Région de Kherson : là où l’ennemi mine les cours et les champs

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Les sapeurs de la 121e brigade travaillent depuis deux ans dans les zones libérées de la région de Kherson, neutralisant les pièges explosifs laissés par les Russes.

L’unité du génie-sapeurs de la 121e brigade séparée de défense territoriale des Forces armées ukrainiennes est déployée dans la région de Kherson. Ici, les soldats ne se contentent pas de dépolluer les terrains : ils minent aussi la zone occupée par l’armée russe, mènent de la reconnaissance du génie, vérifient les itinéraires logistiques et neutralisent les pièges explosifs laissés par les Russes. Leur travail permet aux troupes ukrainiennes de se déplacer, et aux civils – de rester en sécurité. Une correspondante d’Ukrinform s’est rendue auprès des soldats sur leur position.

DANS LA RÉGION DE KHERSON, LES RUSSES MINENT TANT LES MAISONS QUE LES CHAMPS ET LES ROUTES

Nous rencontrons les militaires dans l’un des villages de la région de Kherson. Ils sont affairés : ils préparent un drone pour le vol, vérifient l’équipement et déchargent de la voiture du matériel tout juste apporté. Avant de pouvoir parler avec eux, il faut attendre un peu – le travail va bon train.

Le sous-lieutenant Dmytro raconte, entre deux tâches, que les principales missions de combat de leur unité sont le minage, la reconnaissance du génie, la vérification des routes logistiques dans la zone des hostilités et le déminage, aussi bien des territoires libérés que des positions de nos troupes.

Il explique en quoi la reconnaissance du génie diffère des autres types de reconnaissance : il s’agit avant tout d’identifier les zones minées et de tracer des itinéraires sûrs.

« Nous vérifions s’il est possible d’y tracer d’autres routes, d’autres sentiers, et s’ils sont sûrs », dit Dmytro.

Dans la région de Kherson, ajoute-t-il, il est dangereux de se déplacer près des lisières forestières ; la reconnaissance du génie s’accompagne donc souvent d’une demande de reconnaissance aérienne, de la création d’un itinéraire, puis du déminage. C’est ainsi qu’ils travaillent pour que les soldats ukrainiens restent indemnes.

« Il y a des situations où, par exemple, un itinéraire existait, mais l’ennemi l’a miné, alors que nos militaires se trouvent en position plus loin et doivent être relevés, qu’il faut organiser des rotations. Dans ce cas, nous assurons soit le déminage, soit, si c’est impossible pour une raison ou une autre, nous traçons un nouvel itinéraire. Cela dépend du fait que l’endroit soit ou non sous le feu, et des types de munitions utilisés pour le minage. Il y a beaucoup de nuances. Plus d’une fois, lors du déminage, au moment de la destruction d’un engin explosif que l’ennemi avait placé, un bombardement d’artillerie commençait immédiatement », raconte–il.

Dmytro explique simplement les méthodes de déminage dans des conditions difficiles : lorsque c’est possible, ils utilisent des munitions du génie larguées depuis les airs – l’explosion nettoie alors la zone. Pendant que nous parlons, on peut d’ailleurs voir un exemple d’attaque contre l’ennemi : les soldats de l’unité fixent une munition (un largage) sous un drone qui l’enverra dans la zone nécessaire du territoire ennemi. Pour l’instant, il s’agit d’un vol d’entraînement, avec une munition neutralisée. Parallèlement, leur travail ne vise pas seulement l’ennemi ou notre logistique, mais aussi les habitants locaux.

« Ici, il se passe des choses terribles, parce que c’est une zone de combats. Et l’ennemi ne choisit pas ce qu’il mine. Il mine les cours des gens, leurs potagers, les routes entre les champs, et nous circulons pour déminer. Les gens vivent ici, dans les villages, ils ne veulent pas partir, laisser leurs maisons. Mais l’ennemi se moque de ce qu’il détruit, de ce qu’il mine », dit le militaire.

«RIEN NE SE COMPARE À LA RÉGION DE DONETSK»

Après le vol d’entraînement, les militaires vérifient si la mission a été accomplie et commentent que tout s’est bien passé : ils ont touché, de manière conditionnelle, le carré requis. Comme le vol n’était pas de combat, cela est constaté visuellement. Ensuite, les chats locaux « aident » les soldats à camoufler le drone avec un filet. L’heure du dîner approche, ils se rassemblent donc nombreux autour – ils surgissent de tous les coins. Les soldats les nourrissent, alors les boules de poils savent exactement quand venir. Certains sont complètement errants, d’autres ruse nt et arrivent de fermes voisines. Pendant que Dmytro et moi entrons dans le bâtiment et nous asseyons à table, nous parlons du village.

Dmytro raconte que les habitants locaux aident aussi les militaires :

«  Il y a eu un cas littéralement il y a quelques jours, après la pluie, quand nous sommes restés coincés dans un champ. Un agriculteur est venu avec son tracteur et a sorti nos véhicules. Cette zone est surveillée par l’ennemi, et les Russes auraient compris très vite que nous étions immobilisés – les conséquences auraient été graves », raconte-il.

Le soldat ajoute qu’en plus du travail actuel de déminage des champs, il faut souvent neutraliser les drones FPV de l’ennemi, qu’ils trouvent eux aussi dans les champs, ainsi que dans des bâtiments agricoles ou autres.

De manière générale, ce travail est mené ici depuis l’automne 2022, après la libération de la région de Kherson. Mais Dmytro explique que son unité travaille ici depuis plusieurs années, et qu’en plus, ils ont été envoyés plusieurs fois en rotation dans la région de Donetsk. « Là-bas aussi, il y avait du minage et du déminage. Mais là-bas, il y avait des affrontements directs, des combats d’armes légères. Nous étions couverts par des compagnies d’infanterie. De façon générale, rien ne se compare à Donetsk. La situation y changeait extrêmement vite. Parfois, on nous disait qu’il fallait avancer d’une centaine de mètres derrière les positions, qu’il y avait encore nos gars dans une ferme. Et lorsqu’on se préparait à entrer, ce n’étaient déjà plus les nôtres qui y étaient. Les jours passaient comme des minutes. On ne distinguait plus – nuit ou jour. Souvent, entre nous et les positions ennemies, il y avait 300–500 mètres. Et nous, à une centaine de mètres de nos positions, nous rampions pour mettre en place un barrage de mines », explique-t-il.

Ou encore, se souvient Dmytro, il arrivait que les militaires ukrainiens venaient juste de quitter une position, et à ce moment précis, l’ennemi commençait son assaut. Dans l’unité, il y a des gars qui ont eux-mêmes été encerclés et qui ont sorti d’autres soldats de l’encerclement. L’unité a également subi des pertes dans la région de Donetsk : deux frères d’armes de Dmytro sont portés disparus.

« Il y a eu un bombardement d’artillerie extrêmement violent. Là où s’étendait une lisière boisée – elle a tout simplement disparu. Ils ont tout fauché », déplore-t-il.

Le militaire se rappelle aussi sa toute première sortie en mission. Il fallait marcher environ cinq kilomètres.

«  En plus du reste, je portais un rouleau de fil barbelé, 25–30 kilos. Quand je suis sorti de là-bas, j’ai regardé – j’avais du sang qui coulait des bras et des jambes, tout était coupé, mais nous avons installé le barrage et nous sommes revenus », raconte Dmytro.

LES MUNITIONS RUSSES – UN DANGER MÊME POUR L’ARRIÈRE-FRONT

Le militaire note que l’ennemi, malheureusement, se perfectionne : des pièges explosifs ont commencé à apparaître sur les routes de la région de Kherson – des grenades cumulatives, voire thermobariques. On en trouve désormais beaucoup plus loin qu’avant : il arrive même que des drones transportent des drones FPV, lesquels, à leur tour, livrent des explosifs – ainsi, la menace de tels engins n’est plus seulement une réalité du front, mais aussi un danger pour l’arrière profond.

Dans le même temps, les démineurs ne peuvent pas s’approcher de certains engins pour les neutraliser manuellement. « Il s’agit souvent d’engins explosifs qui réagissent aux vibrations, au bruit, aux pas, au changement du champ électromagnétique. Par exemple, l’engin permet à un véhicule de passer au-dessus de lui et n’explose qu’après, mais il ne nous permet pas de nous en approcher – à 10–15 mètres, il se déclenche, donc il peut tuer le personnel. Il est impossible de s’en approcher pour déminer. Et si tu travailles à distance de sécurité, l’artillerie ou les FPV commencent à frapper. C’est pourquoi nous apprenons aussi en permanence », explique Dmytro.

LES CHAMPS DE LA RÉGION DE KHERSON ONT ÉTÉ DÉMINÉS À GENOUX

Dmytro considère comme les plus difficiles les missions où le risque pour les personnes est le plus élevé. C’est pourquoi, selon lui, l’essentiel reste les règles de manipulation des explosifs et les consignes de sécurité. « C’est précisément pour ces raisons que nous n’avons eu ici ni pertes ni blessés », ajoute-t-il, en précisant que même le journal de sécurité, dont certains se moquent parfois, est une nécessité stricte. Je lui demande si cette rigueur dans le travail est un acquis de l’armée. Dmytro répond que, même si l’armée a ses normes, il était déjà habitué aux règles de sécurité dans son travail précédent – il travaillait dans une mine comme ingénieur avant le début de l’invasion à grande échelle de la Russie. Donc tout ce qu’il savait et maîtrisait, il l’applique ici aussi. « Partout, l’essentiel – ce sont les règles de manipulation des explosifs. C’est sacré », dit-il.

La durée du travail est aussi strictement définie, explique le militaire.  «  Le temps optimal – quatre heures. Six personnes sortent, par groupes de trois. Et si un démineur travaille longtemps sur un déminage, après deux heures, ses actions peuvent se transformer en simples mouvements du détecteur de mines, tout simplement parce que l’attention ne sera plus la même qu’au début. Je le sais par expérience – c’est très monotone. Et puis tu ne fais pas que marcher. Tu as le gilet pare-balles, l’équipement, les piquets pour marquer les zones minées. Quand nous déminions des champs envahis par les mauvaises herbes, nous les parcourions à genoux, parce qu’on ne voyait rien. L’un de ces champs, non loin d’ici, était entièrement semé de mines PFM-1 – les « pétales ». Il faut donc se reposer ; ensuite un autre groupe remplace les démineurs. C’est aussi une règle de sécurité », raconte Dmytro.

À la question sur le type de travail qui ne l’inspire pas, Dmytro cite le travail « papier » et précise qu’il préfère l’action sur le terrain.

Il se souvient aussitôt, avec enthousiasme, d’une opération réussie récente : ils ont demandé une reconnaissance aérienne, vérifié si seuls les Russes se trouvaient dans la maison depuis laquelle ils observaient les attaques, et ils se préparent maintenant à y laisser des « surprises ».

«  Le vol était déjà de combat. Les gars ont travaillé à 100 %. Maintenant, nous travaillons sur les munitions et nous prévoyons de porter des frappes à l’aide de drones », dit le soldat.

Dmytro affirme qu’il apprécie les missions difficiles et ajoute que chacun des soldats de l’unité les prend volontiers à sa charge ; beaucoup de démineurs ont déjà appris à piloter des drones et effectuent différentes missions.

Le militaire souligne que la seule chose qui manque désormais à l’unité, c’est le personnel : « Nous avons beaucoup d’équipements : des systèmes robotisés terrestres, des drones. Mais il faut des gens. On peut enseigner l’ingénierie militaire, même à quelqu’un qui n’en a jamais fait. »

En parlant d’avenir, Dmytro partage ses rêves de victoire et aussi ses envies personnelles, simples mais importantes : « Je veux juste un endroit calme, avec le moins de gens possible. Et dormir. »

Myroslava Lypa, Kropyvnytcky

Photo de l’autrice et photos fournies par la 121ᵉ brigade séparée de défense territoriale des Forces armées ukrainiennes.