Marc Feyguine, Avocat des prisonniers politiques ukrainiens Souchtchenko et Oumerov:

21.08.2017 16:17

Assistant de Poutine estime que pour invahir l'Ukraine, on n’a pas besoin de chars

Assistant de Poutine estime que pour invahir l'Ukraine, on n’a pas besoin de chars

La conversation avec l'avocat russe qui défend les prisonniers politiques ukrainiens - journaliste Roman Souchtchenko et adjoint au chef du Majlis du peuple tatar de Crimée Ilmi Oumerov - a commencé assez traditionnellement. Mais finalement, elle a dépassé largement les limites des actions d’investigation ou des procédures judiciaires à cet effet. Et c'était inévitable. Parce que la justice politiquement motivée, adoptée en Russie, se propage abondamment dans toutes les sphères connexes: politique internationale, politique intérieure, tant en Russie qu'en Ukraine, guerre de l'information, à la fin du compte.

ENQUÊTE CONCERNANT SOUCHTCHENKO PEUT ÊTRE TERMINÉE EN SEPTEMBRE

- Y a-t-il un certain progrès dans l'enquête sur l'affaire "Souchtchenko"? Quel est votre pronostic en terme de dates de son achèvement?

- La semaine dernière, nous avons pris connaissance des conclusions d'un certain nombre d'expertises. Celle psychologique et psychiatrique a confirmé, comme prévu, la bonne santé mentale de Souchtchenko. Je ne peux pas parler d'une autre expertise en raison du classement d'affaire. Donc, si cette affaire n’est pas entravée, alors je peux donner une prévision préliminaire qu’en septembre nous arriverons à la fin des actes d'instruction. Il y a aussi une dynamique politique dans la discussion de cette question au niveau international.

- Vous êtes allé à Kyiv, avez parlé avec le Ministre de la politique d'information d'Ukraine Yuriy Stets.

- Oui, j'ai reçu en Ukraine certaines informations supplémentaires. Mais en plus, il y a des nouvelles sur d'autres sujets. Ce n'est pas un secret que nous nous sommes adressés aux leaders des pays participants au «format de Normandie». Récemment, j'ai reçu une réponse de l'Allemagne à l'une de nos adresses. Selon elle, l'affaire du journaliste Souchtchenko préoccupe beaucoup les dirigeants allemands. C'est vraiment d'une importance capitale. Ainsi, lors de la prochaine réunion des dirigeants des pays du «format de Normandie» la question de la mise en liberté de Roman Souchtchenko sera soulevée de manière certaine. Elle sera soulevée par diverses parties, remarquons-le. On espère également que Kurt Volker, l'envoyé spécial du Département d'Etat américain pour l'Ukraine, se joindra à la discussion sur la mise en liberté du journaliste Souchtchenko.

- Autrement dit, il y a une forte probabilité de reprise des échanges et de retour de la Russie en Ukraine des prisonniers politiques ukrainiens.

- C’est ça. Et dans ces conditions, Moscou prend de certaines nouvelles mesures. Pour ainsi dire, elle cherche ses intérêts - outre les intérêts de ceux que la partie ukrainienne présentera pour l'échange. Comme disait en pareil cas le féfunt oligarque russe Boris Berezovsky: "Donnez-moi de l'argent! Et encore quelque chose». Vous voyez, le sort des personnes qui, à la suite de l'échange, seront rendues à la Russie par l'Ukraine, ne préoccupe guère les dirigeants russes. La Russie n’acceptera l'échange lui-même que sous la pression internationale. C’est pourquoi, il semble tout à fait naturel pour la Russie d'obtenir des bonus supplémentaires dans quelque chose d'autre.

- La division importante à l'OSCE a changé d'équipe de direction que vous avez contacté dans le cadre de l'affaire Souchtchenko. À la mi-juillet, Dunja Mijatović, a été remplacée par Harlem Désir, Français, qui est devenu le représentant de l'OSCE pour la liberté des médias.

- C'est important pour nous. Monsieur Désir peut se souvenir personnellement de Souchtchenko, en tant que journaliste. Roman l’a contacté en France, en préparant un certain matériau. Souchtchenko vient de préparé une adresse pour lui. Dans un avenir proche, nous espérons le transférer au bureau de Vienne.

ROPAGANDE «BONNET BLANC ET BLANC BONNET»

- Vous avez récemment dit qu'une campagne de diffamation a été organisée contre vous. Quelle est la situation en ce moment?

-Eh bien, comme vous pouvez le voir, ils n’ont pas pu me priver de ma licence d’avocat. Bien que la campagne est menée massivement. Mais c’était, vous savez, sans précédent. La licence d'avocat peut être annulée pour des fautes graves, pour des infractions, plutôt pour des crimes. Mais là, il s’agit d’une dispute banale dans les réseaux sociaux. Cependant, cela ne s'est pas terminé. La campagne a été poursuivie par un certain blogueur Anatoliy Chariy. Avant et maintenant, je convaincais toujours tout le monde que c'est une personne qui travaille depuis longtemps contre l'Ukraine. Récemment, ses patrons l’ont impliqué également dans la piste russe.

- Oui. Le début de Chariy en direct dans une émission de radio russe «Ekho Moskvy» a été étrange. On y invite habituellement les gens promus, mais là, pendant premières 5-7 minutes il a fallu expliquer au public ce qui était.

-En revanche, nous savons bien qui il est, avec qui il travaille et de qui il reçoit de l'argent. En ces temps derniers, Shariy travaille dur contre deux personnes: moi et l’opposant russe Alexey Navalniy. Soit dit en passant, Roman Souchtchenko pendant la période de son travail journalistique à Paris est entré aussi en collision avec Chariy in absentia. Vous souvenez-vous de l'histoire de «Charlie Ebdo»? Alors est apparu le slogan populaire «Je suis Charlie!». Roman a écrit que l'auteur de ce slogan était un journaliste français d'origine ukrainienne. C’est un ravail journalistique normal. Mais Chariy a alors commencé sans fondement à affirmer que c’étaient des fictions, des insinuations. Il l'a insulté pour rien, a discrédité le travail de Souchtchenko. Le mot "blogueur" est maintenant largement interprété, mais Chariy ne peut pas être considéré comme un journaliste, il est plutôt un propagandiste de Poutine. Le défunt Boris Nemtsov me racontait souvent comment il était venu à «Ekho Moskvy», comment il s’était accordé sur les émissions, combien parfois il en était difficile. Mais là, vous voyez, n’importe qui est en direct de cette émission de radio. Le rédacteur en chef d' «Ekho Moskvy» Alexey Venediktov m’a alors dit que dans le «différend entre Shariy et Feyguine», il était du côté de Chariy. C'est très intéressant, pourquoi alors Venediktov ne peut pas donner pas la parole à Feyguine, ce qui correspond bien aux principes du journalisme? Ou pourquoi il ne peut pas dire honnêtement que je suis dans sa «liste noire»? J'ai déjà raconté plusieurs fois au public ukrainien les principes du travail d' «Ekho Moskvy» et pourquoi le Kremlin en a besoin. Il y a des outils de propagande flagrante, comme la «Première chaîne» qui est pour la masse générale. Mais l’«Ekho Moskvy», c’est un instrument avec une configuration plus raffinée qui est axé sur l'intelligentsia. On lui donne le contenu qui l'attire (on ne peut pas faire trop «de but en blanc»), tandis que le reste ce n’est qu’une censure éditoriale sophistiquée dans l'intérêt de la propagande du Kremlin. Chariy n’est pas une exception.

- Vous avez également dit que cette campagne était organisée personnellement par l’assistant du Président russe Vladislav Sourkov et son équipe.

- Oui. Et le même "blogueur", dont nous parlons plus qu'il le mérite, figurait également dans la correspondance découverte par les hackers dans la salle d’attente de Sourkov. Regardez toutes ces campagnes contre moi. Comme on dit, "il n'y a jamais eu une telle chose, et là encore". L’affaire de Pussy Riot, l’affaire d’une femme-pilote ukrainienne Nadiya Savtchenko – dès que la situation atteint un certain niveau, une attaque contre l'avocat commence. Maintenant, tout est exactement le même. Les conversations qui ont eu lieu au tout début recommencent: dans l’affaire de Souchtchenko, il faut changer l'avocat Feyguine, et il est facile de deviner contre qui.

«INSTRUCTIONS» DE KREMLIN DANS L'ENVIRONNEMENT MÉDIATIQUE DE L'UKRAINE

- À quoi est-ce connecté? Lorsque la situation atteint le niveau qui permet de voir les perspectives d'échange, quelqu’un ne veut pas que les bonus soient offerts à un avocat, mais à un autre?

- Ce n'est pas seulement ça. Moi, c’est avec ma présence seulement que j’empêche de s’entendre à des conditions avantageuses pour le Kremlin. Maintenant, il y a une perspective conditionnelle pour l'échange de Souchtchenko contre un militaite russe Viktor Agueyev, détenu dans la région de Lougansk. La faute d'Agueyev est tout à fait évidente et reconnue. Alors Souchtchenko (selon Moscou) devrait avouer sa culpabilité et la reconnaître.

-Vous pemettez! Mais Nadiya Savtchenko n'a pas avoué sa culpabilité, mais l'échange a toutefois eu lieu.

- Oui, il y avait un précédent. Mais on le dira quand même. Faites attention à ce que parmi les prisonniers politiques ukrainiens il y a très peu de ceux qui, en principe, n'ont pas avoué leur culpabilité. Il s’agit d’Oleg Sentsov, metteur en scène, (en août 2015 a été condamné par un tribunal russe à 20 ans d'emprisonnement de haute sécurité selon des fausses accusations d’«activité terroriste» - Ed.) et de Roman Souchtchenko (illégalement détenu dans un centre de détention «Lefortovo» depuis septembre 2016 pour suspicion d’«espionnage»). Je comprends qu'il y avait des situations différentes: l'enlèvement de détenus, les actes de torture. Mais aussi la figure de l'avocat est très importante: son intransigeance, sa fermeté de principes dans la défense des intérêts et des droits du défendeur. Désolé, mais les déclarations de Chariy me reviennent en tête: il suffit de retirer Feyguine et il paiera un autre avocat pour Roman Souchtchenko. Très éloquemment! On dirait qu’il lit ça directement selon ses instructions. Bien que des synthèses plus larges se voient très opportunes à cet égard, avec une propagation de l'influence de ces «instructions» sur tout l’environnement médiatique ukrainien.

- Je n’ai pas compris. Veuillez préciser votre pensée.

- Vous connaissez mon principe - ne pas parler des affaires politiques ukrainiennes. Pour ne pas me permettre, ainsi, d'interférer dans la politique intérieure de l'Ukraine. Mais le fait est que moi, en tant qu'avocat des prisonniers politiques ukrainiens, je me trouve introduit dans l’agenda d'information ukrainien. Je n'exagère pas mon importance - je ne suis pas si important là-bas, mais j'y occupe mon endroit périphérique. Et donc, je vois une approche commune: à moi et à mon travail notamment - et à toute la situation en Ukraine ... La position de Sourkov est la suivante: pour envahir l'Ukraine, les chars ne sont pas nécessaires. Le foyer de la guerre est déjà là - c'est suffisant. Et puis, il faut seulement donner une occasion pour que tout le monde puisse se disputer à l’intérieur du pays lui-même (d’autant plus qu’en Ukraine il reste moins de deux ans pour les élections présidentielles). Et pour cela, tout est fait - par l'influence d'informations, par des agents politiques. Je ne donne pas leurs noms, mais je vous donne un critère clair pour définir les médias ukrainiens qui, d'une façon ou d'une autre, travaillent pour le Kremlin. Si les discussions sur l'agression russe en Ukraine ne sont pas tolérées, si les mots concernant la «main de Moscou» sont ridiculisés comme un truisme dénué de sens, si on ne parle pas des problèmes intérieurs et extérieurs politique russes, de la défectuosité et de la faute de Poutine. En bref, si la thèse principale est «Cessez de parler du Kremlin et de Poutine! Nous ne devons prêter aucune attention à eux, mais devons gérer nous-mêmes nos propres affaires», alors on peut dire avec une forte probabilité que ce média a un engagement de Moscou. Ce n'est pas une diabolisation, c'est une guerre de l'information. Bien sûr, il faut gérer la situation à l'intérieur du pays, ainsi que restaurer l’ordre. Mais la menace extérieure constitue une raison principale de la destruction de l'ordre. Ceux qui troublent la situation en Ukraine afin que tout le monde se dispute et, ce faisant, ils mettent le facteur russe hors du cadre de situation, tout en essayant d’éviter de dire un mauvais mot sur Poutine, alors ils travaillent explicitement pour le Kremlin.

- La procédure judiciaire relative à l’affaire d’Oumerov est en cours. Vos collègues criméens en parlent beaucoup. Quelle est votre opinion sur l'état actuel des choses?

- À mon avis, récemment, nous avons eu plusieurs réalisations indéniables. Ceux qui suivent les processus criméens savent que là, les forces de l'ordre gouvernementales ont une sorte d’«expert de notes» Ivanova qui fournit des conclusions nécessaires. Nous avons reçu une expertise qualifiée et indépendante d'experts réputés, c’est-à-dire, une recention de sa conclusion en matière de discours d'Ilmi Oumerov sur la chaîne de télévision ATR, pour lequel il est jugé. Le fait que le tribunal ne nous a pas refusé, mais a ajouté cette expertise à l'affaire, c’est très important. Mais le fait que le verdict finira par être accusatoire, il n'y a aucun doute. Dans la justice russe pour les affaires politiques, cela ne peut pas être autrement. Mais nous lutteront jusqu’au bout pour qu’il soit mis en liberté conditionnelle. Et, peut-être, cette affaire sera limitée à une amende. On a toutes les chances pour ça.

Oleg Koudrine, Riga