Andrew Leslie, аncien commandant de l’armée canadienne
 Les succès militaires de l’Ukraine entreront dans les manuels d’histoire
10.11.2025 19:00

Ancien commandant de l’armée canadienne, Andrew Leslie, général-lieutenant à la retraite, est l’un des stratèges militaires les plus expérimentés du Canada. Ancien membre de la Chambre des communes et représentant du gouvernement au parlement, il possède également une compréhension approfondie de la politique de défense et des mécanismes décisionnels.

Dans un entretien accordé à Ukrinform, il livre son analyse de la guerre russo-ukrainienne, de l’innovation militaire ukrainienne et des lacunes de la politique de défense occidentale. Il avertit que le monde traverse la période la plus dangereuse depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et insiste : les démocraties doivent se réarmer, respecter leurs engagements de défense et percevoir la lutte de l’Ukraine non comme une guerre étrangère, mais comme la défense avancée de l’ordre mondial.

L’OTAN EST LE RESTE DU MONDE LIBRE DOIVENT RENFORCER LEUR SOUTIEN À L’UKRAINE

– Général Leslie, comment évaluez-vous le déroulement de la guerre en Ukraine ?

- Les Forces armées ukrainiennes et le peuple ukrainien font des efforts extraordinaires pour défendre leur État, leurs foyers et leurs proches. Malgré des problèmes d’approvisionnement et des changements dans les décisions concernant les systèmes d’armes à fournir, les Ukrainiens peuvent être fiers de leurs accomplissements. Malheureusement, la Russie n’a pas l’intention de s’arrêter, donc il est crucial que l’OTAN et tout le monde libre fassent tout leur possible pour soutenir l’Ukraine.

– Les Ukrainiens apprécient le soutien constant du Canada. Que peuvent faire le Canada et ses alliés à ce stade ?

- Je suis heureux d’entendre que les Ukrainiens reconnaissent l’aide que nous apportons avec nos alliés. Mais, en tant que Canadien qui suit cette guerre de près, professionnellement et personnellement, je ne peux pas dire que je suis très fier de la contribution du Canada. Pour un pays de 40 millions d’habitants et une économie de plus de 2 000 milliards de dollars, notre volume d’armes transféré à l’Ukraine n’est pas parmi les plus importants.

Le Canada aurait pu produire des obus de 155 mm, mais l’usine a été fermée il y a quelques années. Nous aurions pu fournir plus de huit chars, mais nous n’en avons pas acheté suffisamment même pour nos propres besoins. Le Canada peut et doit faire davantage.

– Les pays occidentaux ont-ils une stratégie claire à long terme pour assurer la victoire de l’Ukraine ?

-  Le problème avec un grand nombre d’alliés, c’est que chacun a sa propre idée de ce qu’est la victoire et comment l’obtenir. Mais l’important, c’est que la majorité des Ukrainiens savent exactement ce qu’ils veulent. Et de plus en plus de membres de l’OTAN commencent à se concentrer non pas sur ce qu’ils peuvent fournir, mais sur les besoins exprimés par l’Ukraine. C’est un changement positif.

L’ARMÉE UKRAINIENNE COMME MODÈLE POUR LE MONDE

– Quelle est votre évaluation de la capacité de l’Ukraine à s’adapter à la guerre moderne ?

-  Les succès militaires de l’armée ukrainienne entreront dans les manuels d’histoire. Les militaires du monde entier étudient désormais les leçons que les Forces armées ukrainiennes tirent sur le champ de bataille.

L’armée ukrainienne, avec beaucoup moins de ressources et de matériel, dont une grande partie non standardisée, a montré une capacité incroyable à intégrer différents systèmes de combat. Qu’il s’agisse d’artillerie automotrice, de systèmes de lance-roquettes multiples, de drones ou de l’usage innovant des hélicoptères et de la technique terrestre, les Ukrainiens s’en emparent en quelques jours seulement après leur réception. C’est impressionnant. Grâce à leur initiative, leur volonté de combattre jusqu’au bout et leur pensée non conventionnelle, ils ont tenu le « ours russe » aussi loin que possible. Pourtant, les Russes continuent leurs attaques malgré leurs pertes.

– L’OTAN affirme souvent qu’elle apprend de l’Ukraine, alors que l’Alliance elle-même traverse sa plus grande épreuve depuis la guerre froide. Quel rôle l’Ukraine y joue-t-elle ?

- À mon avis, nous traversons le moment le plus dangereux depuis la création de l’Alliance. Pourquoi ? Parce qu’une puissance nucléaire est entrée en Europe et mène des opérations militaires intenses et sanglantes, utilisant des méthodes et tactiques barbares. Une erreur pourrait avoir des conséquences mondiales. Tout le monde espère que cela n’arrivera pas, mais la situation pourrait provoquer encore plus de chaos, voire étendre la guerre.

L’ADHÉSION DE L’UKRAINE À L’OTAN RESTE UN DÉFI COMPLEXE

– L’OTAN accordera-t-elle finalement à l’Ukraine un statut de membre à part entière ? 

 J’ai été général au sein de l’OTAN, donc je connais les documents et règles de l’Alliance, l’une d’elles stipulant clairement qu’un État en guerre ne peut accéder au statut de membre. C’est le premier obstacle majeur. Il y en a un second : ces décisions requièrent l’unanimité. Comme nous le savons, certains membres de l’OTAN, comme la Hongrie et peut-être un ou deux autres, sont peu susceptibles de soutenir l’entrée de l’Ukraine. Je ne peux pas dire comment surmonter ces obstacles. Tous souhaitent évidemment que l’Ukraine soit en sécurité et que la guerre se termine sans renoncer à des territoires, mais le faire dans le cadre des règles actuelles est extrêmement complexe. 

– Cela signifie-t-il que la prudence politique et le refus d’accepter l’Ukraine continueront à dominer, même après la fin de la guerre ?

 - Je ne sais pas et je ne veux pas spéculer, car je ne dispose pas de tous les faits. Je ne connais pas la position actuelle des États-Unis, acteur clé de ce processus, notamment concernant les négociations avec la Russie. Je ne sais pas non plus combien de membres de l’OTAN soutiendraient réellement l’adhésion de l’Ukraine si la question était soumise au vote. J’espère sincèrement que l’Ukraine rejoindra un jour l’Alliance, mais à court terme, la guerre est si intense et les émotions si exacerbées que beaucoup de pays ne pourront pas soutenir cette adhésion. À ma connaissance, le Canada est favorable à l’entrée de l’Ukraine, mais notre influence dans les centres décisionnels n’est plus celle d’avant. 

LES DÉMOCRARIE DOIVENT SE RÉARMER

– Vous avez déjà alerté sur les dangers de la politique mondiale et le retour à une époque de confrontation entre grandes puissances. Comment les démocraties doivent-elles se préparer à un éventuel conflit global ?

- Nous devons nous réarmer. Il faut expliquer aux électeurs et aux décideurs l’importance de respecter tous les engagements de défense. L’OTAN doit devenir plus forte, avec ou sans les États-Unis. Le Canada s’était engagé il y a longtemps à consacrer 2 % du PIB à la défense, mais ce n’est que maintenant que nous nous rapprochons de cet objectif. Aujourd’hui, on parle de 5 %. Nous devons atteindre ce niveau de dépenses pour contribuer à la sécurité de nos alliés. La meilleure façon de prévenir la guerre est d’être fort. Les dictateurs n’attaquent que les faibles. Trop de pays ne respectent toujours pas leurs engagements de défense et disposent de vastes territoires vulnérables. Nous vivons une période trop dangereuse pour rester exposés. 

– Le risque que la guerre déborde de l’Ukraine est-il sérieux ?

 - Ce risque est proportionnel à l’ambition des dirigeants des régimes autoritaires. Les leaders de la Chine, de la Corée du Nord, de la Russie, de la Biélorussie, de l’Iran et d’autres cherchent à exploiter la guerre en Ukraine pour étendre leurs ambitions territoriales et affaiblir le droit international. C’est pourquoi nous devons prendre au sérieux notre contribution proportionnelle à la défense, ce qui n’a pas toujours été le cas. Je me réjouis que le gouvernement actuel du Canada ait alloué des fonds supplémentaires à la défense — cela aurait dû être fait il y a dix ans. Mais mieux vaut tard que jamais. 

– Le Canada est-il prêt aux réalités du monde moderne ?

 - Les dirigeants actuels du Canada sont bien mieux préparés qu’il y a six mois. Les Canadiens comprennent de plus en plus l’importance d’avoir des amis et des alliés sur lesquels s’appuyer. Mais si nous attendons de l’aide, nous devons aussi être prêts à épauler nos alliés. Pendant des générations, les Canadiens ont cru que les Américains les protégeraient toujours. Je suis convaincu que les États-Unis resteront nos amis et alliés longtemps, mais cette approche ne peut plus être unique. Chaque pays doit paraître fort par lui-même. C’est le meilleur moyen de prévenir la guerre. Si tu veux la paix, montre ta capacité de défense. 

L’INFORMATION ET LA VÉRITÉ COMMES ARMES

– Que diriez-vous aux Canadiens qui considèrent la guerre en Ukraine comme un problème lointain et étranger ?

 - Je soulignerais que ce qui se passe là-bas nous affecte aussi ici. Dans un monde où le commerce, la démographie, les chaînes d’approvisionnement et les idéologies politiques deviennent de plus en plus complexes et interdépendants, les tensions peuvent exploser très vite. Nous l’avons vu en Ukraine, au Moyen-Orient, sur la péninsule coréenne et ailleurs. Le Canada doit donc se préparer sérieusement — investir davantage dans la défense et la sécurité, aider ses alliés non seulement financièrement mais aussi en fournissant du matériel militaire opérationnel. S’ils se battent pour se protéger, c’est en partie pour protéger aussi tous les autres. 

– Quel rôle jouent la vérité et l’information dans la guerre moderne ?

 - La désinformation et la propagande ont toujours fait partie de la guerre, donc leur utilisation dans un conflit armé n’est pas nouvelle. Ce qui a changé aujourd’hui, c’est la vitesse et l’ampleur avec lesquelles les réseaux sociaux diffusent les fake news, influençant l’opinion publique. Il faut rester vigilant. Les adversaires chercheront à influencer les élections, le vote et l’opinion publique — comme le fait la Russie en Ukraine et ailleurs. Il ne s’agit donc pas seulement de défense et de sécurité, mais aussi d’éducation. Les autorités doivent redoubler d’efforts pour prévenir et sensibiliser la population. 

Maksym Nalyvayko, Ottawa

Photo: instagram/lt.gen.hon.andrewleslie

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