Paul Manandise, chanteur franco-ukrainien
L’Ukraine a réalisé tous mes rêves et a fait de moi un homme !
18.05.2020 14:05

Pendant la pandémie de COVID-19, lorsque tous les concerts ont été annulés ou reportés et les performances sont passées en ligne, les artistes ont eu plus de temps pour leurs familles et pour créer de nouveaux chefs-d’œuvre. Ukrinform a discuté avec Paul Manandise, chanteur populaire franco-ukrainien, diplômé du Conservatoire royal de Bruxelles, artiste émérite des arts du spectacle de l’Ukraine, qui a suivi son cœur et a choisi l’Ukraine comme domicile.

Dans une interview à Ukrinform, le chanteur a raconté comment il est venu en Ukraine et pourquoi il a décidé d’y rester, quel rôle Nina Matvienko, célèbre chanteuse de variété ukrainienne, a joué dans sa vie professionnelle, pourquoi il interprète la plupart de ses chansons en ukrainien, comment la mort du chanteur d’opéra ukrainien Wassyl Slipak l’a affecté et de quelle façon il soutient nos défenseurs dans le Donbass.

LE PREMIER ALBUM UKRAINIEN « MIY RAI » EST UNE DÉCLARATION D’AMOUR À L’UKRAINE

- Monsieur Manandise, vous êtes le premier Français de l’histoire à être un artiste émérite des arts du spectacle de l’Ukraine. Mais comment et quand les chemins du destin vous ont-ils amené en Ukraine ?

- C’est tout d’abord l’amour qui m’a emmené en Ukraine. Nous avons vécu avec ma femme Olena un an à Paris et puis je suis arrivé en Ukraine pour rencontrer sa famille. Quand j’ai posé les pieds sur le sol ukrainien, je me suis senti à la maison. Toute ma vie j’ai cherché l’endroit où je me sentirais chez moi. C’est très fort, d’ailleurs indescriptible ... J’en ai eu des frissons !

Ensuite j'ai voyagé à travers le pays, des sublimes Carpates aux terres si fortes du Donbass. En deux semaines, j’ai compris que je ne voulais plus jamais repartir. Je suis infiniment reconnaissant ! Les Ukrainiens m’ont toujours accueilli très chaleureusement avec beaucoup d’amitié, de sympathie et d’amour. Ils m’ont accompagné depuis les premiers jours en Ukraine et dans ma carrière.

- Vous êtes devenu un artiste assez populaire dans notre pays, malgré le fait que vous êtes né dans un autre, à savoir en Belgique. Comment avez-vous fait pour réussir ?

- Mon histoire ukrainienne est vraiment très fascinante. L’Ukraine m’a tout donné, elle a réalisé tous mes rêves et a fait de moi un homme ! Ma première tournée en Ukraine était avec une légende de la musique ukrainienne, une femme formidable, Nina Mytrofanivna Matvienko. Elle est pour moi une amie et une collègue, mais surtout, la bibliothèque vivante de la vraie musique ukrainienne et de cette manière si belle et si spéciale de chanter.

Cela faisait deux ou trois mois que j’étais à Kyiv et Nina m’a proposé de l’accompagner dans sa tournée (11 concerts). Elle avait entendu une de mes chansons sur Internet et voulait me rencontrer. Elle m’a donc demandé de chanter ce qu’on appelle ici « kolyskova », c’est-à-dire une berceuse. Sa tournée et son show étaient basés sur des berceuses. J’ai donc fait les arrangements de cette magnifique chanson, si touchante, intitulée « Lulai lulai miy synotchkou ».

Je raconte cette petite histoire parce que cinq des chansons qui sont sur mon premier album ukrainien, ce sont tout d’abord des histoires et des rencontres comme avec Nina.

- Parlez-nous un peu de cet album. Combien de temps ça vous a pris et quel titre lui avez-vous donné ?

- Faire mon album m’a pris deux ans. Je voulais vraiment qu’il soit réussi. La barre était super haute parce que j’avais envie d’honorer la musique ukrainienne et chacune de ces petites histoires. Je souhaitais essayer de chanter sans accent, et surtout, je voulais que cet album ait du sens.

J’étais dans les Carpates et 13 morceaux étaient déjà finis. Seulement, je n’avais pas encore de titre pour l’album. J’avais l’idée de l’appeler « album patriotique ». Mais sans extrême patriotisme, juste l’amour de sa nation, de son pays, de sa terre. L’idée de faire du mieux possible pour les gens qui nous entourent et faire en sorte que chaque jour le pays grandisse et soit fort. Ce patriotisme-là !

J’étais allongé ... et, quelques fois dans la vie, il y a ce moment où on se sent juste plein de joie, de bonheur, d’amour, rempli d’émotions positives. Ce genre de moment ne dure que quelques minutes, mais je me suis senti tellement bien avec cette terre des Carpates qui te donne de la force. Cette énergie particulière ! Je me suis dit : « L’Ukraine c’est mon paradis ! MIY RAI ». En même temps, c’était la plus belle déclaration d’amour, de respect, ainsi que le plus grand remerciement que je pouvais faire. De plus, c’est vraiment venu naturellement, sans même que j’y pense toute une éternité.

QUAND JE CHANTE LA CHANSON DÉDIÉE À WASSYL SLIPAK, LE PUBLIC SE LÈVE

- Vous chantez également les chansons traditionnelles ukrainiennes, il y a même une dédiée à Wassyl Slipak. Comment l’avez-vous rencontré et pourquoi cette dédicace ?

- Ce n’est pas la première chanson que j’ai étudiée, mais c’est celle qui me touche le plus. Quand Maїdan a commencé, j’étais très préoccupé par la situation ukrainienne. Je me suis rapproché à Paris de quelques Ukrainiens, dont Wassyl Slipak, cet incroyable chanteur, Héros d’Ukraine ! Nous avons eu quelques discutions, assez intenses et profondes, sur ce qu’est l’Ukraine et sur l’idée de liberté de l’Ukraine. Sans rattachement à la Russie, sans rattachement à l’Europe, une Ukraine simplement libre. Wassyl était bouleversé par ce qu’il se passait, mais toujours avec une immense dignité. Une dignité de kozak. Nous nous somme rencontrés que deux ou trois fois, mais j’avais, et j’ai toujours, une vraie affection pour lui. Je travaillais sur « MIY RAI » quand j’ai appris, par la télévision, la mort de Wassyl. J’étais effondré ! Effondré parce que je ne supporte plus de voir que mes frères ukrainiens meurent sur la ligne de front. Et plus le temps passe, plus c’est dur ! J’étais dévasté également parce que Wassyl était un chanteur non pas talentueux, mais un des plus talentueux ! Une vraie voix de baryton-basse, un timbre exceptionnel, un chanteur qui pouvait apporter beaucoup de gloire à l’Ukraine.

Je voulais bien évidemment lui écrire une chanson, pour que personne ne l’oublie jamais. Mais, un jour, en me baladant, j’ai entendu quelques grands-mères chanter entre elles une chanson en ukrainien. On appelle ce genre de chansons « narodna pisnia », chanson traditionnelle en français.

J’ai donc commencé à étudier le texte et, connaissant l’amour de Wassyl pour sa Patrie, j’ai pensé que ce serait un très beau message, et puis, mon petit cadeau pour lui. Lui qui chantait en France, en français, et moi qui chante en ukrainien, en Ukraine.

Ainsi, je me suis attaqué à « Vyrouchaly khloptsi ». Je voulais que les arrangements soient forts et puissants comme lui, alors j’ai créé de nouveaux arrangements de cette chanson.

Cela fait quatre ans que j’essaie de chanter cette composition sur scène, pendant mes tournées, mais c’est toujours très compliqué. Ce dont je suis très fier, c’est que quand je chante cette chanson, le public se lève en la mémoire de Wassyl.

LA MÉMOIRE, LES TRADITIONS, LES IDÉES SE TRANSMETTENT BEAUCOUP PAR LA CULTURE

- Avez-vous d’autres chansons dédiées aux défenseurs ukrainiens ?

- Absolument. C’est d’ailleurs un des morceaux sur lequel j’ai le plus travaillé, c’est « Leleky ». Déjà, c’est une histoire d’amitié. J’ai été invité à être le président du jury du concours de chant et d’arts divers « Perlyna Fest », qui se déroule dans la mairie de Kyiv. J’ai rencontré les organisateurs et nous nous sommes liés d’amitié.

Pour le troisième concours, l’organisateur Bogdan, un des premiers soldats parachutés sur l’aéroport de Donetsk, avait apporté sa guitare. On fait une pause, on rentre dans les coulisses et Bogdan me dit : « Paul, j’ai une chanson, pas une vielle, elle n’a que quelques années. J’aimerais te la jouer, si elle te plaît, je te l’offre ». J’écoute et je tombe tout de suite amoureux de la musique et du texte. La métaphore de cette chanson est qu’elle parle de la Mère Patrie !

Les auteurs et compositeurs de cette chanson sont Bogdan Kravtchenko et Gariy Voytchenko. Ce qui m’a beaucoup plu immédiatement, c’est que déjà le morceau en lui-même a une grande histoire. Et puis, les personnes qui l’ont écrit et qui ressentent et connaissent le sens profond du texte.  Et surtout, c’est une chanson qui réunit tous les Ukrainiens ! Les Ukrainiens qui vivent en Ukraine et les Ukrainiens de la diaspora. Cela se comprend dans le refrain.

Bogdan, un de mes amis les plus proches maintenant, est bien plus qu’un héros. Il a fait énormément pour l’Ukraine. Il avait totalement oublié ce morceau, et puis un jour, lors d’une de ses rotations dans le Donbass (jour de la fête nationale), il regardait des enfants chanter et il s’est souvenu qu’il avait écrit et composé ce morceau. Il m’a expliqué le second sens du texte : « C’est une chanson qui parle aussi des parents, de ceux qui attendent à la maison, de ceux qui prient pour nos militaires et d’un certain visage de l’Ukraine ».

Je voulais que Bogdan soit présent à chaque étape de la construction du morceau, car il n’existait qu’une seule version à la guitare. Mais je souhaitais tout d’abord honorer Bogdan et essayer de faire non pas un gros succès, mais un morceau qui touche le cœur des Ukrainiens, des jeunes et moins jeunes, un morceau qu’on peut écouter à tout moment. Je ne m’attendais pas à ce résultat, mais il se trouve que sans aucune rotation à la radio, aucun live à la télé, si on réunit YouTube et Facebook, nous avons déjà quelques millions de vues. Et j’en suis vraiment très fier !

« Leleky » est un des morceaux que je prends le plus de plaisir à chanter. En cinq ans en Ukraine, j’ai fait trois tournées en solo, plus de 100 sold-out. Pendant les tournées, je ne voulais pas faire que les grandes villes ou moyennes villes. Je voulais aussi jouer mes concerts dans des villages. Je pense que la culture doit être présente partout, car la mémoire, les traditions, les idées se transmettent beaucoup par la culture.

Ce qui me touche, c’est que même dans des tout petits villages, où habitent de 2 à 5 mille personnes, les gens qui viennent à mon concert chantent avec moi « Leleky » et connaissent la chanson par cœur.

JE NE SUIS PAS SOLDAT, MAIS JE DÉFENDS LE PAYS EN TANT QU’ARTISTE DE L’UKRAINE

- Nous savons qu’en confinement, outre la musique, vous vous êtes également engagé dans des initiatives socialement importantes. Quelles sont ces initiatives et comment sont-elles liées à nos militaires?

- Vous savez, je ne suis pas seulement un patriote de l’Ukraine, mais aussi un grand patriote de l’Ukraine. Quand le pays a été mis en confinement, je me suis demandé: « Comment vivent les soldats lors d’une épidémie et de quel soutien nos héros ont-ils besoin? ». J’ai beaucoup d’amis au front, des anciens combattants et des héros de Debaltseve. J’ai appelé des volontaires, car il est difficile de réaliser une initiative tout seul. Et voilà, nos 12 000 masques sont arrivés à destination, sur la ligne de front. Ils ont été envoyés aux 24e, 54e, 57e, 58e, 81e, 30e et 20e brigades, ainsi qu’à des hôpitaux de Kyiv, Rivne et Dnipro. Je tiens à remercier Olena Pavlovska, Raissa Chmatko, Diana Kozak et Liudmyla Velytchko. L’union fait la force !

En général, j’ai beaucoup défendu les idées ukrainiennes pendant cinq ans et dénoncé la propagande russe en Europe.

- De quel type de propagande s'agissait-il ? Et quelles sont, à votre avis, les narrations les plus menaçantes de la Russie ?

Tout d’abord, c’était il y a quatre ans. Je m’informais sur l’Ukraine, sur la situation dans le pays, je voulais tout savoir. Au début, je ne comprenais pas bien les mauvais mots sur l’Ukraine et je me suis rendu compte que les six ou sept premiers sites, quand j’écrivais « Ukraine » sur Google, n’étaient que des sites russes comme « Sputnik » ou « Le Courrier de Russie ».

Ensuite, quand le journaliste Paul Moreira a fait son documentaire sur Maїdan, intitulé « Ukraine, les masques de la révolution », j’ai été vraiment choqué ! Il parlait des groupes nazis qui étaient dangereux en Ukraine et qu’en gros, Maїdan avait été fait par des groupes d’extrême droite. Au cours de mes cinq ans en Ukraine, j’ai dû rencontrer un seul nazi. De plus, je me suis approché des militaires ukrainiens, qui font partie aujourd’hui des bataillons et des brigades. Il y a une sorte de nationalisme en Ukraine, mais cela n’a rien à voir avec l’extrême droite de Marine Le Pen ou ce genre de partis européens ! C’est un nationalisme identitaire. Ukraine est un pays jeune, les gens sont fiers de leur histoire, de leurs héros, de leur langue. Je ne sais pas quelle Ukraine Paul Moreira a visitée, mais ce n’est pas l’Ukraine dans laquelle je vis.

Enfin, le troisième exemple, c’est quand Poutine et Macron se sont rencontrés. Poutine a dit qu’il était très fier que la Russie ait mis au monde Anne de Kyiv qui avait été reine des Français. Il l’a justifié comme ça : « Anne est née en Rus’ de Kyiv ». J’étais outré ! Anne était une princesse Ukrainienne, fille de Iaroslav le Sage, mariée à un roi Français, et tout le monde le sait ! Je l’avais commenté ainsi : « Bientôt, il y aura une deuxième rencontre entre Poutine et Macron, et Poutine pourrait bien dire : je suis très fier que la Russie ait donné à la France Napoleon Sergeyevitch ».

En conclusion, il est vrai que je suis artiste, je ne suis pas soldat. Mais n’oubliez pas que c’est aussi une guerre culturelle et je défends le pays en tant qu’artiste de l’Ukraine. Je veux dire à tout le monde, je veux crier au monde entier à quel point l’Ukraine est belle. Pour moi, le patriotisme est l’unification d’une nation. Et en tant qu’artiste, j’essaie de faire tout ce que je peux.

Kristina Humenna. Kyiv

Crédit photos :Paul Manandise

kh

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