Natalka Cmoc, Ambassadrice du Canada en Ukraine
Les femmes ukrainiennes : une force phénoménale
L'une des figures les plus marquantes du corps diplomatique étranger en Ukraine, l'ambassadrice du Canada, Natalka Cmoc, a visité cette semaine l'agence Ukrinform, le jour même où le roi Charles III du Royaume-Uni est arrivé à Ottawa, appelant le pays à rester « fort et libre ».
Depuis le début de l'agression russe contre l'Ukraine, le Canada, fort et libre, soutient notre pays sur les plans diplomatique, financier et sécuritaire. Depuis l'invasion à grande échelle par la Russie en 2022, le Canada a fourni une aide de 20 milliards de dollars à l'Ukraine, dont 4,5 milliards pour l'assistance militaire et 12,4 milliards pour le soutien financier direct. Ce dernier montant est le plus élevé par habitant parmi tous les membres du G7, que le Canada préside actuellement.
Au cours de notre entretien, l'ambassadrice a partagé la position de son pays concernant la guerre russo-ukrainienne, telle qu'elle est défendue au sein du G7, sa vision du nouveau gouvernement sur le lien entre la sécurité nationale et celle de l'Europe et de l'Ukraine, ainsi que sur la voie gagnant-gagnant pour renforcer la souveraineté des deux côtés de l'Atlantique. Nous avons également discuté des priorités en matière de financement des projets de développement en Ukraine, de l'accord de libre-échange, des perspectives de coopération entre les entreprises de défense et du secteur énergétique.
Mais l'ambassadrice met particulièrement l'accent sur les personnes. Elle parle avec émotion des Ukrainiens et Ukrainiennes qu'elle rencontre régulièrement, notamment du symbolisme d'un tatouage représentant la « Mavka en colère », en soutien aux femmes courageuses qui résistent sous l'occupation russe.
Une grande partie de l'interview a été réalisée en ukrainien, la langue de ses grands-parents, qui étaient membres actifs de l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) avant d'émigrer au Canada.
INVESTIR ENSEMBLE DANS LA DÉFENSE : UNE OPTION GAGNANTE POUR L’UKRAINE, LE CANADA ET L’EUROPE
— La guerre se poursuit, et nous avons tous vu les dernières frappes dévastatrices de la Russie. Mais l'Ukraine tient bon, et nous espérons avoir de vos nouvelles sur la position du Canada, notamment dans le cadre du G7, concernant le soutien à l'Ukraine. Vous avez précédemment déclaré que le Canada, qui préside actuellement le G7, s'oppose catégoriquement au retour de la Russie dans ce format. Cette position reste-t-elle inchangée, alors que certaines voix appellent à une approche moins sévère envers la Russie ?
— Rien n'a changé. Comme vous le savez, des élections ont récemment eu lieu au Canada, et il est clairement apparu que l'Ukraine bénéficie d'un soutien bipartisan. Vous avez donc le soutien des Canadiens à travers tout le pays. Je pense que cela était évident même avant que Mark Carney ne devienne Premier ministre. Avant les élections, il a eu une conversation téléphonique avec le président Zelensky, à laquelle j'ai assisté. À ce moment-là, Mark Carney a invité Zelensky au sommet du G7. Il était donc convaincu que, quel que soit le vainqueur des élections, la situation ne changerait pas.
Pour le Canada, l'Ukraine est une priorité, car nous comprenons parfaitement que notre situation géostratégique et économique dépend de la sécurité de l'Ukraine. Nous voyons donc que la sécurité de l'Ukraine est celle de l'Europe. Nous devons soutenir à la fois l'Europe et l'Ukraine pour qu'elles soient économiquement prospères et capables de défendre leur territoire et leur souveraineté.
— Comment le Canada réagit-il aux signaux des États-Unis indiquant que la mention de la poursuite du soutien à l'Ukraine ne devrait pas figurer dans la déclaration finale du prochain sommet ?
— Je pense que le soutien moral est ici crucial. C'est avant tout important pour le Canada au sein du G7. Comme vous le savez, le deuxième jour du sommet, le 17 juin, comportera un volet entièrement consacré à l'Ukraine. Il semble qu'il s'intitule : « Souveraineté de l'Ukraine ». C'est donc un signal indiquant que le soutien à l'Ukraine est important à deux égards. Premièrement, la poursuite du soutien à l'Ukraine, et deuxièmement, ce qui est tout aussi important à mon avis, la poursuite de la pression sur la Russie, car nous voulons que le cessez-le-feu soit réussi. Et un cessez-le-feu réussi signifie qu'il sera respecté par les deux parties. Si le cessez-le-feu n'est pas respecté, nous avons déclaré publiquement que nous attendons l'imposition de sanctions plus sévères, qui peuvent et doivent viser à limiter les prix du pétrole, ainsi que la flotte fantôme de la Russie.
Vous voyez également que les discussions sur l'aide s'éloignent du format des dons pour se diriger vers des investissements. Cela inclut le modèle dit danois. De nombreux pays ont adopté ce format, et le Canada aussi. Nous avons déjà signé un accord pour allouer 100 millions de dollars au soutien de la production de drones. Nous cherchons donc à collaborer de plus en plus avec l'Ukraine et l'Europe pour leur défense, car nous pensons que cela contribuera également à notre propre défense. C'est donc une option gagnante pour tous, c'est-à-dire pour le Canada, l'Ukraine et l'Europe, si nous investissons ensemble dans notre défense.
— Peut-on espérer que l'unité concernant le soutien à l'Ukraine se maintiendra pendant et après le sommet ?
— Je le pense, oui. C'est une unité en termes de valeurs, de soutien à l'état de droit, à l'ordre public, au système judiciaire et au climat d'investissement. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Il s'agit également de l'importance des accords, notamment commerciaux. Et, comme je l'ai mentionné précédemment, il est important de considérer les investissements dans notre sécurité.
Je pense donc que le G7 concerne toujours avant tout l'économie, la manière dont les pays s'unissent pour assurer la sécurité économique du monde d'un point de vue géopolitique. Pour répondre à votre question, je pense que cela va de soi.
NOUS APPRENONS DES UKRAINIENS, CAR LA GUERRE ÉVOLUE CONSTAMMENT
— Nous constatons que les pays européens reconsidèrent désormais leur rôle dans le soutien à la sécurité régionale. Comment le Canada, bien qu'étant de l'autre côté de l'océan, envisage-t-il son rôle dans l'aide à l'Europe et à l'Ukraine dans ce contexte ? Votre gouvernement prévoit-il d'être plus actif dans cette direction ?
— Comme vous le savez, nous avons un nouveau Premier ministre, un nouveau gouvernement, et aujourd'hui (27 mai, ndlr), nous attendons le « discours du trône » du roi britannique. Comme tout le monde, j'attends avec impatience ce qui sera dit dans ce discours, mais indépendamment des engagements qui seront pris, nous savons que le Canada souhaite continuer à contribuer à la sécurité européenne et ukrainienne, car nous considérons cela comme étroitement lié à notre propre sécurité.
Le Canada a commencé ses opérations de soutien en Ukraine dès 2015. Je pense que nous avons été les premiers à prendre l'initiative dans le domaine de la formation militaire, rejetant toute justification de l'annexion illégale de la Crimée.
— Et vous avez participé à la préparation de l'Opération UNIFIER…
— Oui. Il s'agit maintenant de la version 2.0 de l'Opération UNIFIER, qui a commencé avec l'invasion à grande échelle, et nous la poursuivons. Nous avons déjà formé plus de 44 000 militaires et forces de l'ordre ukrainiens, et nous en sommes très fiers. Nous continuons à collaborer avec les Forces armées ukrainiennes, avec le ministère de la Défense ici, en Ukraine, et nous cherchons des moyens d'adapter la formation pour répondre aux besoins actuels des militaires. C'est également une option gagnante pour tous, car la guerre continue, et l'invasion à grande échelle a obligé l'Ukraine à s'adapter, car elle n'avait pas le choix. Mais l'Ukraine maintient la ligne de front relativement stable.
Pendant ce temps, nous constatons d'énormes progrès dans le domaine des technologies, comme les drones et d'autres types d'armements. Nous apprenons donc aussi des Ukrainiens, car nous comprenons que la guerre évolue, que la guerre hybride évolue, et que l'aspect désinformation de la guerre est également très important à comprendre et à combattre. Le Canada prête attention à tous ces domaines et est un partenaire important de l'Ukraine dans ces domaines.
— Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l'Opération UNIFIER et le modèle danois ? Peut-être que votre industrie de la défense envisage d'autres technologies, en plus des drones, pour investir dans la production sur le territoire ukrainien ?
— Je ne connais pas les détails, mais je sais que des représentants d'entreprises canadiennes de défense participent à diverses conférences en Ukraine. Actuellement, un événement CanSec se déroule au Canada. De nombreux représentants d'entreprises de défense ukrainiennes y participent, et j'ai vu la liste des entreprises avec lesquelles ils espèrent rencontrer. Les Ukrainiens viennent au Canada avec des objectifs très clairs, sachant avec qui ils veulent rencontrer et avec quelles technologies ils souhaitent travailler. Je pense que lors de CanSec ou peu après cet événement, de nombreux accords seront signés, profitant à des entreprises dans de nombreux domaines, y compris dans le cadre de coentreprises. Il en va de même pour le secteur énergétique.
Je pense qu'un travail conjoint est également en cours concernant les véhicules blindés, car cet équipement doit souvent être adapté. Le Canada a fourni à l'Ukraine de nombreux véhicules blindés, mais les Ukrainiens eux-mêmes, autant que je sache, ont également beaucoup progressé dans ce domaine. Comme je l'ai déjà mentionné, la combinaison de l'expérience et de l'innovation contribuera à la production de modèles encore meilleurs, répondant aux besoins de cette guerre dynamique.
— Y a-t-il déjà des attentes quant au nombre de militaires qui seront formés à l'avenir ?
— Je pense que cela est en cours de discussion, mais comme je l'ai déjà mentionné, le Canada continue de remplir ces engagements, en travaillant sur les aspects de la formation et du mentorat
LES TECHNOLOGIES UKRAINIENNES POURRAIENT CONTRIBUER À LA SÉCURITÉ DE L’ARCTIQUE
– Concernant la sécurité au sens large, on voit que la Russie a clairement affiché ses ambitions en Arctique, et on observe un regain d’attention de la Maison-Blanche pour cette région. Comment évaluez-vous la situation actuelle et les défis sécuritaires en Arctique ?
– L’Arctique est une priorité pour le Canada en matière de sécurité. Nous voyons les mêmes menaces, mais nous ne sommes pas seuls. D’autres pays nordiques coopèrent activement. Le Conseil de l’Arctique fonctionne. Donc nous comprenons tous la nécessité de maintenir la sécurité dans cette région. Nous savons aussi qu’il faut protéger son environnement. Un Arctique en mauvaise santé affecterait l’environnement mondial. La sécurité de l’Arctique reste donc une question essentielle. D’ailleurs, certaines technologies développées par l’Ukraine pourraient être très utiles pour protéger la partie canadienne de l’Arctique, et d’autres zones aussi – notamment les drones sous-marins.
– Peut-être aussi les drones de surface ?
– Probablement, oui.
L’AIDE HUMANITAIRE DU CANADA SE DISTINGUE PAR SA FLEXIBILITÉ
– Revenons au soutien à l’Ukraine... Existe-t-il des chiffres précis sur le budget canadien ou les dépenses prévues pour la période à venir ?
– Il est peu probable que nous ayons des nouvelles de notre budget dans les prochains mois, mais je rappelle que nous avons déjà alloué 20 milliards de dollars depuis 2022 à de nombreux domaines. Nous continuons à accorder beaucoup d’attention à l’aide humanitaire et veillons à ce que notre financement reste très flexible et puisse être adapté en fonction des besoins. Il n’est pas lié à des types d’activités spécifiques, car nous comprenons que les défis humanitaires ne vont pas soudainement disparaître.
Les programmes de développement sont également une priorité. Nous consacrons une part importante du financement au soutien du gouvernement national, notamment pour renforcer les services aux anciens combattants. Nous aidons aussi les administrations locales, car nous voulons accompagner l’Ukraine dans la décentralisation. Nous comprenons l’importance d’élargir les capacités des gouvernements locaux, en particulier en matière d’inclusion – femmes, anciens combattants, etc. C’est une partie très sérieuse de notre travail.
Nous fournissons aussi de l’aide militaire, sous forme de dons et d’investissements. L’accord de libre-échange est un outil important pour favoriser davantage d’investissements privés, tant en Ukraine qu’au Canada, car tout le monde, y compris le G7, reconnaît qu’il faut élargir le rôle du secteur privé. Le meilleur moyen est donc de l’impliquer davantage, y compris le secteur privé canadien.
L’UKRAINE ET LE CANADA ÉTENDENT LEUR COOPÉRATION ÉNERGÉTIQUE
– Avez-vous des exemples concrets de succès récents dans le cadre de notre accord de libre-échange ?
– On explore actuellement de nouvelles possibilités dans cet accord. Je sais qu’au moins 15 entreprises énergétiques participent chaque année à la conférence énergétique de Varsovie, à la recherche de partenariats dans le pétrole et le gaz – du forage au raffinage. Les négociations sont actives entre les entreprises.
Un élément clé est le mémorandum d’entente entre les gouvernements de l’Ukraine et de l’Alberta – notre province spécialisée dans le secteur pétrolier et gazier. Je sais que des discussions sont en cours pour une coopération plus étroite. Cela revêt une grande importance pour le Canada, qui cherche à diversifier ses échanges. Nous avons longtemps été très dépendants des États-Unis. Cela ne changera pas fondamentalement – ils restent notre partenaire le plus important – mais l’Europe est désormais notre deuxième partenaire le plus stratégique, et nous cherchons des moyens de la soutenir. Je pense que nous avons toutes les capacités nécessaires, car la sécurité européenne passe aussi par la sécurité énergétique. Des discussions sont en cours entre l’Europe et le Canada pour déterminer comment soutenir le secteur de l’énergie et la sécurité en général.
L’AFFAIRE DE L’AN-124 POURRAIT FAIRE JURISPRUDENCE SUR LES ACTIFS RUSSES GELÉS
– Un autre aspect crucial du financement de l’Ukraine est la question des actifs russes gelés. Le Canada a été le premier membre du G7 à adopter une législation autorisant leur confiscation au profit de l’Ukraine. Y a-t-il des progrès concernant l’Antonov An-124 bloqué au Canada ?
– Un procès a récemment eu lieu en Ontario pour lancer la procédure de restitution de cet avion à l’Ukraine. Pendant ce temps, l’autre partie peut encore présenter ses arguments contre. Donc la procédure judiciaire est en cours, mais je pense qu’elle avance dans la bonne direction. C’est une affaire très importante, observée par tous, car elle pourrait faire jurisprudence.
Je voudrais aussi mentionner l’initiative du G7 concernant un prêt de 50 milliards de dollars pour l’Ukraine entre 2025 et 2026, garanti par les revenus des actifs russes gelés en Europe. Le Canada a déjà versé la moitié de sa contribution, et l’autre moitié le sera avant la fin de la période. L’Ukraine pourra donc utiliser ces 50 milliards pour sa défense. Mais le débat sur les actifs russes gelés continue, et ce sujet restera à l’ordre du jour du G7.
– Partagez-vous l’avis selon lequel ces actifs devraient rester dans des juridictions étrangères, et que seuls les intérêts générés soient transmis à l’Ukraine, plutôt que de confisquer directement tous les fonds ?
– C’est une question très difficile. Il faut être économiste pour savoir ce qui rapportera le plus à l’Ukraine et offrira le plus de flexibilité. Je suis d’accord pour dire que la Russie doit être tenue responsable de ses crimes, et que ces fonds doivent servir aux réparations et à la reconstruction. Mais je comprends aussi que l’Ukraine souhaite les utiliser pour sa défense maintenant. C’est un débat important. En fin de compte, je soutiendrai l’option qui offrira le plus de flexibilité à l’Ukraine, tout en assurant une justice pour les crimes commis, les victimes et les dégâts causés.
Je ne veux pas qu’on oublie les personnes. Hier, j’ai rencontré un groupe de femmes dont les enfants sont morts au front dans les rangs de l’armée ukrainienne. Elles viennent des territoires occupés – Marioupol, région de Kherson… Elles ont tout perdu. Certaines disent que leurs maisons ont été détruites, d’autres que des Russes vivent désormais chez elles. Quelle que soit la décision, il faut penser aux personnes les plus touchées. Peut-être qu’elles devraient avoir leur mot à dire sur l’utilisation de ces fonds russes.
LES FEMMES UKRAINIENNES REJOIGNENT LES FORCES ARMÉES ET TRAVAILLENT DANS LES USINES MILITAIRES
– Le Canada est depuis longtemps reconnu pour ses initiatives de soutien aux femmes dans divers domaines, notamment celles touchées par les zones de conflit. Comment la communauté internationale peut-elle, de manière plus large, aider les femmes qui résistent à l’occupation ? Quels sont les moyens efficaces de les soutenir ?
– Nous soutenons des femmes qui sont déjà très actives. Je suis très fière d’elles. Elles s’auto-organisent et accomplissent énormément. Par exemple, il y a le mouvement Zla Mavka, dont le symbole est devenu mon tatouage – je veux les soutenir moralement, car ce qu’elles font est vraiment courageux et résilient. Elles montrent la force des femmes.
J’ai rencontré plusieurs femmes qui, selon elles, ont tout perdu. Mais au lieu de mettre fin à leurs jours – car ces pensées leur traversent parfois l’esprit – elles choisissent de vivre pour les autres. Elles soutiennent leur communauté, d’autres femmes dans la même situation. Ce sont des forces phénoménales. Beaucoup de femmes ayant perdu leurs maris au front ont ensuite rejoint les Forces armées ukrainiennes. Cela montre que les femmes ne sont pas un simple « ajout ». Elles sont la force de ce pays, aux côtés des hommes. Elles font partie intégrante de l’armée. Le nombre de femmes dans les rangs augmente : médecins, snipers, opératrices de drones… Et j’ai déjà entendu des hommes de brigades de combat dire qu’ils considèrent ces femmes comme de vraies sœurs d’armes.
En plus, les femmes jouent un rôle crucial dans la planification humanitaire : faire en sorte que l’éducation continue dans les écoles, que les services citoyens restent fonctionnels. Nous soutenons des projets pour les aider à se rencontrer, car elles n’ont souvent pas les moyens de voyager. Lors de ces rencontres, elles partagent leurs expériences, tissent des liens, s’inspirent les unes les autres.
Je rencontre aussi des femmes qui assument désormais des rôles traditionnellement considérés comme masculins. Personnellement, je ne crois pas aux notions de « travail féminin » ou « travail masculin », bien que ce soit historiquement enraciné. Aujourd’hui, les femmes travaillent dans des usines, y compris d’armement, dans l’ingénierie, la conduite de véhicules – elles sont partout. Il faut réfléchir à comment les soutenir davantage.
Elles jouent aussi un rôle majeur dans le soutien aux vétérans, dont le nombre augmente, notamment ceux qui ont perdu des membres. Elles les aident à se réorienter professionnellement, à se réinsérer. Chacun veut se sentir utile – les femmes contribuent puissamment à cette réintégration.
LE MOUVEMENT « ZLA MAVKA » SOUTIENT LES FEMMES MÊME AU-DELÀ DES OCÉANS
– Vous avez mentionné dans une interview que lors de votre premier voyage en Ukraine en 1992, vous aviez été surprise par l’omniprésence de la langue russe, et que votre ukrainien semblait alors étrange. Quelle est votre vision de la situation linguistique actuelle ?
– J’entends aujourd’hui les gens apprendre l’ukrainien. Avant, à Kyiv, on parlait majoritairement russe. Je me souviens, dans les années 2010, je prenais souvent le train vers Kamianets-Podilskyï pour des fouilles archéologiques. Les gens montaient dans le train et parlaient russe. Mais environ une heure après avoir quitté Kyiv, ils passaient à l’ukrainien, comme si c’était normal : le russe pour la ville, l’ukrainien pour chez soi.
Mais cela a changé. Les gens font un réel effort. Une fois, un homme m’a dit que mon ukrainien était très beau, malgré mon accent canadien. Je lui ai répondu avec le sourire : « Le vôtre aussi est très beau ». Il a rougi et m’a dit : « Merci beaucoup, c’est très important pour moi. Toute ma famille parlait russe. Ce n’est pas facile, mais nous apprenons ensemble avec mon père et mon grand-père ». Peu importe la langue maternelle – passer à une autre demande des efforts. Mais je vois que les gens essaient.
Concernant la langue elle-même, j’utilise parfois des mots que seuls les contemporains de ma grand-mère connaissaient, comme marinarka ou techka. Mais je constate que cet ukrainien « ancien » revient peu à peu. C’est ma langue.
LE CANADA FINANCE L’AGRANDISSEMENT DU MUSÉE DU HOLODOMOR
– Beaucoup de questions linguistiques ont des racines historiques, y compris le tragique Holodomor. L’an dernier, le gouvernement canadien a annoncé un financement de 15 millions de dollars pour l’agrandissement du musée national du Holodomor. Où en est ce projet ? Le financement est-il déjà arrivé ? Le Canada compte-t-il suivre son utilisation ?
– Dix millions sont déjà transférés. Nous nous concentrons d’abord sur la mise en place de la structure de gouvernance, comme prévu par la législation ukrainienne. Nous savons que la construction est actuellement suspendue et nous respectons cette décision. Mais nous voulons que tout soit prêt pour la reprise, le moment venu.
Ce musée doit être international. Ce n’est pas seulement un bâtiment, mais un lieu de recherche, d’archives, de travail scientifique. Et nous aidons à cela.
– C’est très symbolique.
– Oui.
MON TATOUAGE DE LA « ZLA MAVKA » – UNE PROMESSE TENUE
– Vous avez mentionné votre tatouage « Zla Mavka », un geste fort et symbolique qui a attiré beaucoup d’attention. Que représente-t-il pour vous ?
– Il y a un an, à une conférence, j’ai rencontré des soutiens du mouvement « Zla Mavka ». Bien sûr, nous ne pouvions pas exposer les femmes dans les territoires occupés, mais nous avons parlé avec celles qui les soutiennent. J’ai été profondément touchée. Ces femmes restent fortes malgré l’occupation… Elles dessinent un symbole sur leur bras. J’ai alors promis de me le tatouer – pour la vie. Et quelques mois plus tard, une femme m’a rappelé cette promesse. Elle avait raison. Le lendemain matin, je suis allée me le faire tatouer et j’ai partagé la photo.
Un collègue, ambassadeur du Canada en Équateur, m’a dit avoir vu cette photo lors de la Journée de la broderie traditionnelle dans une communauté locale. Ce n’est pas la photo qui compte, mais le message : qui sont les « Zli Mavky » et pourquoi les soutenir. Des femmes en Équateur ont voulu soutenir l’Ukraine à travers elles. Pour certaines, c’est ce mouvement, pour d’autres – autre chose. Mais il est important de raconter les histoires ukrainiennes – par les livres, les films, les témoignages.
LES CANADIENS ORDINAIRES SOUTIENNENT L’UKRAINE, AU-DELÀ DE LEUR GOUVERNEMENT
– La plupart des politiciens étrangers en visite en Ukraine parlent de la résilience des Ukrainiens. Mais ici, on sait que cette résilience dépend d’un soutien prévisible et durable. Merci donc au gouvernement canadien pour ce soutien.
– Merci à vous ! Je voudrais aussi souligner le rôle de nombreux Canadiens ordinaires. Beaucoup ont créé des ONG pour aider l’Ukraine. Par exemple, Maple Hope Foundation soutient les femmes ayant perdu des enfants au front. Elles s’organisent pour soutenir d’autres femmes. Certaines suivent des formations pour devenir psychologues.
Il y a aussi Mriya Aid, qui forme des démineurs et offre d’autres soutiens. Le Fonds canado-ukrainien envoie des médecins canadiens travailler aux côtés des Ukrainiens. Il faut également mentionner le Congrès ukraino-canadien, les Invictus Games, le SUSK, et Plast Canada. Et ce ne sont pas seulement les Canadiens d’origine ukrainienne qui aident. Je vois aussi des pompiers canadiens venir former leurs collègues ukrainiens, souvent pendant leurs vacances. Des chiens canadiens sont même envoyés pour l’entraînement de chiens d’assistance.
Je voulais conclure là-dessus : l’aide ne vient pas uniquement du gouvernement, bien qu’il joue un rôle crucial. Ce sont aussi les Canadiens eux-mêmes. Et cela vient du fait qu’ils ont rencontré des Ukrainiens arrivés après 2022. Ces rencontres les ont transformés. Le Canada et les Canadiens sont aux côtés de l’Ukraine.
Slava Ukraini !
– Heroiam slava !