Pavlo Ourovetsky, procureur régional de Donetsk

Les assassins de nos soldats seront traduits en justice 

Les Russes ont transformé les localités ukrainiennes en cibles, bombardant systématiquement les quartiers d’habitation et les infrastructures civiles.

Les troupes d’occupation russes assiègent des villes entières, privant la population des moyens de subsistance les plus élémentaires. C’est ce qui s’est passé à Marioupol encerclé, à Bakhmout, Avdiivka et Kourakhove dans le Donbass. Parmi les crimes des occupants figurent les exécutions délibérées de défenseurs ukrainiens et des civils. Identifier les responsables concrets est l’une des priorités absolues du Parquet ukrainien.

Dans une interview à Ukrinform, le procureur régional de Donetsk, Pavlo Ourovetsky, revient sur ces crimes russes, ainsi que sur la certitude de leur châtiment.

DERRIÈRE CHAQUE CHIFFRE SE CACHE UNE TRAGÉDIE HUMAINE.

-Combien de procédures pénales ont été ouvertes pour crimes de guerre depuis février 2022 sur le territoire de la région de Donetsk?

-Malgré des conditions extrêmement difficiles et les attaques perfides de l’ennemi, les procureurs et les forces de l’ordre ont réussi à documenter plus de 59 000 crimes commis par l’armée de l’État agresseur. Nous avons recensé des tirs délibérés sur des véhicules civils, y compris des ambulances d’évacuation. Les militaires russes voyaient pourtant parfaitement qu’il s’agissait de civils.

-Connaissez-vous le nombre de civils tués figurant dans ces dossiers ? Combien d’enfants parmi eux ?

-En plus de trois ans, les occupants ont tué 4 472 civils dans la région de Donetsk (au 28 novembre 2025), dont 279 mineurs – ceux-là mêmes qui devaient construire l’avenir de notre pays. 8 571 personnes ont également été blessées : habitants pacifiques, journalistes, électriciens, médecins, volontaires, policiers et secouristes.

Dans ces conditions, de nombreux citoyens ont besoin, outre un soutien moral et matériel, d’une assistance juridique qualifiée. Les spécialistes du service d’accompagnement des victimes et témoins du parquet régional ont déjà apporté une aide juridique à 1 721 personnes et pris en charge 240 dossiers supplémentaires. Il s’agit notamment de victimes de bombardements, d’anciens prisonniers et de personnes ayant subi des violences sexuelles liées au conflit.

Par ailleurs, le bilan des victimes de l’agression russe n’est pas exhaustif, car nous n’avons pas accès aux territoires temporairement occupés. Des milliers de personnes y souffrent encore ; leurs pertes et leurs souffrances restent à établir et à documenter.

-Identifiez-vous les responsables concrets – militaires russes et unités qui tirent et dirigent les missiles sur la population civile ?

-L’identification des coupables précis est l’un des axes majeurs de notre travail. Chaque frappe sur des civils ou des infrastructures civiles n’est pas un « bombardement anonyme », mais un crime avec des exécutants bien identifiés : les commandants qui donnent les ordres et les unités qui les exécutent. La responsabilité pénale est engagée tant au niveau national qu’international.

Les preuves proviennent de sources multiples : témoignages des victimes et témoins, photos, vidéos, enregistrements audio, expertises (médico-légales, balistiques, militaires, etc.), données des unités militaires et services opérationnels, ainsi que renseignement OSINT.

Tout cela nous permet de reconstituer la chaîne complète des événements et de réunir une base probante suffisante pour notifier une mise en accusation.

Un exemple concret de ce travail minutieux : dans une affaire de 20 volumes, nous avons notifié par contumace une mise en accusation au commandant de la 4ᵉ armée des forces armées russes pour violation des lois et coutumes de la guerre. En mars 2022, c’est lui qui a validé les missions aériennes de bombardement de Marioupol. Résultat : des chasseurs Su-30SM/Su-30M2 ont frappé la cour de la consultation gynécologique, le service de maternité et le bâtiment pédiatrique au centre-ville. Par ailleurs, malgré l’inscription « ENFANTS » (écrite en russe par les civils), un Su-34 ennemi a largué une bombe FAB-500 sur le théâtre dramatique de Marioupol où se réfugiaient environ 1 000 civils, majoritairement des enfants, des femmes et des personnes âgées. Une partie d’entre eux ont péri, les autres ont subi des blessures de gravité variable.

LES OCCUPANTS TUAIENT DES CIVILS PENDANT LES « OPÉRATIONS DE FILTRAGE », DANS LES COURS DE LOGEMENTS

-Combien de procédures pénales ont été ouvertes pour l’exécution de prisonniers de guerre ukrainiens sur le territoire de la région de Donetsk?

-Sous la direction procédurale des procureurs régionaux, 48 enquêtes sont en cours pour des exécutions de prisonniers issus des Forces de défense ukrainiennes.

Chaque dossier constitue un crime de guerre dûment documenté. Les militaires russes exécutent délibérément nos défenseurs, en violation flagrante des Conventions de Genève et dans une démonstration ostentatoire de mépris pour la vie humaine.

Les assassins de nos soldats seront traduits en justice. Deux citoyens de l’État agresseur, militaires de l’armée ennemie, ont déjà été mis en accusation par contumace. Lors de l’assaut sur Staromaiorske, ils ont ordonné à leurs hommes de ne faire aucun prisonnier, de décapiter les combattants ukrainiens tués, puis d’empaler les têtes coupées sur des pieux et de les exposer comme une « palissade » à la place des drapeaux ukrainiens. Ils exigeaient également de piller les corps d’une brigade de la marine d’infanterie : argent, bijoux, chevrons.

-Combien d’enquêtes concernent l’exécution délibérée de civils ?

-Depuis le début de l’invasion à grande échelle, nous avons recensé de nombreux cas où les militaires russes commettaient des crimes contre la population locale. Ils tuaient des civils lors des prétendues « opérations de filtrage », dans les cours de logements, ou utilisaient des habitants comme boucliers humains lors de leur retraite.

Pour le moment, 35 procédures pénales sont ouvertes pour exécution de civils. Derrière chacune se trouvent des victimes de l’agression russe : des personnes qui tentaient simplement d’échapper aux bombardements mais se retrouvaient quand même dans la ligne de mire ennemie.

Par exemple, à Terny, des soldats russes ont aperçu une habitante qui marchait dans une rue à moitié détruite. Sur ordre de leur commandement, ils ont ouvert le feu avec des armes légères et l’ont tuée.

Autre cas d’une cruauté cynique à Zvanivka : des militaires russes ont fait irruption dans la cave d’une maison où une famille se cachait des bombardements. Ils ont abattu le père et son fils avec des armes automatiques, et blessé la mère. Dans la cave voisine, les mêmes individus ont tué trois autres civils, dont le second fils de la femme. En un seul jour, elle a perdu toute sa famille. Ses témoignages ont été consignés par les procureurs comme preuve d’un énième crime de guerre.

-Existe-t-il des enquêtes ouvertes pour torture et viol commis par des militaires russes sur nos citoyens ?

-Oui, nous avons plusieurs dossiers de cette catégorie. Sur les territoires temporairement hors de contrôle ukrainien, les représentants de l’État agresseur ne se contentent pas de tuer et torturer : ils commettent aussi des crimes sexuels.

Un cas a pu être documenté sur une zone déoccupée de la région. Deux militaires de l’unité 74854 des forces armées russes (un conducteur senior et un conducteur-ravitailleur) ont fait irruption dans la cour d’une maison où vivait la victime avec son mari et ses enfants. Sous la menace de s’en prendre aux enfants, les agresseurs armés l’ont emmenée dans la maison voisine et l’ont violée à tour de rôle. L’un d’eux l’a en outre étranglée.

Au total, plus de 400 épisodes de mauvais traitements graves, tant sur des civils que sur des prisonniers de guerre, ont été enregistrés.

LES RUSSES ONT DÉTRUIT OU ENDOMMAGÉ PLUS DE 73 000 OBJETS D’INFRASTRUCTURE DANS LA RÉGION DE DONETSK

-Quelle est la statistique des dommages causés aux différents biens par les bombardements ennemis, nécessaire pour présenter à la Russie des exigences de réparations ?

-Les troupes russes n’ont pas cessé un seul jour de bombarder des infrastructures civiles dans les localités de la région de Donetsk. Depuis 2022, les occupants ont totalement détruit ou endommagé plus de 73 000 objets d’infrastructure, dont plus de 57 000 habitations.

910 établissements scolaires ont été rasés ou gravement touchés par les munitions ennemies ; dans la plupart, les enfants ne remettront jamais les pieds. Par ailleurs, 457 attaques sur des établissements médicaux ont été recensées.

Nous documentons chaque fait, nous évaluons les dommages afin qu’ils servent, à l’avenir, dans les procédures judiciaires et politiques nationales et internationales visant à obtenir réparation de la Russie.

Lors des enquêtes, nous intégrons les documents fournis par les victimes ou leurs représentants, les données des autorités locales, et nous faisons réaliser des expertises spécialisées.

-Aujourd’hui, un sujet brûlant est le contrôle de l’utilisation des fonds publics. Que se passe-t-il du côté des enquêtes pénales dans ce domaine ?

-Malgré la situation opérationnelle très tendue dans la région, le travail de détection et d’investigation des délits liés à l’utilisation des deniers publics se poursuit de façon systématique.

Depuis le 24 février 2022, 180 procédures pénales ont été ouvertes dans la sphère budgétaire, dont 30 ont déjà été transmises au tribunal. Rien que sur août-septembre de cette année, de vastes opérations ont permis de mettre au jour de tels crimes : 23 nouvelles affaires ont été ouvertes pour un montant total de 83,9 millions de hryvnias.

Parmi les suspects figurent d’anciens et d’actuels responsables qui, au lieu d’assurer le bon fonctionnement des institutions et d’aider la population, détournaient l’argent public, gonflaient les coûts des travaux, livraient des marchandises de mauvaise qualité ou versaient indûment des salaires.

Tous ces faits sont minutieusement vérifiés : expertises, perquisitions, auditions et autres actes d’enquête sont réalisés. Nous menons chaque dossier jusqu’au bout afin qu’aucune hryvnia volée à la collectivité ne reste sans sanction juridique et que les coupables soient punis.

Olga Kolgoucheva, région de Donetsk

Photo : Parquet de la région de Donetsk