Yana Zinkevytch, médecin bénévole, commandant du bataillon de médecins « Hospitalières »
« Je suis d’accord pour refaire pratiquement tout ce que j’ai fait dans ma vie »
07.02.2018 13:50

L'insouciante apparence d'une jeune fille blonde et svelte et le regard mûr d'un adulte où se lit la sagesse, l'expérience, les souffrances et la force ; Une jeune fille en fauteuil roulant qui a sauvé plus de 200 militaires ukrainiens. Elle, c’est Yana Zinkevytch, fondatrice et commandante du bataillon de médecins « Hospitalières ».

- Yana, On ne peut trouver d'informations sur toi qu'après le début de l’agression russe. Quelle était ta vie d’avant? Comment as-tu pu entrer dans la guerre en tant qu’un para-médecin déjà formé à l'âge d'à peine 18 ans?

- Depuis mon enfance, je savais que je voulais être un médecin. Et je me préparée à rentrer à l’université médicale. Quand je repense à toutes mes passions, je vois que tout ce que j’ai appris durant mon enfance m’a été utile pour la guerre. Comme si quelq’un m’avait formée pour cela. J’aimais beaucoup aller dans les montagnes, faire du sport. Après le lycée, je n’ai pas pu entrer à l’université dés la première année, car l’on m’a demandé de donner un pot-de-vin. J’ai refusé. D’abord, parce que je savais que j'étais capable de passer les examens sans avoir à payer. Ensuite, parce que nous n’en avions pas les moyens. Ma mére m’a elévée toute seule. Jai donc reporté mon inscription à l’année d'après et j’ai enchaîné les petits boulots.

Après est arrivé Maidan. Pravy sector a commencé à former des gens. Sachko Bily, le chef de la section de Pravy Secteur de Rivne avait compris que le Maidan serait suivi par une guerre. Il savait que la Russie ne s’arrêterait pas.

Je me suis inscrite à Pravy sector à Rivne. Nous sommes allés plusieurs fois à Maidan pour aider les manifestants. Nous avons suivi une formation pour défendre le pays dans des camps d’entraînements organisés dans des bois.

Quelques semaines après le départ de Victor Yanoukovitch, la Russie a annexé la Crimée. Puis il y a eu la guerre et la création des bataillons volontaires. La première base de Pravy sector a été créée dans la région de Dnipropetrovsk et les volontaires de toute l’Ukraine s'y rassemblaient. A l'origine, je suis partie pour le front en tant qu’un simple soldat.

A l'été 2014, les premiers combats pour Karlivka, Pisky, Avdiivka et Krasnogorivka ont eu lieu. J’ai alors compris, que les soins médicaux sur le front étaient inexistants. L’armée ukrainienne était en voie de destruction,la médecine militaire n’existait même pas.

Vu que j’avais tout de même quelques savoirs-faire, j’ai commencé à fabriquer des trousses de secours avec des produits envoyées par des civils. Par la suite, j’ai commencé à former mes camarades à apporter des soins médicaux, et ce que je ne savais pas, je l'apprenais via des livres et des vidéos. Au début du mois de juillet, le commandant m’a nommée à la tête du bataillon paramédical « Hospitalières ».

- Vous souvenez-vous de votre premier blessé?

- Oui, c’était un militaire volontaire blessé à la jambe, originaire d’Ivano-Frankivsk. À cette époque, j’avais déjà appris les bases de la chirurgie de campagne mais j’essayais de ne pas trop faire d'interventions chirurgicales toute seule, car je n’avais ni les conditions pour le faire, ni le savoir-faire nécessaires. Parfois nous n’avions cependant pas la possibilité de transporter les blessés pendant plusieurs jours donc nous n’avions aucun autre choix que d’opérer.

Quelque temps après le début de la guerre, nous avons commencé à accueillir des formateurs étrangers qui avaient l’expérience de plusieurs guerres. C’était très important pour nous d’apprendre les notions de la para-médecine de la part de professionels. À partir de l'automne 2014, nous avons reçu des médicaments et de l’équipement de la part d'Ukrainiens et de personnes du monde entier mais surtout, les premières voitures de soins intensifs (реанімобілі). C’était la période des affrontements les plus intenses autour et dans l’aéroport de Donestk.

- Tu soignais tous les soldats des Forces armées et des bataillons volontaires?

- Oui. Nous avons même soigné des séparatistes blessés, car c’est une « marchandise » pour échanger nos militaires.

- Quel était ton ressenti ? Vous n’aviez pas peur?

- Non. Je ressentais plutôt des sentiments mitigés. Au début, tout le monde pensait que la guerre allait s’arrêter très vite et que la victoire était proche mais après l’aéroport de Donetsk et Debaltseve, on a compris que tout cela durerait encore très longtemps.

Chacun a donc dû faire un choix : rester jusqu’à la fin ou apporter son aide pendant un certain temps ; revenir à la vie civile ; s'engager dans les Forces armées ukrainiennes ou à la Garde nationale.

Les bénévoles ne recoivent pas de salaire. A un moment ou à un autre  ils ont eu à penser à leurs familles.

- Yana, les combattants de l’opération anti-terroriste reçoivent des pensions. Vous en touchez une aussi ?

- Malheureusement, cette question n’est pas simple du tout. Je n’ai pas obtenu le statut d’ancien combattant. Aucun de mes soldats ne l'a obtenu.

- Pourriez-vous nous en dire plus sur votre accident, s’il vous plait?

- J’étais en train de rentrer à la base de Pravy sector. Mon ancien mari était au volant, je dormais sur le siége passager. Je n’ai pas eu le temps de me reveiller, j’ai juste ressenti un coup et la voiture a commencé à se retourner. Je ne me rappelle que d’un court instant lorsque j’ai compris que ma colonne vértebrale avait été touchée puis je me suis reveillée à l’hôpital.

Une des pires choses dans cette histoire est que ma mère a appris mon accident à la télé. L’accident a eu lieu à 4 heures du matin, j’ai été emmenée à l’hôpital entre 6 heures et 7 heures et un sujet a été diffusé. Je pense que c’est un grand défaut de notre journalisme : l'absence de comprehension que l'audience n’est pas toujours importante. Votre famille et vos proches doivent être les premiers à apprendre ce que vous est arrivé.

Plusieurs personnes ont voulu m’aider. Mes amis ont financé une intervention chirurgicale en Israël ou j'ai été transportée dix jours plus tard. J'y ai subi une opération de dix heures, le coma, un mois d’une nouvelle vie, difficile et douloureuse mais le miracle n’a pas eu lieu. Je me suis rendue compte que je ne pouvais plus marcher ( et ce n’est qu’une des conséquence de cet accident) et me relever entiérement.

Au printemps suivant, j’ai appris que j’étais enceinte. Au début, tout le monde, y compris moi-même, pensait que c’était impossible. Après la confirmation, j’étais sous l'emprise de la peur. J’avais peur que l’enfant ait des pathologies ou des maladies à cause des médicaments qui m’avaient été injectés durant des mois à hôpital. J’ai fait tous les examens et les médecins m’ont assurée que l’enfant se développait normalement, mais ont précisé que cette grossesse était un gros risque pour moi. Après tout, avec des blessures à la colonne vertébrale, non seulement je ne pouvais pas porter un bébé à terme, mais il existait aussi un grand risque que moi ou tous les deux mourrions en couches, ou même, ce qui était le plus probable, que la grossesse s’arrête vers  20-25 semaines. On ne cessait de me répeter qu'avec une telle blessuren récente qui plus est, il  fallait faire un choix - soit je vivais, soit c'était l'enfant, soit tout le monde mourrait.

Je savais que je ne pouvais pas refuser cet enfant. J'ai finalement trouvé un très bon médecin qui m’a accompagné durant toute ma grossesse et m’a opéré. J’ai tout donné, car j’avais enfin compris pourquoi j’avais survécu à cet accident : c’était pour mettre au monde cet enfant. À ce moment-là, je le croyais vraiment et c'était l'une des choses les plus importantes que j'avais à faire. J'ai appelé ma fille Bohdana (Dieudonnée, en ukrainien), parce qu'elle m’a vraiment été offerte par Dieu.

- Selon certaines sources, vous êtes en train de divorcer?

- Nous sommes déjà divorcés, même si la cour a rejeté par sept fois ma demande. Ca a été une année très difficile et malheureusement, je ne peux rien dire de positif sur les six mois qu’on a vécu ensemble.

Mon ex-mari est probablement très faible et très indifférent. Il n’a pas supporté toutes ces épreuves. Il n’avait pas besoin de famille et ne satisfaisait que ses besoins.

Pour moi, l’année de mon mariage est devenue une année de pression psychologique. J’ai compris que le divorce la meilleure décision à prendre pour ma fille et moi, pour notre sécurité. D’autant plus qu’il ne s’est pas occupé de Bohdana, ni après mon accouchement, ni pendant toute cette année.

La procédure de divorce a débuté dix jours après mon accouchement, mais il n’a voulu rencontrer sa fille qu’une fois durant tout ce temps.

- Vous avez tout de même réussi à rentrer à l’université. Comment vous sentez-vous à la fac?

J’essaie de penser à l’avenir. Je continue de contribuer à la vie de mon bataillon, en me rendant à notre base. Le travail d’aide aux blessés ne s’arrête jamais, il dure 24 heures sur 24 depuis quatre ans déjà. Même quand j’étais en Israël, je suis resté joignable pour mes soldats, excepté les quelques heures qu'a duré l’intervention chirurgicale.

Concernant mes études, on m’a bien accueilli à l’université. J’ai bien réussi les examens, même s’ils étaient difficiles. Mes trois ans d’expérience de la guerre m’ont bien aidés. Les professeurs me traîtent différemment. Certains essaient de m’aider avec des cours supplémentaires, d'autres disent derrier mon dos : "pourquoi fait-elle ça ?, comme va-t-elle travailler ? ".

Mais les médecins ne doivent pas seulement travailler physiquement ou avec leurs mains. Ils doivent d'abord travailler avec leur tête. De plus, on peut, et il faut surtout, travailler avec des combattants amputés, et qui mieux qu'une personne en fauteuil roulant pourrait mieux les comprendre. Je continue d'aller voir des militaires grièvement blessés, ceux qui ont été amputés et se sentent alors au bord du suicide. Je travaille avec eux, car entre nous on peut se comprendre.

Cette guerre a beaucoup changé notre réalité : tout le monde doit s’habituer à ce que dans notre société, il y ait désormais des amputés, des personnes en fauteuils roulants. Il faut s’y habituer et réagir correctement. Même les gens ordinaires doivent apprendre à réagir correctement ou, plus précisement, à agir comme ils le feraient avec tout le monde, sans pitié ou autre chose.

- Avez-vous malgré tout quelques instants de bonheur?

- Après cette blessure et tout ce qui est arrivé, il ne me reste qu’un dixième de mes capacités à ressentir des émotions. D’autant plus que j’ai tout le temps mal au dos. Je ne veux pas prendre d'opiacés, bien qu'ils m'aient été prescrits pour plusieurs années. Les analgésiques n'agissaient presque pas, même dans les hôpitaux. Cette douleur ne cessent jamais chez les personnes ayant des traumatismes de la colonne vértebrale. Il faut vivre avec et mourir avec. Il faut l’accepter comme quelque chose que l’on ne peut changer.

Mais quand je regarde en arrière, quand je vois les visages des gars que le bataillon a sauvés, je me rends compte que je serais d’accord pour refaire pratiquement tout ce que j’ai fait dans ma vie.

​EH

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