La Cour de l’ONU n’a pas pris de mesures préventives à l’encontre de la Russie concernant le financement du terrorisme (le texte integral du verdict)
Cette décision a été rendue publique par Rony Abraham.
«Sur cette étape, l’Ukraine n’a pas fourni de preuves démontrant formellement la plausibilité des éléments de l'affaire. Par conséquent, la Cour a conclu que les conditions nécessaires à la détermination des mesures supplémentaires en ce qui concerne les droits qui sont violés en Ukraine, en vertu de la Convention pour la répression du financement du terrorisme, ne correspondent pas aux exigences », a déclaré le président de la Cour.
La Cour estime aussi que la récolte délibérée de fonds n'a pas été prouvée.
Le texte du verdict est disponible sur le site de la Cour pénale:
La Cour dit que la Russie doit s’abstenir d’imposer des limitations a la capacite de la
communaute des Tatars de Crimee de conserver ses instances representatives,
y compris le Majlis, et faire en sorte de rendre disponible
un enseignement en langue ukrainienne
LA HAYE, le 19 avril 2017. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu ce jour son ordonnance sur la demande en
indication de mesures conservatoires presentee par l’Ukraine en l’affaire relative a l’Application de
la convention internationale pour la repression du financement du terrorisme et de la convention
internationale sur l’elimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine
c. Federation de Russie).
Le 16 janvier 2017, l’Ukraine a introduit une instance contre la Federation de Russie
concernant des violations alleguees de la convention internationale pour la repression du
financement du terrorisme (CIRFT) et de la convention internationale sur l’elimination de toutes
les formes de discrimination raciale (CIEDR). Le meme jour, l’Ukraine a presente une demande en
indication de mesures conservatoires en vue de sauvegarder, dans l’attente d’une decision de la
Cour sur le fond, les droits qu’elle revendique au titre de ces deux conventions (voir communique
de presse n°2017/2).
Raisonnement de la Cour
La Cour fait observer qu’elle ne peut indiquer de mesures conservatoires que si les
dispositions invoquees par le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle sa
competence pourrait etre fondee, mais n’a pas besoin de s’assurer de maniere definitive qu’elle a
competence quant au fond de l’affaire. Une fois sa competence prima facie etablie, la Cour ne
pourra exercer son pouvoir d’indiquer de telles mesures que si elle estime que les droits allegues
par la partie demanderesse sont au moins plausibles. En outre, un lien doit exister entre les droits
dont la protection est recherchee et les mesures conservatoires sollicitees. Le pouvoir de la Cour
d’indiquer des mesures conservatoires ne sera toutefois exerce que s’il y a urgence, c’est-a-dire s’il
existe un risque reel et imminent qu’un prejudice irreparable sera cause aux droits en litige avant
que la Cour ne rende sa decision definitive.
La Cour precise qu’elle n’a pas, aux fins de sa decision sur la demande en indication de
mesures conservatoires, a etablir l’existence de violations, mais doit determiner si les circonstances
exigent l’indication de mesures conservatoires a l’effet de proteger des droits. La decision rendue
ne prejuge en rien la question de la competence de la Cour pour connaitre du fond de l’affaire, ni
aucune question relative a la recevabilite de la requete ou au fond lui-meme. Elle laisse intact le
droit des Parties de faire valoir leurs moyens en ces matieres.
La Cour n’ignore rien du contexte dans lequel la presente affaire est portee devant elle, en
particulier les combats se deroulant dans de grandes parties de l’Ukraine orientale et la destruction,
le 17 juillet 2014, de l’avion de la Malaysia Airlines assurant le vol MH17 alors qu’il survolait le
territoire ukrainien sur le trajet entre Amsterdam et Kuala Lumpur, qui ont coute la vie a de
nombreuses personnes. Cependant, l’affaire dont elle est saisie est d’une portee limitee. En ce qui
concerne les evenements survenus dans la partie orientale de son territoire, l’Ukraine a introduit la
presente instance uniquement sur la base de la CIRFT. S’agissant des evenements qui se sont
produits en Crimee, l’Ukraine se fonde exclusivement sur la CIEDR et la Cour n’a pas, comme
l’Ukraine l’a explicitement reconnu, a statuer sur quoi que ce soit d’autre que des allegations de
discrimination raciale formulees par celle-ci.
Par ailleurs, la Cour rappelle aux Parties que, dans sa resolution 2202 (2015), le Conseil de
securite a approuve l’«ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk» qui a
ete adopte et signe a Minsk le 12 fevrier 2015. La Cour attend des Parties qu’elles s’emploient a
mettre pleinement en oeuvre, tant individuellement que conjointement, cet «ensemble de mesures»
afin de parvenir a un reglement pacifique du conflit dont l’est de l’Ukraine est le theatre.
1. Competence prima facie
La Cour releve que l’Ukraine entend fonder la competence de la Cour sur le paragraphe 1 de
l’article 24 de la CIRFT et sur l’article 22 de la CIEDR. L’Ukraine et la Federation de Russie sont
parties a ces deux conventions. La Cour note que les clauses juridictionnelles contenues dans ces
instruments subordonnent sa competence a l’existence d’un differend relatif a l’interpretation ou a
l’application de la convention a laquelle elles se rapportent. Elle observe a cet egard que les
elements verses au dossier suffisent, a ce stade, a etablir prima facie l’existence d’un differend
entre les Parties concernant l’interpretation et l’application de la CIRFT et de la CIEDR.
La Cour ajoute que les clauses juridictionnelles contenues dans la CIRFT et dans la CIEDR
subordonnent en outre la saisine de la Cour au respect de certaines conditions procedurales.
S’agissant de la CIRFT, le differend en question doit etre de ceux qui «ne peu[ven]t pas etre
regle[s] par voie de negociation dans un delai raisonnable», il doit avoir ete soumis a un arbitrage a
la demande de l’une des parties, et ne peut etre porte devant la Cour que si les parties ne sont pas
parvenues a se mettre d’accord sur l’organisation de cet arbitrage dans les six mois suivant la
demande. S’agissant de la CIEDR, la Cour ne peut etre saisie que d’un differend «qui n’aura pas
ete regle par voie de negociation ou au moyen des procedures expressement prevues par [la]
Convention». La Cour est d’avis que les elements verses au dossier suffisent a ce stade pour etablir
prima facie qu’il a ete satisfait aux conditions procedurales prealables a sa saisine prevues par le
paragraphe 1 de l’article 24 de la CIRFT et par l’article 22 de la CIEDR.
2. Les droits dont la protection est recherchee et les mesures demandees
a) La convention internationale pour la repression du financement du terrorisme
La Cour note que, aux fins de sa demande en indication de mesures conservatoires, l’Ukraine
ne se fonde que sur l’article 18 de cette convention pour enoncer les droits qu’elle invoque et les
obligations correspondantes de la Federation de Russie. Cet article dispose en substance que les
Etats Parties sont tenus de cooperer pour prevenir le financement du terrorisme, c’est-a-dire la
fourniture ou la reunion de fonds dans l’intention de les voir utilises, ou en sachant qu’ils seront
utilises, pour commettre les actes de terrorisme definis a l’article 2 de la convention. En
consequence, aux fins d’une demande en indication de mesures conservatoires, un Etat partie a la
convention ne peut se prevaloir des droits que lui confere l’article 18 que s’il est plausible que les
actes qu’il allegue puissent constituer des actes de terrorisme.
La Cour observe que les actes auxquels l’Ukraine se refere ont fait un grand nombre de
morts et de blesses dans la population civile. Cela etant, afin de determiner si les droits dont
l’Ukraine recherche la protection sont au moins plausibles, il est necessaire de rechercher s’il existe
des raisons suffisantes pour considerer que les elements figurant a l’article 2, tels que l’intention et
la connaissance, ainsi que l’element relatif au but, sont reunis. Elle est d’avis que, a ce stade de la
procedure, l’Ukraine n’a pas soumis a la Cour de preuves offrant une base suffisante pour que la
reunion de ces elements puisse etre jugee plausible. En consequence, la Cour conclut que les
conditions requises pour l’indication de mesures conservatoires relativement aux droits invoques
par l’Ukraine sur le fondement de la CIRFT ne sont pas remplies.
b) La convention internationale sur l’elimination de toutes les formes de discrimination
raciale
La Cour note que les articles 2 et 5 de la CIEDR visent a proteger les individus contre la
discrimination raciale. En consequence, aux fins d’une demande en indication de mesures
conservatoires, un Etat partie a la convention ne peut se prevaloir des droits que lui conferent les
articles 2 et 5 que s’il est plausible que les actes qu’il allegue puissent constituer des actes de
discrimination raciale au sens de la convention. En l’espece, sur la base des elements produits
devant la Cour, il apparait que certains des actes allegues par l’Ukraine remplissent cette condition
de plausibilite. Tel est le cas de l’interdiction du Majlis et des restrictions invoquees par l’Ukraine
s’agissant des droits des Ukrainiens de souche en matiere d’education.
Ainsi que la Cour l’a deja rappele, un lien doit exister entre les mesures sollicitees et les
droits dont il est pretendu qu’ils sont exposes a un risque de prejudice irreparable. Dans la presente
procedure, tel est le cas des mesures destinees a sauvegarder les droits de l’Ukraine, au titre des
articles 2 et 5 de la CIEDR, relatifs a la capacite de la communaute des Tatars de Crimee de
conserver ses institutions representatives et a la necessite que des cours en langue ukrainienne
puissent etre assures dans les etablissements d’enseignement de Crimee.
3. Le risque de prejudice irreparable et l’urgence
Eu egard a la conclusion a laquelle elle est parvenue precedemment, selon laquelle les
conditions requises pour l’indication de mesures conservatoires relativement aux droits invoques
par l’Ukraine sur le fondement de la CIRFT ne sont pas remplies, la Cour estime que la question
du risque de prejudice irreparable et de l’urgence ne se pose qu’en ce qui concerne les mesures
conservatoires sollicitees en relation avec la CIEDR.
La Cour note que certains droits en cause dans la presente procedure, notamment les droits
politiques, civils, economiques, sociaux et culturels garantis par l’article 5 de la CIEDR sont de
nature telle que le prejudice qui leur serait porte pourrait se reveler irreparable. En l’etat des
elements verses au dossier, la Cour est d’avis que les Tatars de Crimee et les Ukrainiens de souche
presents dans la peninsule semblent se trouver encore dans une situation de vulnerabilite. A cet
egard, la Cour prend note de rapports recents du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits
de l’homme sur la situation des droits de l’homme en Ukraine, ainsi que du rapport de la mission
de l’OSCE chargee de l’evaluation de la situation des droits de l’homme en Crimee. Elle est d’avis
qu’ils attestent, prima facie, l’existence de limitations quant a la capacite des Tatars de Crimee de
choisir leurs instances representatives et de restrictions quant a la disponibilite de cours en langue
ukrainienne dans les etablissements d’enseignement de Crimee. La Cour en deduit qu’il existe un
risque imminent que les actes mentionnes plus haut puissent causer un prejudice irreparable aux
droits invoques par l’Ukraine.
4. Conclusion et mesures a adopter
La Cour conclut de l’ensemble des considerations qui precedent que les conditions
auxquelles son Statut subordonne l’indication de mesures conservatoires sont reunies dans le cas de
la CIEDR. Afin de proteger les droits revendiques par l’Ukraine, il y a donc lieu pour elle
d’indiquer les mesures suivantes :
«1) En ce qui concerne la situation en Crimee, la Federation de Russie doit,
conformement aux obligations lui incombant au titre de la convention
internationale sur l’elimination de toutes les formes de discrimination raciale,
a) Par treize voix contre trois,
S’abstenir de maintenir ou d’imposer des limitations a la capacite de la
communaute des Tatars de Crimee de conserver ses instances representatives, y
compris le Majlis ;
b) A l’unanimite,
Faire en sorte de rendre disponible un enseignement en langue ukrainienne ;
2) A l’unanimite, les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait
d’aggraver ou d’etendre le differend dont la Cour est saisie ou d’en rendre la
solution plus difficile.»
Composition de la Cour
La Cour etait composee comme suit : M. Abraham, president ; M. Yusuf, vice-president ;
MM. Owada, Tomka, Bennouna, Cancado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja,
Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, juges ; MM. Pocar, Skotnikov, juges ad hoc;
M. Couvreur, greffier.
M. le juge Owada joint a l’ordonnance l’expose de son opinion individuelle ; M. le juge
Tomka joint une declaration a l’ordonnance ; MM. les juges Cancado Trindade et Bhandari
joignent a l’ordonnance les exposes de leur opinion individuelle ; M. le juge Crawford joint une
declaration a l’ordonnance ; MM les juges ad hoc Pocar et Skotnikov joignent a l’ordonnance les
exposes de leur opinion individuelle.
___________
Un resume de l’ordonnance figure dans le document intitule «Resume 2017/2», auquel sont
annexes des resumes des opinions individuelles et des declarations. Le present communique de
presse, le resume de l’ordonnance, ainsi que le texte integral de celle-ci sont disponibles sur le site
Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».
___________
Remarque : Les communiques de presse de la Cour ne constituent pas des documents
officiels.
___________
La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies (ONU). Elle a ete instituee en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entame
ses activites en avril 1946. La Cour a son siege au Palais de la Paix, a La Haye (Pays-Bas). C’est le
seul des six organes principaux de l’ONU dont le siege ne soit pas a New York. La Cour a une
double mission, consistant, d’une part, a regler conformement au droit international les differends
d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrets qui ont force obligatoire et sont
sans appel pour les parties concernees) et, d’autre part, a donner des avis consultatifs sur les
questions juridiques qui peuvent lui etre soumises par les organes de l’ONU et les institutions du
systeme dument autorisees a le faire. La Cour est composee de quinze juges, elus pour un mandat
de neuf ans par l’Assemblee generale et le Conseil de securite des Nations Unies. Independante du
Secretariat de l’Organisation des Nations Unies, elle est assistee par un Greffe, son propre
secretariat international, dont l’activite revet un aspect judiciaire et diplomatique et un aspect
administratif. Les langues officielles de la Cour sont le francais et l’anglais. Aussi appelee «Cour
mondiale», elle est la seule juridiction universelle a competence generale.
Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la
procedure contentieuse) et a certains organes et institutions du systeme des Nations Unies (pour la
procedure consultative), avec les autres institutions judiciaires, penales pour la plupart, etablies a
La Haye et dans sa proche banlieue, comme le Tribunal penal international pour l’ex-Yougoslavie
(ou TPIY, juridiction ad hoc creee par le Conseil de securite), la Cour penale internationale (ou
CPI, premiere juridiction penale internationale permanente, creee par traite, qui n’appartient pas au
systeme des Nations Unies), le Tribunal special pour le Liban (ou TSL, organe judiciaire
international dote d’une personnalite juridique independante, etabli par le Conseil de securite de
l’Organisation des Nations Unies a la demande du Gouvernement libanais et compose de juges
libanais et internationaux), ou encore la Cour permanente d’arbitrage (ou CPA, institution
independante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et facilitant leur fonctionnement,
conformement a la Convention de La Haye de 1899).
___________
Departement de l’information :
M. Andrei Poskakoukhine, premier secretaire de la Cour, chef du departement (+31 (0)70 302 2336)
M. Boris Heim et Mme Joanne Moore, attaches d’information (+31 (0)70 302 2337)
M. Avo Sevag Garabet, attache d’information adjoint (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)
EH