationnel « Est » et les forces combinées des forces armées ukrainiennes. M. Gnatov est actuellement le deuxième homme à occuper ce poste après le commandant en chef des forces armées ukrainiennes, Alexandre Syrskyi.
Lors de sa première interview après sa nomination, Andriy Gnatov a notamment expliqué à Ukrinform la mise en œuvre de la nouvelle structure organisationnelle et de la création de corps d'armée au sein des forces armées, les particularités de l'entraînement militaire face à l'évolution des tactiques ennemies sur le champ de bataille et les domaines dans lesquels concentrer ses efforts. Il a également répondu à des questions sur les conséquences de la campagne d'automne-hiver sur l'ennemi, sur l'augmentation des salaires des militaires qui dépend de l'accomplissement de leurs missions, et comment les contractuels de plus de 60 ans peuvent prouver leur valeur.
- Le président Zelensky a tenu un Conseil d'état-major dont les principaux points portaient sur le plan de transition vers une nouvelle structure organisationnelle des forces armées ukrainiennes et la création de corps d'armée. À quelle étape se trouve actuellement ce processus et quel est son pourcentage d’achèvement ?
- À ce stade, la transition des forces armées ukrainiennes vers une structure de corps d'armée est achevée. Tous les corps nouvellement créés accomplissent déjà des tâches dans des groupes spécifiques.
Il existe bien sûr des nuances concernant les effectifs, la formation et les changements déjà en cours dans ces structures. Nous comprenons qu'un mécanisme aussi vaste et complexe que les forces armées ukrainiennes est en constante évolution et que des mesures organisationnelles sont en cours. J'ajouterai que l'état-major a organisé et mené à bien un important travail de formation simultanée des dix nouveaux corps d'armée. Cela nécessitait évidemment des efforts considérables, notamment la participation des représentants les plus qualifiés des forces armées ukrainiennes. Des instructeurs de pays partenaires ont aussi participé à la formation du personnel des corps d'armée.
Grâce notamment à la réforme des corps d'armée, les plans de l'ennemi visant à mener des opérations offensives rapides dans les régions de Donetsk, Kharkiv, Zaporijjia, etc. n'ont pas été réalisés.
Les commandements des corps d'armée nouvellement créés sont équipés conformément aux normes établies, ce qui leur permet d'accomplir les missions de combat (spéciales) qui leur sont confiées.
En ce qui concerne les changements dans la structure organisationnelle des forces armées, d'autres mesures sont en cours, y compris la création des forces d'assaut et des forces cybernétiques des forces armées ukrainiennes.
- La question la plus pressante est toujours celle du personnel. Nous ne pouvons donc pas manquer de vous interroger sur les changements de personnel qui ont eu lieu dans les 17e et 20e corps (le commandant en chef des forces armées a décidé de démettre de leurs fonctions Volodymyr Silenko et Maxim Kitouguine, qui dirigeaient respectivement les 17e et 20e corps, ndlr). D'autres changements sont-ils prévus ?
- Les Forces armées ukrainiennes ont formé les commandements des 3e, 14e, 15e, 16e, 17e, 18e, 19e, 20e et 21e corps d'armée, de même que le 8e corps des troupes aéroportées d'assaut. Ces corps ont déjà été transférés aux commandements opérationnels correspondants des forces terrestres des Forces armées ukrainiennes et au commandement des troupes aéroportées des Forces armées ukrainiennes.
Quant aux changements de personnel qui ont eu lieu, il s'agit d'un processus vivant, et dans le contexte des opérations militaires, tout se passe de manière assez dynamique, car il est très difficile d'affirmer à 100 % qu'une personne sera capable de faire face à la charge de combat.
Je tiens à souligner que les Forces armées mettent activement en œuvre des approches visant à accroître l'autonomie des commandants aux niveaux tactique et opérationnel. À cette fin, des cours de leadership de différents niveaux sont organisés et les normes de planification sont mises à jour. Une nouvelle génération de commandants, des officiers ayant une expérience directe du combat, est progressivement intégrée dans le système de commandement.
- Cela signifie-t-il qu'il y aura encore des changements de personnel ?
- Bien sûr.
- Monsieur le général, comment évolue le rôle de la communication dans l'armée, par exemple entre le commandement et les subordonnés ? Sommes-nous en train de passer à un style de communication plus démocratique ?
- C'est une bonne question.
Si je compare, par exemple, la communication et les relations qui existaient quand j'étais un jeune officier et quand j'ai rejoint l'armée, je peux vous dire que nous avons parcouru un long chemin. Et je pense qu'aujourd'hui, tant la direction que les unités sont suffisamment ouvertes et parlent assez franchement de leurs succès, mais aussi de leurs échecs.
Je peux également souligner que beaucoup a été fait pour répondre aux questions soulevées par la société. Cela est dû avant tout aux diverses situations négatives qui surviennent périodiquement, qu'il s'agisse d'attaques ennemies ayant fait des victimes ou de crimes commis par des militaires. Et je trouve positif que les gens comprennent que les forces armées ne sont pas une organisation idéale, mais avant tout une structure vaste et complexe, qui évolue, se réforme constamment et accomplit en même temps des missions de combat difficiles.
Il serait naïf de penser que des personnes qui étaient hier des civils, occupés à diverses activités, sont aujourd'hui en uniforme dans l'armée et sont immédiatement devenues des militaires parfaits et disciplinés. Cela n'arrive pas, bien sûr. C'est un processus complexe.
- Voyez-vous la nécessité d'introduire de nouvelles compétences et capacités dans le processus de formation des militaires, compte tenu du changement de tactique de l'ennemi sur le champ de bataille au cours de l'année dernière ?
- Il y avait auparavant un seul programme qui fonctionnait pendant des décennies, mais aujourd'hui, les changements sont constants, car les armes utilisées évoluent sans cesse. Par conséquent, si les armes et les tactiques changent, les exigences en formation changent aussi.
Pour garantir la préparation des militaires à l'exécution de missions de combat, nous nous sommes concentrés sur le développement de leur résistance psychologique. La durée de la formation militaire de base a été portée à cette fin de 30 à 51 jours.
Ainsi, le temps consacré à l'entraînement au tir, à la médecine tactique, à l'ingénierie, à la topographie militaire et aux bases de la guerre électronique a été augmenté. Après l'achèvement de la formation militaire de base et l'arrivée dans les unités militaires, un cours d'adaptation est organisé pour des militaires pendant deux semaines.
Un autre élément important du système de formation est l'amélioration du niveau de formation du personnel opérationnel et de la coordination des états-majors dans leur ensemble.
La formation du personnel opérationnel et l'harmonisation des états-majors dans leur ensemble constituent un élément tout aussi important du système de formation. Le personnel opérationnel est formé dans des établissements d'enseignement militaire ou par des groupes d'entraînement mobiles. Au stade final de la coordination opérationnelle des unités et sous-unités militaires, nous organisons des exercices de commandement et de commandement en deux étapes, en impliquant les sous-unités dans des actions pratiques sur le terrain dans des conditions d'utilisation par l'ennemi de moyens de guerre électronique et de drones. Car il est aujourd'hui très important que le militaire sache et n'ait pas peur de combattre des cibles aériennes de différents types, qu'il soit capable de choisir correctement sa position, de l'aménager, de la camoufler, qu'il sache observer le champ de bataille dans de telles conditions, qu'il connaisse les paramètres qui pourraient permettre à l'ennemi de le détecter à cette position et utiliser correctement les moyens à sa disposition, les moyens de camouflage standard.
- Est-ce que les militaires des troupes d'assaut nouvellement créées seront formés différemment ?
- C'est l'une des tâches les plus difficiles de l'infanterie : prendre d'assaut une position ou une installation ennemie bien équipée et bien défendue. Les militaires doivent répondre à de nombreuses exigences, à commencer par leur état moral et psychologique : ils doivent être particulièrement prêts à mener de telles actions. Ils doivent aussi posséder des compétences pratiques en matière d'interaction dans l'unité, être capables d'agir en petits groupes et d'opérer sous la surveillance des drones ennemis.
C'est pourquoi les unités d'assaut disposent de leur propre programme d'entraînement : elles se préparent aux actions offensives et d'assaut. Elles sont constamment approvisionnées en équipements et armes modernes nécessaires.
Je tiens à rappeler qu'une culture de responsabilité envers la vie humaine se développe au sein des Forces armées ukrainiennes notamment grâce à une meilleure formation des militaires, à la diffusion de l'expérience de combat et à l'analyse de l'exécution des missions (des revues d'expérience), ainsi qu'à l'introduction de solutions technologiques (des systèmes sans pilote, etc.).
- Compte tenu des spécificités du service dans les forces aéroportées et les troupes d'assaut, est-il possible d'introduire une forme de paiement différencié ou une prime pour le service dans ces troupes ?
- Oui. Je ne vais pas dévoiler les programmes spécifiques sur lesquels nous travaillons actuellement. Mais aujourd'hui, le président ukrainien a déclaré que des travaux étaient en cours pour augmenter la rémunération des militaires. Il existe différents mécanismes, et beaucoup dépendra de la complexité de la profession, de la durée de la formation nécessaire pour l'exercer. Il est clair que pour un militaire qui effectue des tâches moins complexes, la rémunération sera moins élevée que pour, par exemple, un navigateur ou un pilote de F-16, qui doit suivre une longue formation et répondre à des exigences particulières en matière de santé.
Panne d'électricité à Moscou (le président Zelensky a déclaré que la réponse aux bombardements d'infrastructures critiques dans la capitale pourrait être une panne d'électricité à Moscou, ndlr). La question est donc : avons-nous les moyens et est-ce vraiment le cas ? Pouvons-nous réellement nous le permettre avec les moyens dont nous disposons aujourd'hui ?
Toute action ennemie visant à nuire à notre pays recevra une réponse symétrique. Le président a tout à fait raison : nous trouverons des moyens, trouverons des armes et mènerons ces opérations. Ils comprendront certainement que cela ne leur rapportera rien
Toute action entraînera inévitablement une riposte.
- Alors, où sommes-nous actuellement en ce qui concerne les armes à longue portée ?
- Nous sommes bien équipés en armes de tous types. Bien sûr, il y a des questions problématiques concernant la quantité nécessaire pour obtenir un avantage. Il est clair que l'ennemi dispose actuellement d'un plus grand nombre d'avions de combat, mais cela ne signifie pas qu'il peut en tirer un avantage qui lui donnerait des chances de gagner la guerre. C'est exactement la même chose pour les autres modèles. Ils ont plus de missiles, par exemple, mais nous les utilisons différemment.
- En ce qui concerne les fonds publics, la décentralisation des achats de défense a déjà commencé. Comment cela fonctionne-t-il ? Le montant de ces fonds va-t-il augmenter et la gamme de ce que la brigade peut acheter elle-même va-t-elle s'élargir ?
- La décentralisation des achats a en fait toujours existé. Seuls les volumes et les montants alloués aux brigades ont changé. Tout cela dans le but de simplifier avant tout l'approvisionnement en ressources dont elles ont besoin en grandes quantités.
- Alors, où en sommes-nous actuellement en ce qui concerne les armes à longue portée ?
- Nous sommes bien équipés en armes de tous types. Bien sûr, il y a des questions problématiques concernant la quantité nécessaire pour obtenir un avantage. Il est clair que l'ennemi dispose actuellement d'un plus grand nombre d'avions de combat, mais cela ne signifie pas qu'il peut en tirer un avantage qui lui donnerait des chances de gagner la guerre. C'est exactement la même chose pour les autres modèles. Ils ont plus de missiles, par exemple, mais nous les utilisons différemment.
- Concernant les fonds publics, la décentralisation des achats de défense a déjà commencé. Comment cela fonctionne-t-il ? Le montant de ces fonds augmentera-t-il et la gamme de ce que la brigade peut acheter s'élargira-t-elle ?
- La décentralisation des achats a en fait toujours existé. Seuls les volumes et les montants alloués aux brigades ont changé. Tout cela dans le but de simplifier avant tout l'approvisionnement en ressources dont elles ont besoin en grandes quantités.
C'est-à-dire, d'ouvrir la possibilité pour les brigades d'acheter elles-mêmes, par exemple, des chars, eh bien, il est évident qu'elles n'en ont pas vraiment besoin, même s'il y avait une telle opportunité. Quant à leur permettre de choisir et d'acheter des drones FPV et des drones de reconnaissance, tout est possible, ils l'ont fait pour elles.
- Il existe néanmoins des plaintes concernant des problèmes liés à l'amortissement des biens endommagés. Avez-vous une idée comment ce problème pourrait être résolu ?
- Il est clair qu'il existe une procédure, et nous œuvrons pour qu'elle ne soit pas trop bureaucratisée. Mais il n'est pas non plus possible de procéder à des amortissements irresponsables. Si l'on compare avec l'ancien processus de réduction des stocks, qui prenait des années, consommait des tonnes de papier et ne pouvait être effectué qu'après approbation du montant par le ministre de la Défense. Aujourd'hui ce processus est réduit à un minimum.
Les dernières modifications ont été apportées récemment. Les commandants des unités militaires ont notamment été habilités à approuver des actes uniques de mise au rebut de matériel militaire d'une valeur maximale de 1,7 million d'UAH, quelle que soit la nomenclature de ce matériel. Cette possibilité de mettre au rebut les pertes au niveau de la brigade allégera considérablement la charge de travail du commandement et permettra de tenir une comptabilité à jour.
Nous avons aussi introduit la mise hors service des drones à usage unique (FPV), des composants et des munitions sur la base d'un seul document. Il est également prévu de démonter ou de compléter les systèmes sans pilote sur la base d'un seul document.
- Votre domaine d'activité comprend la collaboration avec des partenaires internationaux. À quel stade est actuellement la coopération militaro-technique entre l'état-major général et les partenaires internationaux ? Quels sont les pays qui collaborent le plus activement avec vous ?
- La guerre de la Fédération de Russie contre l'Ukraine a démontré qu'aucun pays au monde n'est capable de supporter seul le niveau actuel d'intensité des combats.
Les États-Unis restent aujourd'hui un partenaire clé en termes de volume d'aide militaire fournie. Il convient également de noter l'implication des États-Unis dans de nombreux processus, à savoir : la maintenance/réparation du matériel fourni, la formation du personnel, la fourniture de données de reconnaissance et satellitaires, le GPS militaire, le développement des communications militaires.
Un nouveau format de coopération avec les États-Unis est actuellement en cours d'élaboration, dans lequel le rôle des pays européens en tant que sources d'aide militaire internationale est renforcé. La livraison d'armes fabriquées aux États-Unis est notamment assurée grâce au soutien financier des pays européens. Le gouvernement américain envisage aussi la possibilité de livrer des armes et du matériel militaire grâce aux contributions au fonds d'investissement conjoint américano-ukrainien pour la reconstruction, créé dans le cadre de l'accord sur les minéraux et les métaux rares entre l'Ukraine et les États-Unis.
J'ajouterai que les pays de l'Union européenne et la Grande-Bretagne ont considérablement intensifié leurs efforts pour fournir une aide militaire internationale aux forces de défense. Cela se traduit par des achats communs d'armes, la production de plateformes sans pilote, de moyens de destruction et de véhicules blindés. Entre autres, « l'initiative tchèque » et le « modèle danois » restent des moyens efficaces pour répondre aux besoins prioritaires des forces armées ukrainiennes.
Pour l`information, « l'initiative tchèque » est une initiative du gouvernement de la République tchèque visant à accumuler des ressources financières, à établir des contacts, à acheter et à fournir des munitions d'artillerie pour les besoins des forces de sécurité et de défense de l'Ukraine.
Le « modèle danois » est un modèle de financement de la production de matériel militaire en Ukraine par le gouvernement du Royaume de Danemark. Ce modèle est aussi envisagé par les gouvernements du Royaume de Suède, du Royaume de Norvège et de la République de Finlande dans le but d'allouer des ressources financières pour répondre aux besoins des forces de sécurité et de défense ukrainiennes.
- Parlons des drones russes qui volent vers l'Europe. Peut-on dire que sans nous, sans notre expérience, il sera difficile pour les Européens de les abattre ? Le Président a déclaré que 92 drones ont survolé la Pologne, et que seuls 19 ont franchi la frontière.
- Si l'on examine la direction de ces appareils, il y avait beaucoup, mais nous ignorons où l’ennemi ne visait ni où ils volaient, alors nous les abattons tous. Sur ces 92 drones, près de deux douzaines ont survolé la frontière polonaise, violant le droit international et son espace aérien. Il s'agit d'une attaque ciblée de l'ennemi, car il assume l'entière responsabilité juridique de l'utilisation de ses armes.
Et dire s'il s'agit d'une erreur ou d'une autre histoire… Non. On ne peut pas voir les choses sous cet angle. C'est un acte d'agression. Et il faut toujours appeler les choses par leur nom.
- Vous dites que nous essayons d'abattre tous les drones. Que s'est-il passé avec le drone hongrois qui a franchi notre frontière en Transcarpatie, pourquoi ne l'avons-nous pas abattu ?
- Cet objet a violé notre espace aérien à deux reprises. Non, nous n'avons pas attendu, mais abattre un drone n'est pas une tâche aussi simple qu'il y paraît.
Il s'agissait tout d'abord de violations de courte durée de notre espace aérien, et il est évident que nous ne disposons pas d'une telle densité et d'une telle préparation pour abattre des drones dans ces régions, car ce ne sont pas les directions d'où la Russie attaque habituellement.
- Mais s'il avait volé longtemps, nous aurions dû l'abattre, n'est-ce pas ?
- Oui. Abattre ou mettre fin à la violation. Pour commencer, il faut communiquer et comprendre ce qui se passe, car la Hongrie n'est pas un pays en guerre ou en conflit avec nous. Cet objet aurait pu perdre le contrôle, par exemple, effectuer un vol incontrôlé.
C'est un incident. Il a été enregistré, et on va maintenant enquêter.
- Et tous les drones qui sont actuellement détectés au Danemark, en Allemagne et dans d'autres pays, pensez-vous qu'il s'agisse plutôt d'une pression psychologique de la part de la Russie ? Ou cela indique-t-il plutôt qu'ils se préparent à un affrontement plus sérieux avec les pays de l'OTAN ?
- Est-ce qu'ils cherchent simplement à nous mettre la pression ? Non, rien n'arrive par hasard. Les menaces à l'intégrité territoriale et à la sécurité nationale doivent être prises très au sérieux et évaluées avec soin. On ne peut pas ignorer ces questions. Je pense qu'il n'y a pas de hasard dans tout ça.
La Fédération de Russie utilise divers moyens et méthodes, notamment hybrides, pour atteindre ses objectifs stratégiques. Les Russes tentent de provoquer une escalade de la tension tant sur le champ de bataille en Ukraine que dans l'ensemble de l'Europe. L'adversaire tente de faire pression sur nos partenaires afin de montrer que le soutien à l'Ukraine n'a aucun avenir.
L'exemple le plus frappant est celui des exercices stratégiques communs « Zapad-2025 », qui visaient avant tout à démontrer la puissance de la Russie aux pays membres de l'OTAN. Les actions suivantes visant à violer l'espace aérien des pays européens par des drones et des chasseurs russes étaient un jeu prévisible visant à augmenter les enjeux afin de tester la réaction de l'OTAN, à la fois en tant que bloc militaro-politique dans son ensemble et en tant que membres individuels qui déterminent principalement la politique de l'Alliance. L'aspect militaire de ces provocations consiste à tester la préparation du système de défense aérienne sur le flanc oriental de l'OTAN.
On peut s'attendre à toutes sortes de provocations de la part de la Fédération de Russie, et il faut être prêt à réagir de manière commune et résolue aux actions de l'agresseur.
Le président ukrainien a aussi annoncé qu'il était prêt à défendre ensemble l'espace aérien et à partager son expérience avec ses partenaires sur les moyens de lutter contre les drones. L'Ukraine propose son aide sous forme de technologies, de formation des équipages et de fourniture de données de renseignement.
Nous avons déjà commencé à partager avec nos partenaires notre expérience en matière de lutte contre les drones. Ainsi, ces derniers jours, des militaires ukrainiens se sont rendus au Danemark pour soutenir leurs partenaires dans le cadre de la situation liée à l'apparition de drones inconnus au-dessus du pays. Nos spécialistes participent, avec leurs homologues danois, à des exercices communs de lutte contre les drones d'attaque. Il s'agit d'une étape importante dans le renforcement de l'interopérabilité avec les armées des pays membres de l'OTAN, et d'une preuve éclatante de notre ouverture et de notre volonté de venir en aide à ceux qui nous ont soutenus et continuent de nous soutenir dans la lutte contre l'agresseur russe. Comme nous pouvons le constater, l'Ukraine n'est pas seulement bénéficiaire de l'aide, mais nous avons aussi quelque chose à offrir en retour à nos partenaires européens. Il est important de le savoir et de le comprendre.
- Quelle est votre prévision concernant l'offensive automnale et hivernale des Russes : va-t-elle s'intensifier ou non, et quels sont les scénarios possibles ?
- À ce jour, la situation dans les zones de combat reste difficile. L'ennemi continue d'attaquer activement les positions de nos troupes sur les principaux axes, créant un avantage de 5 à 6 fois supérieur en forces et en moyens. L'ennemi mène des opérations offensives le long de toute la ligne de contact sur treize axes opérationnels principaux, avec une intensité moyenne de 160 à 190 assauts par jour.
La situation la plus tendue reste dans l'est de l'Ukraine, où l'ennemi nous surpasse considérablement sur le plan des forces et des moyens et, avec le soutien de l'aviation, de l'artillerie et et l'utilisation intensive de drones de combat, mène des opérations offensives de haute intensité, tente d'établir un contrôle total sur les localités de Tchasiv Yar et Toretsk, de créer les conditions pour bloquer Kostiantynivka à l'est, au sud et à l'ouest, et d'englober l'agglomération de Pokrovsk-Myrnohrad.
Il convient de noter qu'à l'heure actuelle, l'ennemi tente d'utiliser largement la tactique d'infiltration de petits groupes dans les zones arrière de nos troupes, avec leur accumulation et le développement d'une offensive dans nos arrières.
Les forces de défense à leur tour mènent dans des conditions favorables des opérations d'assaut visant à rétablir la situation perdue, et à rechercher et détruire l'ennemi qui s'est infiltré dans les zones arrière de défense de nos troupes.
Dans l'ensemble, malgré des pertes importantes en personnel, en armement et en équipement militaire, l'ennemi ne renonce pas à poursuivre ses opérations offensives.
Le déroulement des événements sur le front principal, c'est-à-dire à Pokrovsk, déterminera la nature des actions de l'ennemi sur d'autres fronts, en particulier à Zaporijjia.
Les conditions météorologiques joueront également un rôle, car les précipitations réduiront considérablement la praticabilité du terrain et par conséquent, la maniabilité des troupes.
Mais il est très probable qu'ils continueront à accomplir leurs missions dans le cadre d'une opération offensive afin d'atteindre l'objectif fixé par les hauts responsables militaires et politiques. Je rappelle que l'objectif qu'ils ont déclaré était le suivant : la « libération » totale des régions de Donetsk et de Lougansk. De notre point de vue, cela signifie qu'ils tenteront d'atteindre les frontières administratives des régions de Donetsk et de Lougansk et d'occuper complètement tout le territoire. D'après ce qui se passe actuellement, les groupes qui ont été créés, leur composition et les tâches qu'ils accomplissent, on peut prédire qu'ils continueront à concentrer leurs efforts dans ces directions. Il s'agit de Pokrovsk et Dobropillia.
Pour i`information, pendant l'opération de contre-offensive de Dobropillia, plus de 174 km² ont été libérés et 194,4 km² ont été nettoyés des groupes de sabotage et de reconnaissance ennemis. Les pertes totales des Russes en personnel pendant cette période dans la direction de Dobropillia ont dépassé les 3 000 personnes. Le « fonds d'échange » destiné au retour des défenseurs et défenseuses ukrainiens capturés par les Russes continue d'être rempli.
- Le président Volodymyr Zelensky a déclaré que les Russes trompaient les dirigeants occidentaux en manipulant certains programmes de surveillance du front, notamment le programme DELTA. Pouvons-nous lutter contre cela d'une manière ou d'une autre ?
- Oui, il y a DELTA, il y a DeepState, il y a d'autres sources d'information, il y a l'Internet, et l'information est devenue beaucoup plus accessible aujourd'hui que quelques années auparavant. C'est une réalité. Nous voyons par exemple, et le programme enregistre, où l'ennemi est entré, mais il ne dit pas s'il s'agit d'un groupe de reconnaissance ou si ces militaires sont entrés et ont ensuite été détruits, il note simplement où ils sont entrés. Et on a immédiatement l'impression que c'est occupé. Mais ce n'est pas le cas.
Vous vous souvenez qu'un jour à Bakhmout, Prigojine s'est rendu sur le site de l'ancienne mairie détruite, y a dressé un drapeau et a déclaré : « Si le centre administratif de la ville est pris, considérez que la ville est à nous ».
Mais il faut savoir qu'à cette époque, la moitié de Bakhmout était contrôlée par les forces armées ukrainiennes, et cette situation a duré près de six mois.
La même chose à Krynky, par exemple, sur la rive gauche du Dnipro, ils couraient chaque jour jusqu'à une maison détruite, y plantaient un drapeau et mouraient près de ce drapeau, simplement parce que le commandant de la brigade ennemie avait promis que celui qui dresserait le drapeau aurait cinq jours de congé. Ils n'ont reçu que la mort. C'est tout, cela ne voulait rien dire.
- La situation dans le sud – Zaporijjia, la centrale nucléaire de Zaporijjia – à quel point est-elle dangereuse ?
- La centrale nucléaire de Zaporijjia est un site nucléaire. C'est un site dangereux, protégé par le droit international. Et la Russie, en tant que pays qui enfreint la législation, qui ne respecte aucune loi ou qui estime pouvoir agir ainsi, s'est emparée de cette installation dangereuse.
Toute la responsabilité de ce qui arrive à cette installation leur incombe entièrement.
Et ici, le monde civilisé tout entier doit faire des efforts pour résoudre ce problème, car s'il venait à y avoir des problèmes avec cette installation, cela ne concernerait pas uniquement l'Ukraine, c'est évident.
- Qu'en est-il du carburant des Russes en général et de l'armée russe en particulier ?
- Je peux dire qu'en général ils ont temporairement perdu environ 20 % de la capacité de leurs usines en ce qui concerne le traitement des produits pétroliers. On ne sait pas encore combien de temps il leur faudra pour rétablir cette capacité, si toutefois ils y parviennent. C'est une question difficile. Nous constatons, à partir de différentes sources, que oui, il y a des problèmes dans les régions du sud. Ce sont d'abord les civils qui souffriront, puis l'économie, et enfin les forces armées du pays agresseur qui souffriront du manque de carburant.
Il est difficile de dire quand cela se produira et si c'est déjà le cas, mais nous recevons certaines informations, des renseignements, selon lesquels les commandants donnent des instructions pour économiser l'essence et imposent des limites.
- Où se trouvent actuellement les troupes nord-coréennes ?
- Un certain contingent est stationné dans la région de Koursk, où des exercices d'entraînement sont organisés. Ils prétendent qu'il s'agit de troupes du génie venues pour mener des opérations de déminage du territoire.
Nous ne les observons pas au front, et nous ne constatons pas non plus leur implication directe dans les combats. Mais les contingents sont bien là. Des travailleurs nord-coréens sont également employés pour la fabrication de matériel militaire, notamment les drones Geran, qui sont fabriqués en Tatarstan, à Elabouga.
Selon des informations qui doivent être vérifiées, environ 20 000 travailleurs nord-coréens y seraient employés. Il s'agit donc aussi d'une participation au conflit.
- En Ukraine, une loi sur le service militaire contractuel pour les volontaires âgés de 60 ans et plus est entrée en vigueur. Le Contrat 60+ complète le projet Contrat 18-24 déjà existant. Qui attendez-vous parmi ces volontaires ?
- Oui, les volontaires 60+ ne seront pas non plus inutiles dans l'armée. C'est un âge où l'on ne peut pas dire qu'une personne a complètement perdu sa capacité à accomplir des tâches. L'essentiel est qu'elle ait la volonté et la santé nécessaires, et elle trouvera du travail dans l'armée.
Les forces armées ont besoin de spécialistes, par exemple dans le domaine de la réparation, de chauffeurs de différentes catégories, de chauffeurs autorisés à transporter des carburants et des lubrifiants, des marchandises dangereuses et des munitions. Ce sont toutes des catégories qui ne sont pas accessibles aux jeunes de 18 ans.
Il peut s'agir de médecins, d'employés de niveau intermédiaire ou subalterne, qui sont aussi nécessaires dans les hôpitaux militaires, où il y a des postes à remplir. Pourquoi une personne de 60 ans ne pourrait-elle pas venir signer un contrat d'un an ou deux et faire ce travail ? Bien sûr qu'elle le peut. Il n'y a pas besoin d'être en super forme pour ce genre de boulot.
Il est évident qu'une personne de plus de 60 ans ne viendra probablement pas occuper un poste dans une brigade d'assaut. Ici, ce sera certainement difficile. Cependant, d'après mon expérience, j'ai eu beaucoup d'officiers, de sergents et de soldats à qui on ne dirait jamais qu'ils ont 60 ans. Il vient vous voir : « Monsieur le commandant, permettez-moi... J'aurai 60 ans dans deux mois, permettez-moi de signer un contrat pour une année supplémentaire ». Vous le regardez et vous vous dites : comment ça, 60 ans ? Il a l'air plus en forme que moi.
- À la veille de la Journée des défenseurs et défenseuses de l'Ukraine, que voudriez-vous souhaiter à nos soldats, en particulier à ceux qui se trouvent actuellement au front et servent avec vous ?
- Il s'agit d'une fête professionnelle qui a vu le jour dans un contexte d'agression à grande échelle de la Fédération de Russie. Elle souligne l'importance de la profession militaire, et je voudrais souhaiter non seulement aux défenseurs et aux défenseuses, mais aussi à leurs proches, à leurs familles, à leurs amis, que tous restent en vie et en bonne santé.
C'est sans doute le souhait le plus important que l'on puisse formuler. Je voudrais souhaiter à ceux qui n'ont pas réussi à rester en bonne santé, qui ont été blessés, de se rétablir et de revenir au combat. À nos garçons et nos filles qui sont toujours en captivité, je souhaite de rentrer chez eux. Et à tous ensemble, je souhaite une victoire rapide.
Ce serait idéal si nous pouvions tous célébrer la prochaine Journée des défenseurs et des défenseuses dans une Ukraine pacifique, sous un ciel ukrainien paisible. C'est sans doute le meilleur souhait que l'on puisse formuler. Pour moi, c'est tout simplement un rêve. Je le souhaite à tous.
- Comment envisagez-vous notre victoire ?
- Je voudrais que justice soit faite. Et la justice ne peut être rendue que quand le pays agresseur aura perdu et qu'il aura été traduit en justice. Quand quelqu'un sera définitivement tenu responsable des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
Il s'agit avant tout des dirigeants militaires et politiques russes qui ont déclenché cette guerre et qui continuent aujourd'hui, malgré toutes les mesures prises par la communauté internationale et les lois en vigueur, à violer tout ce qui peut l'être.
Et on pourra parler de victoire quand l'intégrité territoriale et la souveraineté de notre État seront rétablies. Il n'y a pas d'autre solution.
Entretien mené par Irina Kojoukhar