Avdiivka 9 ans après le début de la guerre : pas de maison intacte, des corps sous les décombres, un seul enfant dans la ville

Avdiivka 9 ans après le début de la guerre : pas de maison intacte, des corps sous les décombres, un seul enfant dans la ville

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Ukrinform
Les gens s'y approvisionnent déjà en bois de chauffage pour l'hiver prochain

Je ne sais pas comment était Avdiivka autrefois, avant la guerre. Il se trouve que j'ai visité l'endroit pour la première fois alors qu'il ne restait plus une seule maison intacte en ville et que les rues étaient presque désertes.

Nous sommes arrivés accompagnés de soldats de la 53e brigade mécanisée séparée Prince Volodymyr Monomakh. Ils défendent les abords d'Avdiivka et repoussent les Russes qui couvrent littéralement la région de Donetsk de missiles et de bombes aériennes, achevant la zone par des tirs d'artillerie.

À l'entrée d'Avdiivka, le drapeau ukrainien flotte fièrement à côté d'une effigie de Poutine. Nous entrons dans la ville au pas de course en entendant de multiples explosions, auxquelles on s'habitue au bout d'un moment parce qu'elles ne s'arrêtent littéralement jamais.

Nous sommes arrivés dans la rue que beaucoup connaissent pour son « Allée des peintures murales ». En 2021, des artistes célèbres de Kyiv, d'Odessa, de Kharkiv et de la région d'Ivano-Frankivsk ont réalisé une série de fresques sur les façades des immeubles. La plupart de ces peintures murales ont survécu, contrairement aux immeubles, sous les décombres desquels des corps de résidents locaux restent toujours...

POURQUOI LES CORPS NE SONT PAS RETIRÉS DES RUINES

Les premières minutes de notre visite ont été un peu inquiétantes : il faisait beau et chaud, on entendait le chant des oiseaux, et en même temps, il n'y avait personne dans les rues. Il n'y avait même pas un soupçon de vie.

Nous avons eu de la chance car l'équipe de police nommé « Ange blanc » est entrée dans l'une des cours. Il s'agit d'une unité spéciale qui évacue les gens, fournit de l'aide humanitaire, des matériaux de construction et de la nourriture.

« Actuellement, il reste un enfant dans la ville, un garçon de 12 ans, dont les parents le cachent pour éviter qu'il ne soit évacué. Nous faisons tout notre possible pour le retrouver. Sa mère a également des enfants plus âgés : une fille vit à Pokrovsk, l'autre à Dnipro. Nous lui montrons leurs vidéos pour la persuader de nous laisser évacuer l'enfant, mais elle refuse catégoriquement. Il y a beaucoup d'appartements abandonnés en ville et il est difficile de comprendre où ils se cachent exactement. Leur propre maison est également abandonnée », explique Guennadiy Yudine, responsable de l'application de la loi.

Guennadiy Yudine

Les gens appellent le numéro vert de l'unité spéciale pour demander une évacuation. Par exemple, ce jour-là (5 mai), la police a emmené trois personnes à Pokrovsk, puis l'administration militaire les a transférées dans un train d'évacuation qui les a emmenées à Ouman ou Berdychiv.

« En mars, il restait 2000 personnes en ville (avant l'invasion à grande échelle, la population était de 41 000 habitants – ndlr), et maintenant, selon les estimations de l'administration militaire de la ville, il reste 1760 personnes », ajoute M. Yudine.

Il note que la situation dans la région s'est aggravée depuis la fin du mois de février, lorsque les Russes ont commencé à larguer des bombes et des missiles guidés sur la ville. Ils provoquent d'énormes destructions.

« Ils frappent des immeubles d'habitation. D'après nos calculs, il reste trois corps sous les décombres. Il est impossible de les récupérer parce qu'il n'y a pas d'engins de chantier dans la zone et il n'y a rien pour soulever les dalles de béton. Aujourd'hui, on nous a dit que les voisins avaient trouvé sous les décombres le corps d'un employé de notre service public, un électricien. Il y a une semaine, il y a eu un nouveau bombardement et un projectile a touché le bureau des électriciens, où se trouvait cette homme », précise le responsable de l'application de la loi.

Nous n'avons pas eu beaucoup de temps pour parler, car l'équipe de l'Ange blanc doit faire le tour de la ville pendant la journée et, si des habitants décident finalement d'évacuer, ils les transportent vers un endroit plus sûr.

ANNIVERSAIRE

Alors que nous photographions des maisons mutilées, nous voyons deux femmes marchant dans la rue, engagées dans une discussion animée. Dès le début de notre travail à Avdiivka, nous avions été prévenus que les gens ici, pour ne pas dire plus, n'étaient pas disposés à parler aux journalistes. J'ai gardé cela à l'esprit, mais j'ai tout de même décidé de prendre un risque et de m'adresser à ces femmes. Elles ne voulaient absolument pas être photographiées, mais elles ont accepté de parler.

« Nous vivons au sous-sol. Nous l'avons aménagé nous-mêmes. Dieu merci, le magasin est ouvert. Nous avons acheté un gâteau, c'est l'anniversaire de notre amie, alors nous allons la féliciter », explique la femme plus âgée, qui se fait appeler Svitlana.

Je leur demande si elles veulent évacuer. Elles me répondent :

« Mais où aller ? Est-ce que quelqu'un nous attend quelque part ? Si on nous avait dit que nous devions partir pour deux semaines, nous serions partis, mais ça fait neuf ans que ça dure et ça ne semble pas vouloir s'arrêter. Des missiles passent régulièrement, deux fois par jour. Voici un immeuble sans entrée, il a été touché la semaine dernière. La femme est restée là, sous les décombres, et personne ne l'a dégagée. Le même jour, un autre bâtiment de cinq étages a été touché par un missile. Une personne a été récupérée, l'autre non », répond Svitlana.

Une autre femme s'appelle Angela. Elle est aide-soignante dans un hôpital local. En fait, elle vit là parce que sa maison a été directement touchée par un missile.

Les femmes disent qu'il n'y a pas de signal mobile partout, mais qu'un magasin est ouvert, qu'elles puisent l'eau dans des puits, que l'électricité provient d'un générateur et qu'elles cuisinent sur des poêles à bois. Elles s'informent à la radio ou auprès de leurs proches.

« Dans notre immeuble, il y a huit entrées et seulement huit personnes y vivent. Dans l’immeuble voisin, il y a quatre personnes, il y a des immeubles où il n'y a pas une seule personne, bien qu'il y ait une maison où il y a encore 15 personnes. Ceux qui ont de l'argent ont quitté les lieux et ceux qui n'en ont pas sont restés. J'ai donné ma carte bancaire à ma fille pour l'aider à louer un appartement », ajoute Svitlana.

C'ÉTAIT UNE VILLE COOL, ET MAINTENANT C'EST TERRIBLE À VIVRE

Dans une rue parallèle, nous voyons plusieurs personnes transportant de l'eau dans des bouteilles en plastique. À l'entrée de leur maison, du bois sèche au soleil, des femmes nettoient l'endroit,

« Nos balcons étaient abîmés, mais nous avons tout nettoyé. Le 13 mars, une onde de choc a endommagé l’immeuble. En l'absence de tout signe de civilisation, nous n'avons qu'un petit poêle que nous avons installé fin décembre. Nous l'avons allumé pour la première fois le 24 décembre. Il faut beaucoup de bois de chauffage, mais nous ne l'utilisons plus que pour chauffer ou cuire des aliments, et c'est tout. Heureusement, l'hiver a été chaud », raconte Rita.

Elle habite avec son fils, Oleksandre. Ils disent qu'ils ne veulent aller nulle part, bien qu'ils aient de la famille qui vit dans une communauté située à 60 km d'Avdiivka.

« Nous entendons cette guerre depuis 2014. Il y a eu une période de calme, les gens ont reconstruit leurs maisons petit à petit. Mais ce qui se passe aujourd'hui n'a jamais été vu auparavant. Chaque maison a été touchée au moins une fois. Notre toit a été incendié deux fois. Nous ne nous cachons même pas. Où se cacher ? Lorsque nous entendons des sifflements provenant de la RPD, nous restons dans le couloir et nous attendons », explique Oleksandre.

Les gens montrent un immeuble voisin, qui a été brisé en deux par un tir de missile, et dont il ne reste presque rien des appartements. Sous les décombres se trouve le corps d'une femme. Il n'y a aucun moyen de la sortir de là.

Rita et Oleksandre vivent au rez-de-chaussée, leur voisin habite au troisième étage. Les gens ramassent déjà du bois pour l'hiver prochain et font des réserves d'eau.

Un peu plus loin dans la rue, nous trouvons l'épicerie déjà légendaire. Légendaire parce qu'elle a été citée par tous nos interlocuteurs. Nous sommes donc entrés. Il y avait une petite file d'attente, les vitrines étaient éclairées, les réfrigérateurs étaient pleins de nourriture et fonctionnaient car le générateur était en marche. Ici, on peut tout acheter : du pain aux piles.

 « Ne prenez pas de photos des gens, mais des vitrines ou des prix – filmez autant que vous le souhaitez », souligne l'entrepreneur Oleksiy Mykolayovych.

D'après ses observations, le nombre d'acheteurs a diminué récemment. Ce sont surtout les personnes âgées qui viennent.

« J'ai travaillé dans une mine à Donetsk. Je suis né ici, j'ai étudié ici et j'ai toujours vécu ici. Notre ville était magnifique. Nous étions cool dans tous les sens du terme. Douze minutes pour arriver à Donetsk. Jamais je n'aurais pensé qu'une telle chose puisse arriver. Nous pensions que le pire était en 2016, mais non. Les LRM Grad, les mines... mais ce n'est même pas le pire... comparé aux missiles et aux bombes », note-t-il.

LOGEMENT : DÉTRUIT, FENÊTRES BRISÉES, MAIS C'EST TOUJOURS LE NÔTRE

Alors que nous nous apprêtions à quitter la ville, nous avons vu un immeuble dont les entrées avaient été détruites et brûlées, mais plusieurs personnes y vivaient encore. L'un des hommes nous a crié dessus, nous avertissant que nous ne pouvions pas le photographier. Il a affirmé que cela pourrait conduire à une frappe sur l'endroit. Nous n'avons pas discuté et l’avons assuré que les frappes ne dépendaient pas de notre travail. Quelques minutes plus tard, l'homme nous a parlé à nouveau, nous proposant de nous montrer sa « nouvelle vie », comme il l'a dit.

« Voici ma chatte Ksyucha et son chaton roux. Elle a accouché il n'y a pas longtemps. Je les emmène au soleil et je les ramène ensuite à la maison. Notre immeuble a été touché deux fois : la première fois en juillet, et la seconde fois en octobre, et il y a eu un incendie. Les deux fois, c'était des Grad, les deux fois quand les gens étaient à la maison », dit-il.

L'homme nous propose de rester en ville pendant au moins une semaine pour voir ce que c'est que de vivre dans un immeuble qui tremble à cause des attaques de missiles. Il ajoute qu'il n'y a nulle part où se cacher ici. Les gens ne veulent pas vraiment descendre dans les sous-sols après qu'une femme a été coinsée dans l'un d'eux à la suite d'une attaque et que personne n'a pu la sortir de là.

Il dit qu'il n'a pas vu sa famille au cours des huit derniers mois, mais seulement en ligne. En guise d'adieu, il m'a embrassé la main et m'a dit : « Notre logement est ici : il est détruit, les fenêtres sont brisées, mais c'est toujours le nôtre ».

Olga Zvonariova

Photos : Dmytro Smolienko


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