Eliot Higgins, Fondateur de Bellingcat, un groupe international de journalistes d'investigation
J'ai réalisé que les études de géolocalisation vidéo que j'avais utilisées pour la Syrie pourraient également être utilisées pour le MH17
01.11.2019 16:44

L’essentiel pour lui, ce sont les faits. Grâce à eux, il dissipe facilement la désinformation. À la recherche de la vérité, il doit faire face à une grande quantité d'informations. En analysant les sources ouvertes, le britannique Eliot Higgins a réalisé une véritable révolution. En étudiant des photos, des vidéos et des cartes dans les moindres détails, il a pu obtenir des résultats incroyables dans le cadre des enquêtes sur les affaires les plus importantes et qui ont le plus de résonnance.

Son histoire a commencé avec un blog et la guerre en Syrie. C'est alors qu'est né Bellingcat, une plateforme réunissant des journalistes d'investigation. L’équipe Bellingcat s’est attaquée à l’agression russe en Ukraine, à l’empoisonnement de l’ancien agent des services de renseignement russes Sergiy Skripal et de sa fille Yulia à Salisbury en Angleterre, et bien sûr à la tragédie du MH17.

Lors d’un colloque international intitulé «Cinq ans après la catastrophe du MH17» organisé à la veille de la commémoration en souvenir des victimes de la tragédie, leurs proches espéraient davantage entendre le fondateur de Bellingcat que l’Équipe conjointe d’investigation (JIT).

Alors, que sait-il sur le crash du vol MH17, comment a-t-il eu l’idée de créer le groupe d’investigation, qui finance la plateforme et qui coopère avec lui? Eliot Higgins a dévoilé tout cela dans une interview exclusive accordée au correspondant d’Ukrinform.

- Le projet Bellingcat a démarré en juin 2014. Pourquoi ce nom? Que signifie Bellingcat? Comment l'histoire de Bellingcat a-t-elle commencé?

- Depuis deux ans et demi, je suis blogueur sous le pseudonyme Brown Moses. C'était juste mon blog, créativement nommé Brown Moses Blog. Travaillant sous le pseudonyme de Brown Moses, j'ai constaté un intérêt croissant pour les enquêtes open source. De plus en plus de gens voulaient faire partie du blog de Brown Moses. À l'époque, j'étais la seule personne à écrire sur ce blog, alors que le nombre de ceux qui souhaitaient se joindre au processus augmentait. Compte tenu de cet intérêt irrésistible pour les informations open source et du fait que de plus en plus de personnes souhaitaient rejoindre le blog, j'ai pensé créer un nouveau site, non lié à mon nom, où chaque auteur pourrait obtenir une évaluation complète de son travail et fournir des études de cas pour les personnes souhaitant en savoir plus sur l'analyse d'informations open source.

Je devais trouver un nom pour le nouveau site, mais je ne sais pas inventer des noms sympas et percutants, et tous ceux qui me venaient à l'esprit étaient déjà pris. Mon ami Peter Jukes est écrivain, alors j'ai pensé qu'il pourrait avoir de bonnes idées et je l'ai appelé. Il m'a raconté l’histoire de «belling that cat», l’histoire d’un groupe de souris qui avaient très peur d'un gros chat, alors elles ont décidé de lui mettre une clochette au cou. Mais ensuite, elles se sont rendu compte qu’elles n’avaient aucun plan pour réaliser ce projet, car c’était juste une idée. Alors Peter a pensé que nous pourrions apprendre aux gens à mettre une cloche au cou d'un chat.

- Vous avez également eu un pseudonyme intéressant, Brown Moses. Pourquoi l’avez-vous choisi?

- Je l'ai choisi il y a de nombreuses années, peut-être en 1998, comme alias du jeu en ligne MMORPG Ultima Online, principalement parce que c'était le nom d'une chanson de Frank Zappa que j'écoutais à l'époque. Mais comme je l'ai dit, je ne suis pas très créatif pour inventer des surnoms.

- Sous ce pseudonyme, vous avez également travaillé sur la situation en Syrie. Pourquoi avez-vous utilisé un surnom lors de votre enquête initiale?

- J'ai commencé le blog Brown Moses au début de 2012, mais auparavant, c’est sous pseudo que j'avais écrit et commenté sur différents forums en ligne, ainsi que sur le blog Guardian Middle East Live en 2011, lorsque j'ai appris à utiliser les open source pour les enquêtes. L'authenticité des vidéos libyennes a fait l'objet de nombreux débats et controverses, de même que de questions sur le lieu où elles avaient été filmées. Alors, j'ai décidé d'essayer d'utiliser des images satellites pour trouver des points de repère qui correspondaient à ce qui était sur la vidéo, et cela a fonctionné. C'était la première fois que je m’intéressais à ce que nous appelons la géolocalisation, une compétence essentielle pour tout chercheur open source.

- Quand avez-vous réalisé que l'analyse d'informations provenant de sources ouvertes, telles que des vidéos, des cartes, des photos, fonctionnait avec succès?

- Je pense que cela s'est vraiment passé lors de ces premières discussions en ligne et commentaires tels que le blog en direct the Guardian Middle East Live Blog, mais c'était quelque chose que nous considérons maintenant comme très simple. Pendant de nombreuses années, j'ai été constamment étonné des résultats pouvant être obtenus en recherchant des sources ouvertes. Et c’est extrêmement agréable de participer à quelque chose qui t’étonne toujours.

- Quand avez-vous décidé qu'il était temps de collecter des fonds pour votre nouveau site Web Bellingcat avec Kickstarter (un site dédié aux projets créatifs de financement participatif)?

- Au début de 2014, un propriétaire de site média qui était intéressé par un investissement dans mon travail a pris contact avec nous et nous avons convenu qu'il financerait le lancement de Bellingcat. Nous avons discuté des détails du contrat pendant un moment, mais nous n’avons finalement pas réussi à nous mettre d’accord, au dernier moment tout a échoué. C'était en juin 2014, j'avais déjà commencé à concevoir un nouveau site, lorsque tout à coup, je me suis retrouvé sans financement. À ce stade, j'ai dû contacter Kickstarter pour continuer à lancer mon site. J’ai collecté un peu plus de 50 000 livres en environ un mois.

- Qui finance actuellement Bellingcat?

- Actuellement, environ 50/50 des fonds proviennent des sponsors et des recettes des workshops, ainsi qu'un peu de la plateforme Patreon. Nos sponsors sont maintenant la Fondation nationale pour la démocratie, une organisation privée à but non lucratif basée aux États-Unis, qui octroie chaque année plus de 1600 subventions pour soutenir des projets d'ONG à l'étranger qui promeuvent les principes démocratiques dans plus de 90 pays. - Éd.), Porticus (organisation internationale offrant une gamme complète de services de gestion de subventions; chaque année, environ 2000 projets sont financés dans près de 90 pays), Adessium (fonds de subvention privé et indépendant, base aux Pays-Bas, soutient des initiatives et des organisations qui cherchent à apporter un changement durable et positif dans la société - ed.), Open Society Foundationshttps (Open Society Foundations, soutient des personnes et des organisations du monde entier qui luttent pour la liberté d'expression, la transparence et une société qui promeut l'égalité et la justice, ainsi que Dutch Postcode Lottery.

Nous avons récemment créé un fonds caritatif aux Pays-Bas pour Bellingcat, ce qui signifie que nous disposons d'informations très détaillées sur notre organisation à l'adresse. Nous l’avons fait afin de garantir la plus grande transparence possible de toutes nos opérations. Comme vous le savez probablement, il y a des gens qui attaquent notre travail en prétendant que nous recevons d'énormes revenus de différents gouvernements, mais la réalité est reflétée en détail sur notre site.

L’INTERACTION AVEC UN GROUPE D'ENQUÊTE INTERNATIONAL NE FONCTIONNE QUE DANS UN SENS

- Lorsque nous vous avons rencontré pour la première fois (Lors d’un colloque international intitulé «Cinq ans après la catastrophe du MH17»), les invités disaient dans les couloirs: «Je me demande qui en sait le plus: l'équipe conjointe d’investigation internationale ou Eliot Higgins». Alors qui en sait le plus?

- Je suis tout à fait convaincu que c’est l'équipe conjointe d’investigation. Bien que nous puissions montrer beaucoup plus d’informations car elles sont open source. Les représentants de l’Équipe conjointe d’investigations (JIT) travaillent avec des données qui ne peuvent pas être rendues publiques. Ils disposent donc de tout le matériel open source et de beaucoup plus encore. Les conférences de presse de l’Équipe conjointe d’investigations (JIT) nous intéressent toujours beaucoup. Parce que nous connaissons si bien le dossier et les informations open source qu'il nous est plus facile de nous rendre compte quand l'équipe internationale d'enquête a quelque chose qui va au-delà de tout cela, et nous avons vu comment ils présentent de nouvelles preuves lors d'une précédente conférence de presse. Cela nous donne donc une meilleure compréhension de la situation et davantage de données open source après la publication d’informations supplémentaires par le JIT.

- Dites-nous comment votre enquête sur l'affaire MH17 a commencé?

- Bellingcat a été lancé le 14 juillet 2014, quelques jours avant que le MH17 ne soit abattu. En gros, moi et quelques autres personnes, nous avons exprimé le souhait d'écrire des articles. À l'époque, je me concentrais principalement sur la Syrie et je savais très peu de choses sur le conflit en Ukraine. Mais après que le MH17 a été abattu, de nombreux documents sur ce qui s'est passé et de nombreuses déclarations contradictoires ont été soudainement publiés. Il y avait beaucoup de discussions en ligne, et j'ai réalisé que les mêmes méthodes que j'avais utilisées pour la Syrie au cours des deux dernières années pouvaient être utilisées pour le MH17, alors j'ai commencé à explorer la géolocalisation vidéo. Au même moment, d'autres personnes faisaient la même chose sur les réseaux sociaux. Certaines ont commencé à communiquer régulièrement et je les ai invitées à écrire à Bellingcat à propos de leurs découvertes. Et au fil du temps, nous avons commencé à travailler plus activement ensemble.

- Comment avez-vous commencé à travailler avec l’Équipe conjointe d’investigations (JIT)?

- Notre engagement ne peut pas s'appeler une coopération, mais nous partageons des informations avec l'équipe internationale d'enquête commune (JIT). Et cela ne fonctionne que dans un sens. Nous leur envoyons des informations, des matériaux, mais pas l'inverse. Je leur ai parlé pour la première fois en octobre 2014, lorsqu'ils ont contacté la police britannique et demandé de prendre rendez-vous avec moi. J'ai passé plusieurs heures avec eux à discuter et à examiner en profondeur les articles que nous avons publiés, en expliquant ce que nous avons fait. Et ils semblaient très intéressés par ce que nous avons publié.

- Les audiences concernant le MH17 commencent le 9 mars 2020. Les proches des victimes du crash du MH17 attendent ce jour avec impatience. Que savez-vous de la préparation? Combien de témoins seront au tribunal? En juin, l’Équipe d’investigation conjointe internationale a nommé quatre suspects. Y aura-t-il de nouveaux noms avant le début du procès?

Je ne connais pas les témoins ni d'autres détails similaires, mais peut-être que plus de personnes seront accusées avant le procès de mars 2020. Ce sera un procès long, je pense que la première réunion sera plutôt administrative et que l’examen de l’affaire commencera plus tard.

LE «REAL CHALLENGE» - UTILISER LES RESULTATS DU TRAVAIL AU TRIBUNAL

- Pouvez-vous m'en dire plus sur votre équipe? Qui travaille chez Bellingcat? Combien de personnes sont impliquées dans le projet et dans quels pays?

- Au cours de la dernière année, nous avons considérablement augmenté. Nous avons maintenant environ 20 employés à temps plein, dont beaucoup aux Pays-Bas, d'autres au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Nous avons également une quinzaine de volontaires qui font eux aussi partie de notre équipe d’enquête principale. Et ils viennent de partout: d'Ukraine, de Finlande, de Pologne, de Bulgarie et d'autres pays.

- Quelles organisations vous ont proposé de travailler avec elles?

- Nous travaillons avec un large éventail d’organisations. Le plus notable est probablement le travail que nous faisons avec les médias. Nous avons beaucoup travaillé avec The Insider, qui a très bien repéré les suspects concernant le MH17 et les agents du GRU, ce qui présente des risques importants en Russie. Ils méritent beaucoup plus d’attention pour leur travail que ce qu’ils ont reçu jusqu’à présent. Nous avons collaboré avec des médias tels que Buzzfeed, le New York Times, Radio Free Europe et d'autres. La collaboration est une partie importante de notre approche du travail, nous sommes donc toujours à la recherche d'opportunités pour collaborer avec d'autres organisations.

DES ORDURES POUR LA CONSPIROLOGIE

- Dans l'une de vos interviews, vous avez déclaré que lorsque la Russie cessera de mentir, vous n'aurez plus rien à écrire. À l'approche du procès, les journalistes russes deviennent plus actifs. Le 23 octobre, La Haye a projeté un film sur la tragédie du MH17 intitulé «L'appel à la justice». Ses auteurs sont la journaliste russe Yana Yerlashova et le blogueur néerlandais Max van der Werf. Que pensez-vous de ce film ?

-Je pense que ce sont des ordures pour la théorie du complot, laquelle nourrit des idiots qui pensent être plus intelligents que les autres.

- Les films de la journaliste russe Yana Yerlashova sont vivement critiqués. Elle cherche à jeter le doute sur les résultats de l'enquête officielle de l'Équipe d'enquête internationale (EIT) ainsi que sur votre enquête sur la tragédie du MH17. Qu'en pensez-vous?

- À mon avis, ces personnes veulent tellement prouver que l'Ukraine est coupable qu’elles s'accrochent à n’importe quelle théorie qui passe. Peu leur importe que leurs déclarations ne soient jamais cohérentes. Je fais des recherches sur ces différentes théories depuis 5 ans, et elles passent simplement d’une théorie à l’autre parce qu’elles sont réfutées à maintes reprises. Elles ne se demandent jamais si quelque chose ne va pas dans leur analyse. Tout ce qui les intéresse, c'est que la Russie ne soit pas à blâmer et que l'Ukraine le soit. Et elles sont heureuses d'avaler n’importe quelle bêtise pour continuer leurs chimères, car sinon elles devraient s’avouer à elles-mêmes et avouer au monde qu'elles sont stupides.

- Savez-vous qui a abattu le MH17? Connaissez-vous leurs noms? Savez-vous qui a appuyé sur le bouton et déclenché le «Buk»?

- Nous n'avons pas de noms spécifiques pour ceux qui ont appuyé sur le bouton. Ce n'est en quelque sorte pas le plus important, car ils font partie de la structure de gestion et de contrôle qui les a amenés à appuyer sur le bouton. Toute cette structure est à blâmer pour ce qui s'est passé. Nous avons une idée très claire de cette structure: qui était responsable de quoi. Je suis convaincu que l’équipe conjointe d’investigations (JIT) en est encore plus consciente.

- Sur quelles enquêtes travaillez-vous actuellement en dehors du MH17?

- Nous surveillons actuellement les activités de l'extrême droite dans l'Union européenne et aux États-Unis, et effectuons un travail important en Amérique latine. C'est notamment le cas du meurtre d'un journaliste mexicain sur lequel nous travaillons avec des enquêteurs locaux. Nous explorons toujours les différentes activités de la Russie en Europe et prévoyons de préparer encore plus de numéros des podcasts de Bellingcat, dont le premier est consacré au MH17. Les numéros suivants porteront sur les activités du GRU en Europe, et un numéro plus court sera consacré à une enquête commune que nous avons menée avec la BBC concernant le meurtre de civils au Cameroun. Je travaille également sur un livre qui paraîtra au printemps prochain et pour lequel nous avons déjà trouvé un éditeur russe. Et aussi - un autre grand projet que j'espère annoncer plus tard, cette année

Iryna Drabok, La Haye

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