Changer le cours de la confrontation défensive : pourquoi l'Ukraine a besoin d’armes à longue portée

Depuis près de quatre ans, la Russie bombarde l'Ukraine avec des missiles de croisière et balistiques, entraînant morts et destructions. 

Ces actions peuvent être qualifiées d’actes de terrorisme d'État et de génocide. Et l'intensité de ces frappes ne fait qu’augmenter.

La principale protection contre les missiles balistiques reste le système de défense antimissile Patriot. Alors que les missiles balistiques russes coûtent moins d’un million de dollars, chaque missile intercepteur Patriot coûte 4 millions de dollars. Ce déséquilibre épuise progressivement les stocks occidentaux de missiles Patriot, indispensables à la défense des démocraties dans le monde entier. Et cet épuisement profite aux intérêts des adversaires de manière plus large, puisque la Chine tire un avantage stratégique chaque fois que la Russie, l’Iran, les Houthis ou d'autres forces par procuration obligent l’Occident à dépenser ses précieuses munitions.

Les missiles Patriot sont des armes purement défensives, conçues à l’origine pour abattre des chasseurs ennemis. Mais cette technologie de pointe a aussi prouvé son efficacité contre les missiles balistiques. Cependant, une défense reposant sur un ratio de pertes de 1 contre 4, défavorable au défenseur, est une stratégie vouée à l’échec. Le fait que le président ukrainien Volodymyr Zelensky change d’approche stratégique selon le principe de « frapper l’archer » – c’est-à-dire intercepter les missiles balistiques et de croisière dès leur lancement – est extrêmement important, tant pour sauver des vies ukrainiennes que pour une utilisation rationnelle des stocks limités de systèmes Patriot dans le monde.

Pendant ce temps, le Tomahawk est un missile américain de longue portée éprouvé, doté d’une ogive puissante de 226 kg. Contrairement aux missiles Patriot, le Tomahawk est une arme offensive de haute précision, conçue justement pour « neutraliser l’archer » – capable de frapper les sites depuis lesquels la Russie lance ses attaques. Des frappes de précision pourraient viser les aérodromes d'où décollent les bombardiers russes, les centres de commandement et de contrôle qui dirigent ces opérations, les usines de production de drones d’attaque, ainsi que d'autres infrastructures stratégiques alimentant l’agression militaire russe contre la population civile ukrainienne. Le déploiement des Tomahawks provoquerait une forte inquiétude au sein de la direction russe.

La Russie a tiré des dizaines de milliers de missiles balistiques et de croisière sur l'Ukraine, ciblant principalement les infrastructures civiles. La réponse de l'Ukraine reste limitée en raison de l'absence de ses propres missiles de croisière à longue portée et du refus de l’Occident de fournir de tels systèmes. Étant donné l’ampleur des frappes russes, fournir à l’Ukraine des missiles de croisière ne représenterait pas une escalade, mais plutôt une réponse proportionnée et légitime, conforme aux règles de la guerre terrestre.

Les missiles de croisière Tomahawk ont été utilisés dans la plupart des opérations militaires américaines au cours des 40 dernières années. Ces missiles, généralement lancés depuis des navires ou des sous-marins, ont notamment été utilisés en Irak, en Afghanistan, au Yémen et dans d'autres zones de conflit. Le missile peut également être lancé depuis des installations terrestres, notamment dans le cas des missiles antiaériens SM-6 installés sur la plateforme Typhon, développée par la société Raytheon. Le système Typhon a été conçu principalement pour le commandement indo-pacifique (INDOPACOM) afin de fournir aux forces terrestres américaines une version terrestre du Tomahawk, ainsi que d'autres armes de haute technologie.

Une batterie de missiles antiaériens SM-6 sur plateforme Typhon est composée de quatre lanceurs en conteneur, similaires au système HIMARS. Même une seule batterie, déployée en Ukraine avec un nombre non divulgué de Tomahawks et d'autres missiles à longue portée, pourrait devenir un facteur dissuasif efficace contre de nouvelles frappes de missiles russes.

Les règles de leur utilisation pourraient prévoir qu’à partir d’une certaine date, pour chaque missile de croisière ou balistique tiré contre l’Ukraine, une frappe de précision sera effectuée contre des cibles en Russie ou sur les territoires occupés. La précision, la portée et la puissance de ces systèmes permettront de neutraliser de nombreux sites militaires russes — notamment ces mêmes aérodromes, centres de commandement et installations de production qui permettent de poursuivre les attaques contre la population civile ukrainienne — et garantiront une réponse immédiate à toute nouvelle agression.

Un tel changement de politique doit être lié à des objectifs stratégiques clairs, allant au-delà du simple arrêt des frappes de missiles russes. L’administration du président américain Donald Trump a la possibilité de définir des objectifs stratégiques complets, qui intègrent les frappes contre l’ennemi comme partie d’une approche plus large visant à détruire le potentiel offensif le plus efficace actuellement de la Russie : les frappes indiscriminées contre la population civile ukrainienne. En formulant clairement ces objectifs stratégiques, les responsables politiques peuvent garantir que la fourniture de missiles Tomahawk à l’Ukraine sert des objectifs plus larges : dissuader toute agression future et protéger les civils.

Le déploiement de tels systèmes d’armement puissants dissuadera probablement les futures frappes de missiles balistiques et de croisière russes, réduisant considérablement le nombre d’attaques contre l’Ukraine. Une telle approche sauvera des vies ukrainiennes tout en préservant les stocks mondiaux de missiles Patriot pour d’autres besoins de défense cruciaux. Plutôt que de maintenir une posture défensive déséquilibrée qui se contente d’« intercepter les flèches », fournir à l’Ukraine des capacités offensives permettant de « neutraliser l’archer » ouvre la voie à la fin du cycle des frappes de missiles indiscriminées contre les cibles civiles et soutient les objectifs stratégiques plus larges de stabilité régionale.

Au lieu de continuer à adopter une posture défensive moins efficace, consistant uniquement à « intercepter les flèches », donner à l’Ukraine les moyens offensifs de « neutraliser les archers » propose une voie vers l’interruption du cycle de frappes de missiles russes contre des infrastructures civiles en Ukraine, tout en soutenant les objectifs stratégiques globaux de stabilité régionale.

Ben Hodges, lieutenant-général (armée américaine, retraité), ancien commandant des forces américaines en Europe

Dan Rice, président de l’Université américaine de Kyiv