Yevhen Martchuk, représentant de l’Ukraine aux négociations de Minsk
J’estime qu’on aurait pu introduire la loi martiale pour trois jours sur tout le territoire de l’Ukraine
17.12.2018 17:30

Yevhen Martchuk, représentant de l'Ukraine au sein du groupe de contact tripartite sur le règlement pacifique de la situation dans le Donbass, reconnaît que depuis six mois, aucun des éléments du processus de négociation de Minsk n'a abouti. Des perspectives de changements positifs, du moins jusqu'à l'élection présidentielle en Ukraine, sont également en jeu. Après tout, Vladimir Poutine a déclaré que la Russie ne déciderait rien avec le gouvernement ukrainien actuel.

Est-ce que cela signifie que nous devrions simplement attendre cette fois? Selon Yevhen Martchuk, l’Ukraine peut utiliser cette information pour renforcer la position de son pays à l’égard de la guerre dans le Donbass et des négociations à Minsk. Il a répondu lors d’une interview accordée au journaliste d’Ukrinform.

TOUT EST POSSIBLE DANS LE COMPORTEMENT DE LA RUSSIE, NOUS DEVONS DONC ÊTRE PRÉPARÉS A DIFFÉRENTS SCENARIOS FACE AUX FUTURES ACTIONS

-Monsieur Martchuk, le chef d'état-major de l’Ukraine Viktor Muzhenko a déclaré, il y a une semaine, que la Russie renforçait ses forces près de la frontière avec l'Ukraine et que la menace militaire de son côté serait la plus élevée depuis 2014. Mais on nous avait déjà parlé d’un grand nombre de soldats et d’équipements russes près de nos frontières. Qu'est-ce qui a changé maintenant? Comment évaluez-vous le danger réel?

- Je ne peux pas remettre en question la déclaration du chef de l'état-major général qui dispose de données de renseignement militaire et spatial et d'autres informations opérationnelles. Donc, il avait des raisons militaires purement professionnelles pour déclarer cela. Lesquelles? Je ne peux que formuler des hypothèses, mais je connais Viktor Muzhenko depuis la guerre en Irak, lorsqu'il était commandant adjoint de la 5ème brigade, donc, je me fie à ses propos. Qu'est-ce qui a changé? Beaucoup de choses auraient pu changer!

Prenez le nombre de troupes russes aux frontières de l'Ukraine. Par exemple, lors d’une discussion télévisée à propos du régime juridique de la loi martiale, on nous a annoncé  80 000 personnes. Mais la structure du groupe elle-même a-t-elle changé? Après tout, 80 000 militaires d’infanterie c’est une chose mais 80 000 militaires sur des chars c’en est une autre et 80 000 pilotes encore une autre! Et lorsque les forces armées analysent diverses données (structure, force, formatage des lignes de front, déploiement d'hôpitaux de campagne, etc.), cela leur donne une raison de qualifier ces changements de défensifs ou offensifs.

- Mais vous classeriez quand même le niveau de danger potentiel en rouge, jaune, bleu ou autre?

- De nombreux hommes politiques qui « s’y connaissent » dans les affaires militaires, en médecine et dans d’autres domaines font de telles évaluations, mais je ne le ferai pas! Pourquoi? Je vais l’expliquer!

N'oubliez pas qu'au cours des trois dernières années, le comportement de la Russie dans le monde a radicalement changé. Rappelez-vous comment des avions russes ont commencé à pénétrer dans l'espace aérien des pays européens, y compris ceux de l'OTAN, et des sous-marins russes dans les eaux territoriales de la Suède et de la Norvège, dans la mer Baltique. Mais malheureusement, la paix européenne à long terme a estompé ces faits et personne n’a tiré le signal «d’alarme»!

Et qui pouvait prédire l'annexion de la Crimée par la Russie? L'OTAN, avec sa communauté du renseignement, qui dispose d'un potentiel énorme, l’a-t-elle prédit? Non! Et la guerre dans le Donbass? Et tout cela parce que les actions de Poutine ont été préméditées sur la base du bon sens et, à mon avis, elles l’ont clairement exposé!

Que vous dire? En règle générale, nous devons comprendre que tout est possible dans le comportement de la Russie. Nous devons donc nous préparer à différents scénarios.

Récemment, un expert ukrainien, analysant à la télévision russe cette structure russe proche de la frontière, à 20 km, a déclaré: « Je n'exclus pas que cela puisse être une intimidation, mais, en référence au comportement imprévisible du Kremlin, il se peut que ce soit une offensive ».

Donc, que devons nous faire? Nous asseoir et penser : «C’est Poutine qui nous intimide, nous ne ferons rien de spécial alors, nous n’avons pas besoin de loi martiale»?

Mais le fait que la Russie ait déployé des systèmes de missiles anti-aériens S-400 en Crimée et les ait positionnés à la frontière administrative avec l'Ukraine est un fait! Nous ne réagirons pas à cela non plus, si nous acceptons la logique de l'intimidation?

Et prenons les derniers événements survenus dans le détroit de Kertch, si nos gars dans ces deux bateaux avaient ouvert le feu en réponse, savez-vous ce qui se serait passé ensuite?

Les Russes les auraient tous tués et tous noyés, puis ils auraient lancé une véritable opération militaire à chaud - tout était prêt pour cela!

Le politologue russe Andrei Illarionov avait publié des données d’experts sur ce qui s’est passé dans les eaux de la mer d’Azov avant cette opération et les types d’unités navales russes qui sont apparues dans cette région. Cette zone est très petite, la côte est basse et sur le littoral contrôlé par l’Ukraine dans la mer d’Azov, 12 zones sont répertoriées dangereuses, car accessibles au débarquement ennemi.

Et quand tout cela est combiné et analysé, je vous dirai encore une fois que Muzhenko, en tant que chef d'état-major, n’a pas fait sa déclaration dans la sphère publique pour rien, y compris en tenant compte du fait que l'atmosphère quotidienne en Ukraine est de percevoir toutes ces actions de la Russie comme une exagération du danger.

- Le monde a-t-il des leviers d'influence sur Poutine?

- L'opinion publique en Ukraine a maintenant de grands espoirs quant à la transition vers des négociations dans le format des signataires du mémorandum de Budapest. Je suis moi-même partisan de cela. Mais dans quelle mesure ces attentes sont-elles réalistes? Quant à moi, c’est bien peu probable.

Premièrement, la Russie devra accepter de modifier le format, car il serait insensé de mener des négociations dans le format des signataires de Budapest sans la totalité des membres.

Deuxièmement, ces espoirs reposent sur l’éventuelle participation des États-Unis aux négociations qui menaceraient Poutine et l'obligeraient à quitter l'Ukraine. Mais le président russe sait avec certitude que ni les États-Unis ni l'OTAN n'enverront leurs soldats en Ukraine. De l'aide, y compris létale, nous sera fournie et nous les remercions, mais ils n’iront pas se battre!

Par conséquent, si la Russie professait au moins un autre moyen de dissuasion, excepté celui du nucléaire, il serait peut-être possible de formuler des hypothèses sur des leviers d'influence.

- Mais Poutine doit bien avoir un « talon d’Achille »! 

- À mon avis, à un moment donné, pour diverses raisons, nous avons dénaturé la personnalité de Poutine. Mais la Russie moderne n’est pas seulement Poutine, mais une machine très sérieuse, notamment, l’entourage de longue date de Poutine avec le ministre de la Défense, - At., Shoïgou et le directeur du FSB, - Auth. Bortnikov et autres. Ce sont des spécialistes qui sont fondamentalement propriétaires de leur profession. Il est donc inutile de prédire à quel point Poutine est vulnérable.

Bien sûr, il est bien conscient de toutes les conséquences des sanctions économiques et il est également très difficile d’être isolé du monde entier. Mais vous voyez comment le président russe s’est comporté lors au sommet du G20 et particulièrement lors de la célébration du 100ème anniversaire de la Première Guerre mondiale, cela est révélateur. Rappelez-vous, lorsque tous les dirigeants des autres pays se sont levés pour attendre Poutine qui  est arrivé en retard sans s’excuser - pas un mot, pas un geste. Pourquoi? Parce que ce n'est pas seulement un comportement personnel, mais une forme d'agression russe, à laquelle l'humanité civilisée n'est pas prête.

Telle est la politique consciente du Kremlin et l’espoir que le monde soit très faible après une longue paix. D'un point de vue humain, il s'agit d'un état absolument normal, mais nous ne devons pas permettre  à des structures agressives comme la Russie de Poutine d’utiliser cet état dans ses intérêts.

Vous voyez combien de temps cette machine destructrice a accompagné les pays européens et choisi les «points douloureux» de l'Europe dans son ensemble et de chaque État séparément. Et comment la Russie s'emploie à détruire l'unité dans l'Union européenne et en Europe en général! Elle n’a pas vraiment réussi mais il faut rester vigilant face à ses actes!

Alors que cela signifie-t-il? Que la Russie choisit des formes d'agression complètement atypiques.

Igor Yakovenko, un blogueur russe bien connu et critique du régime de Poutine, a comparé la Russie à une araignée qui injecte du poison à sa victime et attend sa mort. C’est ainsi qu’on peut décrire le comportement de la Russie en Europe, mais aussi ailleurs.

Que peut-on opposer à cela? À mon avis, l'unité est paneuropéenne, ukrainienne. Les armes c’est bien, mais il faut vraiment l’unité.

LA LOI MARTIALE PRÉVOIT DES DIZAINES DE MESURES ORGANISATIONELLES QUI N’ONT JAMAIS ÉTÉ MISES EN PLACE EN UKRAINE AUPARAVANT

- A propos de nos affaires intérieures: l'Ukraine utilise-t-elle utilement, selon vous, la loi martiale introduite il y a quelques semaines?

- En observant et en surveillant ce qui se passe dans le pays récemment, je peux dire qu’elle le fait  avec un grand avantage!

Quand j'ai commencé à parler à la télévision en 2014 et à avertir de ce qui allait arriver, quelqu'un m'a demandé pourquoi j'avais besoin de cela étant donné que je n'avais aucune relation avec le pouvoir depuis longtemps. J'ai ensuite dit que je m’étais imposé la loi martiale et que je conseillerais à tous les fonctionnaires de le faire, car les militaires savaient déjà comment il fallait agir.                                

À l’époque, la société et l'ensemble de l'appareil d'État en général n'étaient pas complètement préparés à l'idée qu'il pourrait y avoir une guerre sérieuse. Et aujourd’hui encore, tout le monde n’est pas conscient de cela.

Il est bon que la loi martiale n'ait été introduite que dans les zones frontalières, même si elle auvait pu être introduite pendant trois jours dans toute l'Ukraine afin que tout le monde puisse comprendre la réalité de la menace.

Le régime juridique de la loi martiale prévoit le lancement de très nombreux mécanismes et la tenue de divers types de mesures organisationnelles que personne n’a jamais mises en place en Ukraine.

- Avons-nous assez de ces 30 jours pour préparer une réponse aux éventuels défis?

Je ne le pense pas, car notre société, malheureusement, n'est pas mobilisée. De plus, le début de la campagne électorale se superpose à cette situation, ce qui ne contribue pas non plus à la mobilisation sociale, bien au contraire ...

Je pense même que, pour cette raison, l’équipe de Poutine a jusqu’à présent obtenu un résultat relatif, bien sûr. Par exemple, certains candidats à la présidentielle annoncent certains de leurs plans «secrets» pour mettre fin à la guerre dans le Donbass. J'ai entendu ces plans. J'en nommerai deux - ceux dont les négociateurs russes m'ont parlé, pas à Minsk, mais sur d'autres plates-formes auxquelles je participe. Après tout, les Russes promeuvent leurs idées à différents niveaux, de sorte que de plus en plus de gens s’y habituent.

Une première option: « Alors, abandonnez la Crimée et la guerre dans le Donbass se terminera ».  Et une autre option : « Peut-être qu'il est intéressant d'envisager l'option d’une nouvelle Transnistrie? Même si la situation n’est pas réglée politiquement, mais que la guerre cesse, on ne tire pas, on ne tue pas! Vous êtes dans le processus de Minsk, vous pouvez peut-être dire que nous allons faire pareil dans le Donbass? ».  Mais je réponds à cela qu’il y a une nuance car la Transnistrie est le tremplin de leur 14ème armée!

Ce sont des offres stupides. Nous n’en comprenons ni le sens ni la cause!

Par ailleurs, le comportement actuel de la Russie dans le processus de négociation en général et les déclarations de Poutine selon lesquelles il ne souhaite pas rencontrer le président Porochenko et ne l’a pas rencontré depuis deux ans – s’affiche comme une tentative de geler le conflit dans le Donbass!

Par conséquent, nous poursuivrons les négociations à Minsk pour empêcher que cela ne se produise complètement.

Maintenant, vous pouvez souvent entendre des déclarations : pourquoi avons-nous besoin de ce processus de Minsk? Avec qui parlez-vous là-bas ? C’est souvent comme ça que cela est perçu.

Mais, d’abord, j’ai déjà dit que le processus de Minsk n’est pas un format indépendant, mais un format auxiliaire au « format Normandie». Il est apparu lorsque le volume de problèmes discutés au niveau de ses dirigeants s’est révélé très vaste. Après tout, le conflit militaire a généré non seulement un problème militaire, mais également de nombreux problèmes humanitaires. Les organisations internationales, le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme et le Comité international de la Croix-Rouge les ont accompagnés de manière sérieuse et très méticuleuse. Ils sont très actifs et observent de près le comportement de l’Ukraine dans cette situation difficile du point de vue humanitaire.

Le deuxième point important est le nom du format de négociation de Minsk - le groupe de contact tripartite. Lorsque je participe aux négociations comme représentant de l'Ukraine au sein du Groupe, nous les entamons avec le représentant de la Russie Gryzlov et les négociations sont menées par le représentant de l'OSCE Martin Sajdik. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de représentantsdes pseudos Républiques séparatistes ! Ils ne viennent que lorsque nous les appelons. Et à la troisième étape, lorsque la réunion se déroule avec tous les acteurs et que tous les groupes d’experts sont connectés, les passions commencent déjà à se déchainer et l’agitation s’ensuit.

Même quand je travaillais dans le sous-groupe concernant la sécurité, la partie russe nous a plusieurs fois provoqués pour nous faire quitter le processus de négociation de Minsk : les Russes organisaient des démarches, interrompaient des réunions ou tout simplement partaient. Si nous avions cédé à cela, la Russie aurait accusé l’Ukraine de perturber les négociations tripartites et de saboter le « Format Normandie » et aurait exigé des négociations directes avec les «dirigeants» des territoires occupés, et surtout la levée des sanctions occidentales.

Autrement dit, la Russie avec une telle succession d'événements n’aurait fait qu'applaudir. Mais nous ne lui en donnerons pas l’occasion!

Nadia Yourtchenko, Kyiv

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EH

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