Olga Ayvazovska

10.03.2017 13:08

Expert du sous-groupe politique du Groupe de contact tripartite

Dans la question des élections dans le Donbass le point de non-retour est passé

Il faut avouer honnêtement. Les prévisions des politologues et des scientifiques de différents délais de prescription sur ce que les russes veulent transformer le Donbass en une plaie encore saignante ou en une zone d'instabilité se sont vérifiées. Le Donbass continue à saigner. L'Ukraine écrit son histoire d’aujourd'hui sans avoir de stratégies pré-conçues. Minsk est l'un des lieux où cette histoire s’écrit. L'histoire de la guerre hybride, l'histoire de l'occupation, l'histoire de la résistance.

Il y a un an Olga Аyvazovska a fait partie du Groupe de contact tripartite pour le règlement pacifique de la situation à l'est de l'Ukraine. La spécialiste en matière d’élections, elle a une confiance absolue de la part de la société, des journalistes, des experts, alors l'octroi de ce mandat à elle a été un acte fort de la part du Président.

Quelle a été l’année passée du Format de Minsk pour l'Ukraine? Nous en avons causé avec Olga Аyvazovska.

1 MILLION 700 MILLE DE PERSONNES DÉPLACÉES C’EST LE «CAPITAL» POUR LE RETOUR DES TERRITOIRES

-Olga, la question sur le Donbass. Est-ce que nous le perdons? Au moins une telle conclusion j'ai fait juste après votre récente intervention à la télé.

- C'est bien ce sentiment qui ne me quitte pas surtout ces dernières semaines. En fait, peu de choses ont changé à Minsk, mais cette accélération des processus d'intégration économiques et politiques témoigne de la complication de la situation dans le Donbass pour l'Ukraine. La reconnaissance des passeports d’ORDLO (certains territoires des régions de Donetsk et de Lougansk), la nationalisation des entreprises (nous ne pouvons pas exclure que, dans l'avenir, cela pourra toucher la propriété privée de nature non-commerciale et non-entrepreneurale des personnes déplacées).

Aussi on construit une voie ferrée: à travers le secteur occupé de la région de Lougansk à Moscou. Auparavant la date de son achèvement a été l’année 2019, mais les processus s'accélèrent et donc la fin de travaux est prévue pour l'automne 2017.

Il n'est pas exclu qu'il sera créé un cycle fermé de caractère industriel: extraction - production orientées pour la Russie. La monnaie officielle dans l’ORDLO est le rouble russe. Les ressources qui seront produites dans le cadre d'un cycle fermé, seront vendues. Cela peut être une extraction compensatoire pour la Russie qui a investi auparavant dans le paquet social, qui maintient les organes de gouvernement du pouvoir auto-proclamé, qui a investi dans le complexe de défense, dans l'armée qu’elle envoyait au Donbass. Alors maintenant, nous voyons les dernières étapes de ce processus, ce qui signifie que le retour de ces territoires sera difficile dans le temps et dans l'espace.

Si la réintégration économique, financière et partiellement politique de la Russie et du Donbass se termine prochainement, alors cela signifiera que le prix de la question du retour ou le processus de retour sera plus long, plus cher et plus difficile pour l'Ukraine parce que le temps est une ressource très précieuse, et si l'Ukraine ne l'utilise pas correctement en sa faveur, alors la Russie, Vladimir Poutine et les principaux acteurs-parties prenantes au Kremlin sont les maîtres de la tactique.

- J'ai lu quelques idées d’un bénévole que la terre s'habitue aux mains de l'envahisseur, c’est pourquoi plus ça dure, moins, probablement, de chances de la récupérer.

- C’est une position équitable, mais je tiens à ajouter quelque chose. Il était une fois l’Union Soviétique, sous laquelle nous avons vécu 70 ans, et pourtant, un certain nombre d'États ou de républiques qui composaient l'Union Soviétique sont devenues des États à part entière après l’effondrement de l’Union. Même si on compare ou mesure statistiquement ou sociologiquement l'opinion publique des citoyens de l'Union Soviétique dans les années 80, même à la fin des années 80, alors il est douteux que nous puissions constater des aspirations à l'indépendance ou une volonté politique de changement. Par conséquent, c'est un processus très difficile. Encore une fois, les conditions se compliquent.

- Il y a pas mal de versions comment nous devons parler avec le Dondass. Parmi elles : faire des concessions, parier sur la communication interpersonnelle ou exclusivement par la voie diplomatique. Que pouvez-vous dire à cela?

- Une partie de ces propositions c’est une question de tactique dans le cadre d'une stratégie, donc je ne vois pas en quoi elles sont controversées, à l'exception, par exemple, des thèses relatives à la reconquête physique ou militaire. Elle est peu réaliste dans une perspective à court terme parce que les capacités militaires ou défensives de la Russie sont incomparablement plus supérieures à celles de l’Ukraine, et là, nous ne pouvons rien faire: nous sommes un État plus petit et maintenant nous sommes moins protégés que la Russie.

En Ukraine, 80% des citoyens ne sont pas prêts à ne pas avoir grand-chose à se mettre sous la dent et à subir les pertes afin de reconquérir le Donbass, il n’y a pas de volonté de perdre massivement des personnes dans le cadre de l'opération militaire.

Les communications horizontales sont importantes, mais la question est: comment elles se réalisent. S’il s’agit de la segmentation, alors de quel ordre? Est-ce que nous parlons des certains groupes communautaires sociaux ou nous parlons des territoires sur lesquels nous communiquons avec des parties prenantes ou avec des dirigeants ou des leaders de l'opinion publique? Malheureusement, nos capacités ne sont pas utilisées aujourd'hui in extenso. Nous avons 1 million 700 mille de personnes déplacées qui représentent le «capital» pour le retour de ces territoires, mais la position et la politique de l'État pendant une certaine période de temps a été discriminatoire à leur égard. Donc, aujourd'hui, il est douteux que ces gens soient susceptibles d'être d’ardents propagandistes au bon sens du terme en matière de retour de l'Ukraine sur ces territoires. Avec cette catégorie de citoyens il faut travailler dans le cadre de la stratégie à long terme.

S’il s’agit des concessions, alors on les aura sous tous les aspects quand ce territoire sera de retour. Mais est-ce que pour une concession quelconque nous pouvons renoncer à l'objectif ultime? Si nous défendons le droit souverain de l'État, la limitation de la souveraineté est déjà contraire à cet objectif, et donc les concessions ne peuvent pas se trouver dans ce système de coordonnées. Elles peuvent être de nature économique, il peut s'agir d'investissements pour la reconstruction de l'infrastructure. Peuvent être amnistiés les citoyens qui n'ont pas participé aux crimes de guerre ou aux crimes contre l'humanité. Parfois on demande, notamment certains experts, qu’est-ce qu’on va faire avec les directeurs d'écoles qui ont organisé un référendum, faut-il les emprisonner ou pas? Une concession sera leur amnistie, mais ce faisant l'État ne peut pas leur donner le droit de continuer à diriger les établissements d’enseignement qui forment l'opinion publique et élèvent les citoyens moralement nouveaux, c’est-à-dire les jeunes gens. Les concessions de cette nature sont possibles. Mais si l'on parle d'un changement de l'objectif ultime, alors ce n'est pas de concessions, c'est une capitulation.

LE BLOCUS DU COMMERCE AUGMENTE LE NÉGATIF ENVERS L'UKRAINE

-Quelqu'un a dit qu'il y avait trois façons de faire la guerre: la perdre, la gagner ou de commencer à faire du commerce. Que pensez-vous de ce blocus, comment il change la situation avec le Donbass?

- C'est une question intéressante et très douloureuse, parce que le blocus est une chose bien compliquée. Évaluer le blocus en noir et blanc signifie simplifier la situation. Là, il n’y a pas de solutions univoques: perdre – gagner – faire du commerce. Moi personnellement, j’ai une attitude négative envers ce blocus, parce que parmi les conséquences il y a une accélération de la mise en œuvre de la phase du scénario, dont nous avons parlé ave vous au début. Ce n'est pas la raison, mais c'est une cause qui sera claironnée aujourd'hui par la Russie et par ORDLO pendant toutes leurs communications externes, tout en formant ainsi une attitude négative envers l'Ukraine de la part de nos partenaires à l'Ouest.

Également une partie du blocus sont les vagues d'information qui augmentent l'agressivité de la société contre leurs citoyens. Et ils ne sont pas membres des groupes armés illégaux, ils sont des otages de cette situation.

- Dites-moi, comment se passent les réunions du groupe de Minsk? Qu’est-ce qui monte au premier plan? Se poursuivent-ils les débats sur le thème: aurons-nous le contrôle de notre frontière ou d'abord on fait des élections? Ce débat semble éternel...

- J'ai commencé à travailler dans le sous-groupe politique il y a un an. Pour la première fois, je suis allée là-bas le 23 mars 2016. Et je ne peux pas dire que quelque chose a changé particulièrement, les négociations représentent en grande partie un fardeau pour la Russie et pour l'Ukraine. Mais c'est un cadre que la Russie ne peut pas franchir, ni agresser de manière ouverte parce qu’elle peut obtenir une rétroaction de la part de l'Union Européenne et des États-Unis. Regardez, il n’y a pas de sanctions à cause de la Syrie. L'Ukraine pouvait être oubliée à un moment donné. Le thème de la frontière est très compliqué, et il n'est pas discuté à Minsk dans l'immédiat. Au sein du GCT (Groupe de contact tripartite) ont été créés quatre sous-groupes, historiquement en 2015, mais il n’y a pas de sous-groupe pour la frontière. Mais le groupe pour les questions de sécurité est principalement responsable de l'analyse des événements courants : des bombardements, des preuves, des cartes, des débats, de nouveaux arguments, de nouvelles preuves. Et l’ensemble concluant de faits est transmis non seulement à Minsk. Ce corpus d'évidences se trouve également sur la table de Madame Merkel, de Monsieur Hollande, ainsi que de nombreux leadeurs à l’international. C'est un aspect fort important. D'ailleurs, la question de frontières exige soit un sous-groupe spécifique au sein du GCT, soit une juridiction supplémentaire de l'un des sous-groupes existants. J'espère bien que ces juridictions apparaîtront.

Mais en 2016, depuis l'été, la tendance a changé d'une certaine manière parce qu’on a commencé à parler de la frontière non pas en termes de la rendre à l'Ukraine après l'exécution de certains points politiques et de sécurité, tout en envisageant le contrôle de la frontière comme un presque dernier point. Maintenant on parle du transfert du contrôle dans les mains d'un tiers. Donc, c'est un compromis. C'est un compromis qui va satisfaire l'Ukraine, mais je ne pense pas qu’il satisfait la Russie. Toutefois, ce compromis a une base rationnelle, sa rationnalité, on peut la prouver et argumenter. Parce qu’avec la frontière ouverte il est tout simplement impossible d’organiser les processus politiques. Personne ne donnera la garantie que le point de non-retour dans les intentions en matière d'agression est déjà passé. Et puis une phase politique ou des élections peuvent conduire à une aggravation ou une effusion de sang beaucoup plus importante lorsque l'une ou l'autre partie ne reconnaîtra pas les résultats de ces élections. Dans les élections c’est la confiance qui est très importante. Les élections locales sont toujours les plus compliquées, parce qu'il s’agit des risques diversifiés. Ce sont les campagnes différentes, les parties prenantes sont différentes, il n’y a pas de centre d'influence et c'est vraiment un problème pour le Donbass. Et la note que leur sera donnée par l'OSCE, sera l’une pour tous, pour l'ensemble des campagnes. Mais nous ne discutons pas les élections depuis le mois de septembre. La partie adverse refuse de parler des élections, ni de l'amnistie. Il me semble que tout le monde a déjà compris qu’il est impossible de contraindre l'Ukraine à permettre la tenue des élections. Nous avons déjà passé le point de non-retour où nous avons été les plus faibles dans cette question. Il y a suffisamment d'arguments qui prouvent qu'aujourd'hui les élections sont impossibles. Mais ces arguments, il faut également les discuter, et non seulement avec les participants aux consultations au niveau des sous-groupes, mais aussi avec nos partenaires internationaux.

- De quoi parlez-vous lors des consultations du sous-groupe politique?

- De la situation politique qui se développe autour de ce conflit. De la réunion des formats de Normandie, de la formule Steinmeier.

- On entend souvent des appels: Minsk n’est pas inefficace, il faut chercher de nouveaux formats. Ces jours-ci les ministres des affaires étrangères de la Pologne et du Royaume-Uni ont visité Kyiv et un certain nombre d'analystes ont dit de nouveau que nous avons besoin de faire un nouveau format avec la participation du Royaume-Uni et de la Pologne. Et on dirait qu’ils sont prêts, veuillez bien commenter cela.

- Je crois que toutes les alternatives ont le droit à la vie. L'Ukraine, en tant qu'État souverain, a le droit d’avoir une quantité nécessaire de formats de négociations afin de mobiliser, de motiver nos partenaires occidentaux à travailler davantage encore dans l’axe de l'intérêt de l'Ukraine. Le Royaume-uni, les États-Unis, la Pologne, les pays Baltes, le Canada, le Japon sont les pays qui investissent beaucoup en Ukraine aujourd'hui surtout dans le domaine de sa protection et de sa défense, et ceci non seulement au niveau des déclarations, mais également en matière d'assistance technique internationale et ainsi de suite. Mais la création de certains autres formats ne signifie pas qu'il y a une possibilité de renoncer à Minsk. Nous devons nous rendre compte que n'importe quel format qui ne prévoit pas la participation de la Russie est sans lendemain. Nous avons besoin de retenir la Russie là où elle est aujourd'hui en laisse courte. Et ceci est possible grâce aux accords de Minsk. Je suis pour la possibilité de créer des formats de négociations pour la représentation et le lobbing des intérêts de l'Ukraine dans l'espace international ou dans un format bilatéral ou multilatéral. Et je n'exclus pas que ces formats peuvent, avec le temps, devenir centraux, mais il est impossible de créer quelque chose de nouveau comme un format central sans que Minsk lui-même ne soit pas épuisé, parce que ce document est le seul mécanisme qui retient aujourd'hui les sanctions contre la Russie.

- On voit que ces sanctions n’aggravent pas trop sa situation.

- Les résultats de ces sanctions de nature économique ne seront visibles que cette année. Ils sont efficaces à moyen et à long terme. On ne peut pas les ressentir le lendemain, sauf s’il s’agit des sanctions contre les produits alimentaires. Si Minsk retient l'agression d'envergure et garde les sanctions, alors en refusant de lui, nous aurons une figure de l’esprit étroit.

-Quand allons-nous sortir de ce conflit?

- Je pense que la chance de sortir de ce conflit c’est une question de décennies, mais certaines étapes peuvent avoir lieu dans les limites de dix ans. La réintégration à part entière ne va pas se réaliser avec ce pouvoir, ni avec ce parlement, c'est un fait. Je veux dire qu’il y a beaucoup de pays qui ont vécu un conflit armé, ils ont une telle phase de communication à bout de bras afin de ne pas créer de résistance quand les gens ne s'attaquent plus les uns les autres, n’utilisent pas des armes, mais il est difficile encore de se communiquer. Le fardeau essentiel de la politique de la réintégration à part entière restera sur les épaules d'une nouvelle génération de politiciens.

Lana Samokhvalova, Kyiv

Photo: Yevguen Lioubimov, Daniil Chamkine, Yuri Ilyenko / Ukrinform.