Viktor Muzhenko, chef d’état-major général des forces armées de l’Ukraine

07.12.2016 10:39

Notre armée est véritable et n'est aucunement fausse

On dirait que les citoyens de notre pays ont cessé de percevoir d'un seul coup, immédiatement, le Jour des Forces armées de l’Ukraine comme un jour férié normal. C'est à la fois la fierté, la douleur, la foi et la mémoire qu'il embrasse. Probablement, cela est dû au fait que, pour la première fois dans l’histoire récente, des Ukrainiens ont senti le goût amer de leur propre indépendance, et ils ont réalisé qu’ils ne seraient en mesure de survivre et de gagner qu'en se tenant ensemble. Qu'ils représente un peuple et son armée, qui, avec l’arrivée de cette impitoyable agression russe contre l’Ukraine, se perçoivent comme un tout. De cette union du peuple, de l’état de l’armée ukrainienne, des leçons du passé et l’espoir pour l’avenir nous a parlé le commandant en chef, le général de l’armée d’Ukraine Viktor Muzhenko, à la veille du 25 anniversaire des Forces Armées de l’Ukraine.

- Camarade Général ... Ou plutôt "Pan" (pour s'adresser poliment à un homme, "Monsieur") Général de l'Armée de l'Ukraine? Comment serait-il mieux vous adresser la parole?

- Comme cela vous conviendrait. Ce type de questionnement peut être appropriée seulement dans les relations de service, il est clairement régi par l'ordre de service. Le Code de service disciplinaire des Forces armées, après les modifications de 2004, prévoit la formule d'appel de « Camarade». Ainsi, que ce soit un commandant en chef, ou un soldat ordinaire de l’Armée ukrainienne, on les traitent en amis.

Il n’y a rien de négatif. Le mot même "camarade" provient de la notion "confrérie, camaraderie". C'est un signe de respect qu'on exprime à l'égard des confrères de combat en esprit et en armes depuis le temps des Cosaques. Ce ne sont guère nous, les ukrainiens qui avons emprunté ce mot au statut soviétique; bien au contraire, c'étaient les idéologues de l'Armée Rouge qui avaient emprunté ce mot au peuple ukrainien. C’est justement le moment où le mot « camarade » re-acquiert son sens élevé et nos soldats le prouvent tous les jours. Notre confrérie protège la Patrie pendant de véritables batailles avec un ennemi insidieux et dangereux.

-Viktor Nikolaïevitch, avez-vous pu imaginer, il y a 25 ans qu'il faudrait faire la guerre, et de plus contre les troupes russes ?

- En effet, un quart de siècle s’est écoulé. Il y a 25 ans, l’armée était différente, ainsi que l’Ukraine même. Alors tous ceux qui ont soutenu l’indépendance, se sont rendus compte qu'il faudrait la payer et que d'énormes épreuves nous attendraient. Mais le peuple se réjouissait que la dissolution de l’Empire s'est produit sans coulée de sang, au moins en Ukraine. Tous espéraient qu'il n'y aurait pas de sang et dans l’avenir. C’était l’époque où le pays a été ouverte pour le monde entier, dont elle était pendant très longtemps arrachée. On voulaient croire qu'on était entouré des amis et toutes les menaces, y compris militaires, ce sont des choses du passé. Au moins, une partie de la société et les politiciens Ukrainiens y croyaient sincèrement.

Bien que à l'époque , les dirigeants de la nation, tels que Chernovil, lukyanenko, Khmara-ils nous mettaient en garde contre la complaisance. Ils connaissaient, comme personne d'autre, les ruses du monstre impérial, et alertaient du danger qui émanait de lui. Si ils ont été entendu à l'époque, sans doute, l’histoire de l’armée ukrainienne aurait fait partie d'un autre scénario. Mais à ce moment-là, une autre question préoccupait l’élite - notamment, comment réduire en nombre le groupement militaire comptant presque un million de personnes et possédant ,de plus, des armes nucléaires.

Les structures militaires ont été obligées, ayant reçu l’ordre, de remplir le fond spécifique, composante du budget militaire, c’est par le biais de la vente des biens et matériels « excédentaires ». Bien sûr, les détournements en ont résulté. De multiples actes de diminution, destruction et liquidation de l'équipement militaire sous le slogan de "réformation". Quand notre terre a été attaqué par un ennemi, il s’est avéré que tout le nécessaire a été liquidé: armes, équipements militaires, équipement automobile...

On doit se rendre compte du fait que tous ces processus se produisaient pendant une dizaine d’années, mais avec une intensité différente. Mais dans les dernières années du règne de Ianoukovitch avant la Révolution de la Dignité, l'annihilation considérable de la capacité défensive de l’État était en plein déploiement.

Et je suis convaincu que cela a été fait délibérément et d'une manière ciblée. C’est une infraction pour laquelle il faut répondre. C'est un problème à résoudre impérativement, mais, probablement, après la guerre.

Maintenant, ce qui importe pour nous c'est de survivre et donner une riposte à l’agression. Maintenant, nous avons affaire avec les troupes russes qui sont venus armées à notre terre. Le devoir d’un soldat est de protéger son pays et ses habitants. Cela n'a rien à voir avec la familiarité ou le copinage déplacés, on en parlera après le refoulement de l’occupant de notre terre.

- Qu'est-ce que les dernières 25 années représentent personnellement pour vous ? Dans l’histoire de l'Armée ukrainienne il y a eu de différentes périodes, y compris avant la guerre et après son entrée en vigueur. Quels changements positifs ont été mis en place et a été quelles erreurs principales ont été commises?

- Le résultat principal et positif - c'est le fait, que nous avons réussi à créer l'Armée ukrainienne. Elle est réellement existant, pas trompeuse. Ceux qui se sont opposés à l’ennemi en 2014, notamment des militaires, des officiers-ils étaient capables de maintenir la capacité de combat des unités, parfois non dû aux circonstances extérieures, mais en dépit d'elles.

Véritablement, nos gens ont vécu des troubles psychologiques, surtout au début de la guerre en 2014. Le véritable combat a déclenché là où nous nous attendions le moins, contre ceux qu'on traitait quasiment des camarades de régiment. Mais la guerre fait disparaître rapidement toutes les illusions. Nos forces armées se sont très vite récupérées après le premier choc. C'étaient eux qui ont fait entrer dans l’histoire de nos de troupes des épisodes exceptionnels de l'héroïsme, du courage, malheureusement - abnégation. De véritables commandants légendaires, d'invincibles combattants ont apparu, dont le pays entier peut être fier. Nos gens c'est notre la plus grande richesse et le patrimoine historique.

Des erreurs... Vous savez, une mobilisation rapide et impressionnante de la société s’est produite pour repousser l’agression extérieure. Mais on l'a payé trop cher. La leçon que chacun d'entre nous doit en tirer , c'est ce que la société doit s'approprier une attitude responsable envers sa propre armée. Même s’il n’y a aucune menace directe et immédiate. Il est utile de se rappeler une vérité: le peuple qui ne nourrit point son armée, nourrira celle d’autrui.

Ces paroles, n'ont rien à voir avec l'attitude de notre peuple. Maintenant, nous pouvons le dire avec toute confiance. Nos soldats et officiers ont littéralement ressuscité de leurs cendres l’armée efficace et puissante et ont rembarré l’ennemi. Mais nous n'aurions jamais pu y parvenir sans l’altruisme, je dirais même, un soutien "tout azimut" de tous les Ukrainiens qui ont ressenti "l’amour" russe envers l’Ukraine et tout ce qui est ukrainien. Non seulement l'armée, la nation tout entière lutte actuellement pour sa liberté et son avenir. Cette unité de l’armée et du peuple, responsabilité totale et sans partage pour le destin de la Patrie n’est probablement pas en soi digne de notre voyage, avec tous ses aléas.

- Notre interview risque de devenir bien moins cérémonial, mais nous ne pouvons pas contourner le sujet suivant. Après l’agression russe les événements pénibles à Ilovays'k et sous Debalcevo ont eu lieu. À votre avis, qu'est-ce quiest devenu leur principale cause et pourrait-on éviter ces tragédies ?

- Ce n'est pas une période de cérémonie que nous vivons, mais de guerre. Nous tous, tous les ukrainiens, traversons une terrible épreuve, mais nous n’avons pas le droit d’avoir peur.

Pour moi comme pour n’importe quel commandant de guerre, la plus grande douleur est de réaliser que, en temps de guerre, il n’est pas toujours possible de trouver une solution qui permettrait d’éviter des pertes. C’est tout simplement impossible, parce que nous sommes confrontés à un ennemi qui n’est pas limité en moyens techniques d'attaque, manœuvre professionnellement la tactique et la stratégie, et tout cela en l’absence totale des freins morales, que, par définition, l’agresseur ne peut pas posséder.

Ce faisant, pour répondre à votre question, je ne mettrais pas Ilovays'k et Debaltseve dans la même ligne logique. Ces deux événements sont complètement différents, chacun a des raisons, des antécédents et des conséquences . Seulement deux facteurs peuvent les unir - dans les deux cas, ils ont résulté directement des actions des troupes russes, et dans les deux cas, l’ennemi a agi de la manière lâche et perfide. Au cours de la tragédie à Ilovajsk, des troupes russes mitraillaient notre colonne, qui avançait selon l'itinéraire convenu. En ce qui concerne l'offensive russe sous Debalcevo, elle s’est déroulée juste après une série décisive des négociations à Minsk entre quatre pays du "format Normandie" sur un cessez-le-feu. Autrement dit, dans ces deux cas, les militaires russes ont perfidement frappé dans le dos.

Cela ne peut pas être considérée comme une manifestation de l’art militaire, cet acte est ignoble, à tout point de vue. Ils étaient muiltiples, ces derniers, pendant cette guerre. Le premier choc, nos troupes ont reçu dans le secteur « D », lors du rétablissement du contrôle sur la frontière entre la Russie et l’Ukraine, dans les régions de Donetsk et de Lougansk. Ces événements ont été précédées de ceux à Ilovajsk, et ont conditionné en grande partie le développement ultérieur de la situation. Les troupes russes ont lancé une attaque massive contre nos positions, à l’aide d’artillerie de fusée, directement à partir du territoire de la Fédération de Russie. Les commandants russes savaient d’avance que les troupes ukrainiennes ne riposteraient pas, pour ne pas provoquer une guerre à grande échelle. Ces actions sont loin d'être appelées dignes d'un officier, ni révélatrice de la tactique militaire. C’est le comportement de l'assassin ou mercenaire. Tels qu’ils sont, nos adversaires.

Malheureusement, ce sont nos gens qui ont péri à Ilovays'k, militaires, gardes nationaux, bénévoles. A l'époque, nous essayions faire tout notre possible pour éviter des victimes parmi le personnel. Peut-être, rétrospectivement, vous pouvez calculer les différentes solutions qui ont été adoptées. Mais, en août 2014, nous n'avons pas eu de telle occasion. La situation évoluait très rapidement, changeait littéralement toutes les heures. Vous pouvez nous faire des réclamations concernant les erreurs tactiques possibles, aux chefs militaires qui ont été au centre de ces événements, mais il est inutile de nous accuser d’inaction. Tous les arrêtés et règlements, à l'époque, ont été vigoureusement documentés et donc, juristes et historiens ont toutes les infos pour leurs propres conclusions.

Pour nous, les pertes restent inassouvies. La guerre se poursuit, et chaque jour je suis informé sur les nouvelles attaques, qui estropient ou de tuent nos guerriers. Nous nous en souviendront toujours. Respect et prosternation devant les familles de nos héros qui risquent leur vie dans la lutte contre l’agresseur. Le désir le plus aigu - retour tellement attendu des soldats à domicile.

- Comment voyez-vous la résolution de la situation actuelle à Donbass et enCrimée occupés ? Y a-t-il des réponses militaires à ces problèmes ?

- Le paradoxe est que possédant des réponses militaires probables, il est quasiment impossible de trouver de véritables solutions militaires. Territoires occupés ce sont des villes et villages habités par des citoyens de l’Ukraine. Nous résistons aux envahisseurs russes, mais il ne pouvons pas agir comme ils le faisaient en Tchétchénie ou maintenant en Syrie, détruire des villes entières avec l’utilisation de bombardiers stratégiques.

Nous ne sont pas eux et ne pouvons pas détruire notre propre peuple, aucune "victoire" ne vaille pas ce sacrifice. Il est nécessaire de trouver un autre moyen. Cela concerne tous les territoires occupés, à Donbass et ceux en Crimée.

Je pense que tout le monde doit s'occuper de sa propre affaire. Les militaires cherchent à remplir son devoir. Nous détenons toujours le contrôle et ne permettrons pas l’ennemi de déstabiliser la situation sur la ligne de contact ou dans d’autres régions de l’Ukraine. Les politiciens, eux, doivent également dire leur dernier mot.

L’algorithme de l'arrangement est intelligible - reprendre le contrôle de la frontière avec la participation d’observateurs internationaux, la cessation des livraisons sur notre territoire des troupes et des armes de la Fédération de Russie, puis un processus graduel de règlement politique. Il est clair que quelque temps dans les territoires libérés fonctionnera l'administration civilo-militaire provisoire, dont la principale mission sera de ramener la primauté du droit et restaurer le travail des pouvoirs publics. Une fois la situation s’apaise, il sera possible de parler des élections dans les territoires de l’Ukraine. Pas avant. Puisqu'il n’y a aucun mécanisme démocratique qui puisse fonctionner sous la menace armée.

De plus, je voudrais souligner qu'il faut parler avec la Russie de n’importe quelle création de zones démilitarisées, disqualification des troupes russes de la ligne de contact et leur retrait complet du territoire de l’Ukraine, et non avec des marionnettes russes de LDNR. Il n'y a rien à discuter ces personnages, ils sont sans voix et n’ont pas leur propre volonté. C’est la Russie participe à cette guerre, comme la communauté internationale sait très bien. Et c'est à la Fédération de Russie d'assumer la pleine responsabilité pour les crimes de guerre en Ukraine, pour la douleur et la destruction dans la région de Donbass. Je suis convaincu que, finalement, cela le sera.

Les menaces proférées par la Fédération de Russie ne sont pas limitée à Donbass. Quels autres destinations peuvent être considérées comme menaçant, et que les forces armées font-elles afin d’éviter ces menaces ?

Je pense que la réponse à cette question est évidente. Menace pour l’Ukraine vient de partout où il y a des troupes russes. Il ne s'agit pas uniquement des territoires d'Est. Nous pouvons attendre de groupements russes du Nord, Sud-ouest et Sud, de la Crimée, où les Russes ont concentré des capacités offensives importantes.

Nous traitons ces menaces de nature militaire, nous anticipons les scénarios possibles pour l’évolution de la situation dans le cas de l’agression russe à grande échelle. Ces scripts sont pratiqués au cours d’exercices, nous étudions la défense mobile et flexible, concentrons les efforts sur les zones les plus menaçants. Malgré le fait que la Fédération de Russie a beaucoup d’armes et le potentiel humain, nous avons un avantage décisif. Nous sommes sur notre terres, qui brûlera littéralement sous les pieds des occupants.

- Pour autant que nous le sachions, la CNDS possède un programme national de développement des Forces Armées préparé par l’état-major jusqu’en 2020. Quelles sont les principales priorités de ce programme ?

- Oui, en effet, l'État-major des Forces Armées de l’Ukraine a achevé un projet de programme de l’État pour le développement des Forces Armées de l’Ukraine pour la période allant jusqu’en 2020 et a été transmis au Cabinet de Ministres. En outre, ce programme de gouvernement sera soumis à la sécurité nationale et le Conseil de défense de l’Ukraine et l’administration du Président ukrainien.

Ce document prévoit la réalisation des décisions stratégiques déjà prises. Il définit les tâches et activités, visant à la prise par des Forces Armées ukrainiennes de la capacité de répondre efficacement aux menaces à la sécurité nationale dans le domaine militaire, et incluant la défense des frontières, souveraineté et intégrité territoriale. Une composante importante du programme est la promotion cohérente et la transition des Forces Armées de l’Ukraine vers les normes euro-atlantiques.

- Nos partenaires occidentaux sont réticents à fournir des armes à l’Ukraine pour son autoprotection. Auquel point les besoins des Forces Armées ukrainiennes peuvent être satisfaits par la production de l'industrie nationale ?

- Selon mes observations, à l’heure actuelle, le complexe militaro-industriel national a une capacité de production suffisante, ainsi qu'une base matérielle et technique pour répondre aux besoins des Forces Armées de l’Ukraine. Il ne s'agit pas seulement de la restauration de l’équipement, mais aussi sa modernisation, développement et production de nouveaux modèles d’armements et équipements militaires, conformément aux indices de la commande de défense gouvernemental.

Seulement cette année le complexe militaro-industriel domestique a construit, modernisé et transféré plus d’une dizaine de milliers de modèles d’armes et équipements militaires, matériel ou biens dans les troupes. Il y a des conceptions technologiques et découvertes qui rendent possible l'intensification considérablement de notre capacité de combat, mais ce sujet est digne d’une discussion à part.

Tout ceci démontre la capacité réelle du complexe militaro-industriel domestique.

Bien sûr, les problèmes demeurent toujours. Pour créer une boucle fermée de la production nationale, il nous faudra compléter le programme de substitution d’importation des éléments individuels et des unités fournies par la Fédération de Russie. Cette tâche s'effectue régulièrement et méthodiquement, en partie par l'importation des produits "similaires" d’autres pays, en partie par le biais de notre propre production.

Il y a certains goulets d’étranglement, qui ne peuvent pas être résolus instantanément. Dont l'un c'est l'équipement des unités de combat par des véhicules, massivement vendus pendant les années avant la guerre. Nous cherchons à nous en sortir, partiellement en mettant à jour les véhicules qui faisait l’objet d’un stockage prolongé et exigent maintenant une solide réparation, et en partie en achetant de moyens de transport tous neufs. Je tiens à dire que je garde une pieuse pensée pour les bénévoles, grâce auxquels la situation dans les unités combattantes, qui sont à "zéro", est beaucoup améliorée.

- Que voudriez-vous dire, à l'occasion de la journée des Forces Armées de l’Ukraine, aux soldats ukrainiens ?

- Si c’était possible, je voudrais regarder dans les yeux de chacun de nos soldats, serrer la main, remercier, dire que je suis fier d’eux, de leur courage, compétence et dévouement. C’est un grand honneur pour moi de commander cette armée. Je nous souhaitent à nous tous la victoire, nous la remporterons puisque nous défendons notre terre.

Mikhaïl Dmytrouk, Kiev