À propos d'un « échange de prisonniers exclusivement féminin »

À propos d'un « échange de prisonniers exclusivement féminin »

Ukrinform
« Nous avons été torturées avec du courant électrique, battues à coups de marteau, pendues et ébouillantées »... Témoignages de femmes ukrainiennes libérées de la captivité russe

Le 17 octobre restera dans l'histoire de notre pays comme le jour où l'Ukraine a réussi à faire revenir 108 femmes de captivité. Selon le chef du Bureau du président, Andriy Yermak, « il s'agissait du premier échange de prisonniers entièrement féminin ».

Les représentants des médias n'ont pas été autorisés à voir de leurs propres yeux comment se déroule exactement la procédure d'échange, comment les Ukrainiennes libérées traversent le territoire contrôlé par le gouvernement et montent dans les bus. Tout d'abord, personne ne peut être totalement sûr que l'État terroriste ne changera pas d'avis, ne perturbera pas l'échange, ne violera pas le régime de cessez-le-feu, et bien d'autres « ne pas ». On a donc proposé aux journalistes d'attendre simplement à un point « A » conditionnel. Nous avions été prévenus que l'on s'attendait à ce que des femmes, tant militaires que civiles, soient libérées de la captivité russe et qu'elles pouvaient refuser de communiquer. Nous étions donc même prêts au fait que nous verrions simplement des défenseuses ukrainiennes par la fenêtre du bus, qu'elles nous feraient signe (ou peut-être pas), et c'était tout. Nous avons attendu pendant près de trois heures, mais ce n'était rien comparé au temps d'attente de ces femmes.

Pendant ce temps, les autres membres du service se sont rassemblés au point « A ».

Puis les ambulances ont commencé à arriver sur le lieu de rassemblement, suivies de trois bus. Avant que les bus ne s'arrêtent, les femmes en sortaient déjà, s'embrassant, cherchant des connaissances parmi la « centaine libérée » et donnant des interviews malgré la fatigue.

« ILS NOUS ONT DIT QU'ILS ALLAIENT NOUS ABATTRE COMME DES CHIENS »

Ganna O., âgée de 26 ans, une militaire de la 36e brigade de marine, est rentrée chez elle dans l'un des bus. La jeune femme a été maintenue en captivité pendant six mois et quatre jours. Elle a quitté l'aciérie Azovstal de Marioupol avec ses camarades de service lorsque les occupants ont commencé à la bombarder. Elle affirme que s'ils ne s'étaient pas rendus, ils seraient sûrement morts.

« Je n'arrive pas à y croire... J'ai rêvé tellement de fois d'être à la maison... », avoue Ganna.

Elle parle de la captivité, les larmes aux yeux.

« Ils nous ont traités comme des animaux. Je vais vous en dire plus : même les animaux ne se comportent pas comme ça. Ils ont battu les filles, ils ont torturé les filles avec du courant électrique, ils les ont battues avec des marteaux, c'est le plus facile. Ils les pendaient. Je ne parle pas du tout de la nourriture, parce qu'elle était aigre. Même les chiens ne reçoivent pas une telle bouffe. Celles qui avaient des tatouages... ils voulaient nous couper les bras, couper les tatouages. Ils nous ébouillantaient avec de l'eau bouillante juste parce que nous existions, parce que nous faisions partie de la marine, parce que nous parlions ukrainien », la militaire raconte des horreurs qu'elle a vécues.

Lorsqu'on lui demande ce qui l'a aidée à survivre, la jeune femme avoue : « Le rêve de rentrer à la maison ».

« Nous n'avons pas trahi notre serment, les femmes médecins n'ont pas trahi le leur. C'est de cela que nous avons vécu. Juste l'espoir de retourner chez nous. »

Son enfant, sa mère et sa sœur attendent Ganna à la maison. Son mari, comme elle le dit, « est retenu en captivité quelque part ».

« Je ne sais pas où il est », précise Ganna.

La femme n'a pas encore appelé son enfant, car il s'avère que l'enfant se trouve actuellement dans le territoire occupé [c'est pourquoi nous n'indiquons pas le nom de famille de la femme], et sa mère est à Mykolaїv. La femme de service n'a pas eu de nouvelles de ses proches depuis plus de six mois.

Je demande : « Savaient-ils que vous êtes sur les listes d'échange ? »

« Non. Ils [les Russes] ont dit que nous ne serions pas échangés, que nous resterions là-bas jusqu'à la fin de « l'opération spéciale », et qu'ensuite nous aurions peut-être de la chance et que nous rentrerions chez nous, ou peut-être pas. Ils ont dit qu'en dernier recours, ils nous abattraient simplement comme des chiens. Ils disaient que personne n'avait besoin de nous ici, ils nous insultaient avec des mots ignobles et c'est tout. »

Les femmes n'ont compris qu'elles rentraient chez elles que lorsqu'elles sont arrivées en Crimée temporairement occupée, à Simferopol.

« Il y avait un garçon, je ne sais pas quel âge il a, et il a dit : « Les filles, ne vous inquiétez pas, vous allez retourner chez vous », parce que nous avons toutes commencé à pleurer. Mais nous ne l'avons pas cru. Nous avons réalisé que c'était vrai juste quand nous avons entendu notre langue maternelle... », raconte Ganna.

Elle ajoute que les occupants les ont transférées les mains attachées avec du ruban adhésif et des liens, des sacs sur la tête pour qu'elles ne puissent rien voir. Ganna a vu des connaissances du coin de l'œil, les filles ont commencé à s'embrasser, et notre conversation a pris fin.

Pendant ce temps, les défenseuses et les femmes civiles libérés ont reçu de nouveaux téléphones portables et des cartes SIM, ainsi que des produits de première nécessité. On pouvait entendre de différents côtés du site où se trouvaient les bus : « Bonjour, j'ai été échangée », « Je suis vivante », « Salut, c'est moi. Tout va bien »...

J'AI DONNÉ UNE INTERVIEW, J'AI DIT CE QU'ILS M'AVAIENT ORDONNÉ, SINON ILS M'AURAIENT BATTU

Parmi les 108 personnes libérées, il y avait une femme médecin militaire d'Azovstal qui avait été séparée de son enfant de 4 ans par les Russes lors de l'évacuation du 8 mai. À l'époque, les correspondants d'Ukrinform ont rencontré des bus avec ceux qui étaient restés dans les bunkers de l'aciérie, ont parlé à la petite Alissa qui avait voyagé de Mangouch à Zaporijjia avec des gens inconnus.

C'est une petite fille au regard très sage et mature, une enfant de quatre ans dont les mots pourraient vous donner la chair de poule. Alissa vit avec sa grand-mère en Pologne depuis plusieurs mois, elle a appris un peu le polonais et va dans un jardin d'enfants. Nous avons parlé avec sa grand-mère (la mère du médecin capturé) plusieurs fois par téléphone, mais nous n'avions aucune nouvelle de Viktoria.

En regardant les photos du lieu de l'échange, qu'Andriy Yermak a rendues publiques sur le réseau social, nous avons vu une femme qui ressemblait à Viktoria Obidina, la mère d'Alissa. Cependant, il n'était pas si facile de la trouver parmi 108 femmes dans l'obscurité totale.

On est monté dans les bus, on a demandé aux femmes, et puis, à la fin, on a commencé à l'appeler et... on a eu de la chance, elle a répondu.

« Nous avons rencontré votre enfant, parlé avec votre mère », je commence à faire connaissance avec Viktoria.

« Merci... merci beaucoup », dit la femme.

« Je peux appeler votre mère. Tout de suite. Voulez-vous parler avec elle ? »

« C'est possible ? »

Je n'ai pas réussi à joindre sa mère du premier coup, mais j'ai décidé de ne pas perdre espoir et j'ai recomposé le numéro. Et par chance, Svitlana, la mère de Viktoria, a décroché le téléphone.

« Maman, salut [à ce moment-là, elle tenait le téléphone et a failli pleurer]. Maman, merci... Je suis en Ukraine. Maman, aujourd'hui, je viens d'être échangée... Je suis très heureuse. Merci. Rien n'a été rendu : pas de documents, pas de bijoux. Rien du tout. Je t'aime beaucoup, embrasse la petite », telle a été la première conversation avec sa mère après la libération.

Viktoria a dit qu'elle travaillait dans un hôpital militaire à Marioupol et qu'elle s'est ensuite rendue à Azovstal sur ordre du commandant.

« Je suis médecin, assistante médicale dans une polyclinique. L'histoire de la fille d'Azovstal est l'histoire de ma fille. On m'a dit que mon enfant serait emmené dans un orphelinat... ils ne voulaient pas la laisser aller dans le territoire contrôlé par l'Ukraine, mais ensuite ils m'ont permis de rédiger une procuration et de la faire sortir », se souvient Viktoria des événements qui se sont déroulés au début du mois de mai.

Puis elle a quitté, avec la petite Alissa et des civils, les bunkers de l'aciérie. Cependant, lors d'une filtration à Bezimenné, les Russes ont découvert que la femme était un médecin militaire et « l'ont détenue pour une période de 30 jours ».

« Ils ont dit que s'ils ne trouvaient rien sur moi, ils me laisseraient partir, mais [...] [J'ai été maintenue en captivité pendant] 165 jours », dit-elle.

La femme savait que sa fille avait atteint Zaporijjia mais n'a appris ce qui lui était arrivé que le 4 octobre.

« L'anniversaire d'Alissa était le 3 octobre et j'ai été autorisée à appeler ma mère le 4 octobre ».

Viktoria se souvient qu'en captivité, elle a été obligée de faire appel à [la vice-première ministre ukrainienne] Iryna Verechtchouk et de demander le retour de l'enfant. Elle a été contrainte d’accorder une interview aux médias russes.

« Ils m'ont dit que je ne pouvais pas refuser. Sinon, ils m'auraient battu et auraient fait une vidéo de toute façon. J'ai dit ce qu'ils m'ont ordonné. Il n'y avait pas d'autre moyen », admet-elle.

La femme ne savait pas qu'elle était préparée pour un échange. De plus, au cours de la conversation, sa mère a dit qu'elle n'avait pas vu une seule photo de Viktoria en captivité. Personne ne savait qu'elle se trouvait à Olenivka.

« Ils n'ont pas dit que j'étais à Olenivka. J'ai passé un mois dans le bureau de lutte contre le crime organisé, puis j'ai été transférée dans un centre de détention, également pour une période d’un mois, et seulement ensuite à Olenivka [ancien établissement pénitentiaire]. »

Il y a quelques jours, Viktoria et trois autres filles (boulangères) ont été emmenées à Taganrog, en Russie. La femme se souvient qu'elle avait très peur de rester là-bas. On ne leur a rien dit de l'échange, elles ont été transportées dans l'avion avec les mains attachées et des bonnets descendus sur les yeux, ne leur permettant que de regarder en bas. Les femmes ne pouvaient pas croire qu'elles retournaient chez elles jusqu'à ce qu'elles franchissent la ligne de démarcation et montent dans des bus.

Aujourd'hui, la femme rêve plus que tout de voir sa fille. Elle dit vouloir trouver un emploi mais n'a aucune idée de ce que sera sa nouvelle vie.

Viktoria et les autres femmes ont été appelées dans les bus. Elles vont subir un examen médical et une rééducation. Alors que nous nous tenons près des bus, nous entendons Olga Lykounova, membre des forces de défense territoriale, appeler son enfant pour la première fois en six mois et cinq jours. Nous entendons des femmes de la Garde nationale de l’Ukraine, enveloppées dans des drapeaux jaune et bleu, donner leur première interview. Chacune de celles qui ont été retournées chez elles le 17 octobre ne se lasse pas de remercier les Ukrainiens et le pays et demande également de tout faire pour retourner ceux qui attendent encore l’échange.

Comme indiqué auparavant, 35 femmes des forces armées ukrainiennes, 32 femmes des forces navales, 12 femmes des forces de défense territoriale, 8 femmes de la Garde nationale, dont 2 membres du régiment d'Azov, 5 femmes du Service spécial des transports, 4 femmes du Service national des gardes-frontières et 12 civils sont revenues de captivité dans le cadre de « l'échange exclusivement féminin ».

Olga Koudria, Zaporijjia

Crédit photos : Dmytro Smolyenko

kh


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