La Milice populaire : une aide pour les forces de l’ordre ou une nouvelle menace à l’ordre public ?

La Milice populaire : une aide pour les forces de l’ordre ou une nouvelle menace à l’ordre public ?

Ukrinform
«La prestation de serment de la Milice populaire», un événement organisé par le «Corps national» s'est tenue dimanche dernier à Kyiv .

Après la prestation de serment, dirigée par Andriy Biletsky en personne, la «milice», forte ce jour là d'environ 600 membres, a défilé sur l'avenue Khrechtchatik, ses représentants portant un uniforme sombre et, pour un certain nombre d'entre eux, des masques dissimulant leur visage. Une vidéo du défilé, publiée sur la page facebook officielle du «Corps national» donne le ton pour les missions à venir pour cette milice populaire : «Nous sommes nombreux. Nous n’avons pas peur d’employer la force pour rétablir l’ordre dans les rues ukrainiennes».

Ukrinform a essayé de comprendre qui sont ces «miliciens».

Le site officiel de la «Milice nationale»

Le site officiel ne contient en réalité aucune information importante. La seule chose indiquée est que la «Milice nationale» est une formation d’unités de bénévoles, dont l’objectif est d’assurer l’ordre dans les rues des villes ukrainiennes. Elle est composée d’anciens vétérans et de jeunes patriotes. L’inscription dans les rangs de l’organisation peut se faire direcement via le site internet. Parmi les renseignements traditionnels à compléter, une première surprise : le candidat potentiel possède t-il une arme légale ?

Selon la carte de l’Ukraine publiée sur le site (ci-dessus), des unités de la «Milice» ont déjà été formées à Kyiv, Tchernivtsi, Loutsk, Ivano-Frankivsk, Vinnytsia, Zhytomir, Tcherkassy, Tchernygiv, Poltava, Dnipro, Kharkiv, Zaporijjya et....Louhansk, mais selon le Registre national des organisations publiques ukrainiennes, il n'existe pour l'instan que deux organisations «Milices nationales», dont l’une est enregistrée à Kyiv ( Code 41356521) et l’autre à Zaporijjya (Code 41662420).

Le commandant de l’organisation est Igor Mikhaylenko, surnommé «Tcherkass». Ancien commandant du régiment «Azov», son nom a également été cité dans une enquête préliminaire sur le braquage de la banque «OchtchadBanque» le 15 juillet 2016 dans la région de Zaporijjya.

Légalité, Financement et droit de porter une arme

En plus de sa propre charte régissant son fonctionnement interne; la milice se base sur de nombreux textes de lois pour justifier son existence et ses actions, notamment la Constitution ukrainienne et particulièrement la loi portant « sur la participation des citoyens à la protection de l'ordre public et de la frontière de l'État », mais également sur plusieurs autres textes et décrets comme les Actes du Président de l'Ukraine et du Conseil des ministres de l'Ukraine, les législations des administrations publiques locales et l'autonomie locale sur la protection de l'ordre public et la lutte contre les infractions pénales et administratives, ainsi que la charte de formation.

Le règlement de la milice nationale de Volyn (Nord-ouest de l'Ukraine) est disponible sur le registre en ligne des administrations publiques en ligne la formation publique «Milices nationales". Dans ce document, nous avons identifié trois des aspects les plus sensibles pour la société : la légitimité de ces organisations, les sources de financement, ainsi que le droit de posséder des armes à feu

1.La légitimité de la «Milice».

La formation est créée (...) pour aider les autorités locales, les forces de l'ordre, les autorités exécutives (...) à prévenir et réprimer les infractions pénales et administratives, protéger la vie et la santé des citoyens, protéger la société et l'État contre les attaques illégales ...

Ivan Vartchenko, conseiller du ministre de l’Intérieur, est persuadé que l’activité des agents de la «Milice» est légale, mais note qu’elle doit être coordonnée avec les forces de l’ordre:

«C’est tout à fait légal. Cependant ils n’ont pas le droit de remplir certaines prérogatives qui restent exclusives à la police. Ils ne peuvent pas, par exemple, demander aux citoyens de présenter leurs documents, arrêter les moyens de transport, ou procéder à des fouilles etc».

2. Les sources de financement.

L’organisation affirme qu’elle existe grâce à des fonds provenant des budgets locaux, aux frais d'adhésion, à des contributions volontaires des personnes morales et de particuliers, ainsi que grâce à d'autres sources de financement autorisées par la loi. En ce qui concerne les miliciens, Roman Tchernychev, porte-parole du «Corps national», affirme qu’ils subviennent à leurs besoins eux –mêmes, et ce jusqu'au financement de leur propre uniforme.

Tchernychev évoque cependant des dons provenant du milieu des affaires :

«Il existe un mouvement Azov uni qui comprend plusieurs organisations, le parti politique, le «Corps national» et beaucoup d’autres organisations et fonds publics. Et nous sommes soutenus par beaucoup de personnes, beaucoup de représentants du monde des affaires dans toute l’Ukraine».

3. Le droit de posséder des armes à feu.

Il est interdit aux membres de la milice d'utiliser des armes blanches et des armes à feu, y compris les armes de chasse qui, conformément à la législation, sont destinées à leur seul usage personnel. Certaines nuances existent néanmoins; notamment en ce qui concerne le droit d'appliquer des mesures de contrainte physique, de posséder des équipements de protection individuelle spéciaux et de légitime défense, d’utiliser des substances lacrymogènes et irritantes, mais dans le respect des cas et de la manière prescrits par la loi. «Nous n'avons pas d'armes et nous ne sommes pas policiers ou militaires, mais nous coopérons avec la police», a ajouté le porte –parole du «Corps national».

De manière générale, les bases juridiques, les sources de financement et la limitation d'usage de la violence (avec ou sans armes) apparaissent donc comme plutôt claires et encadrées. Cela n'empêche cependant pas la légitimité des questions qui se posent concernant d'éventuels motifs cachés et les réels objectifs liés à la création de telles «Milices».

Bohdan Yeremenko, politologue, président de l’ONG «Maidan des Affaires Étrangères»:

Богдан Яременко / Фото: Владимир Тарасов, Юрий Ильенко, Укринформ

«Les unités paramilitaires dans ces conditions de radicalisation de la société sont une chose très dangereuse» .

«Il faut saluer toute initiative publique, mais seulement si nous savons qui est à l'origine de cette initiative, dans quel but, et la façon dont elle est financée. Comme il existe beaucoup de rumeurs, de ragots, de spéculations autour de la «Milice populaire», auxquelles il n’y a aucune réponse claire et précise, cela provoque certainement de l'excitation et de la méfiance. Et si ces réponses ne viennent pas, alors il ne s’agit pas d’une initiative qui vient d'en bas, des citoyens, mais d'un nouveau jeu de politiciens ukrainiens qui essaient de mobiliser des forces plus radicales, de créer des formations paramilitaires dans une situation de radicalisation de la société. Et dans ce cas, alors c'est une tendance très dangereuse».

Vadym Karasev, politologue, directeur de l’Institut des stratégies globales:

«C’est une démonstration de force pour montrer qui contrôle la rue»

«Comment la Milice nationale peut-elle assurer l’ordre et la sécurité dans les rues ? C’est le rôle de la Police nationale et des patrouilles de police. Est-ce que cela signifie que la réforme de la Police nationale a échoué car elle n’arrive pas à assurer l’ordre public? C’est le travail des forces de l’ordre légales, officielles, légalisées du point de vue juridique et législatif.

Quel est alors le rôle de la «Milice»? Je n’exclus pas qu’il puisse s’agir d’une démonstration de force pour montrer qui contrôle la rue; car la rue est un sujets politiques important dans le pays. Le mécontentement social est assez élevé. Rappelons-nous de Mikhael Saakachvili devenu un leader de l’opposition de rue et qui l'a de-facto réanimée comme un sujet politique. Pour rendre impossible tout rassemblement de protestation, il suffit d’activer ces «Milices  nationales», sous prétexte de maintenir l'ordre. Deuxièmement, il est important pour les autorités aujourd'hui, comme il y a deux - trois ans après les événements du Maïdan, de contrôler la partie radicale de la manifestation, afin que son énergie ne se retourne pas contre eux».

Zoryan Chkiryak, adjoint du ministre de l’Intérieur:

Зорян Шкиряк

«À l’avenir, ces formations peuvent être utilisées pour des provocations»

«En fait, je suis un peu inquiet à propos de ces choses. D'abord et avant tout que les Milices nationales ne soient utilisées pour des provocations. Si c'est pour le bien, alors, bien sûr, je suis tout à fait «pour». Mais, malheureusement, les tristes pratiques de ces dernières années nous ont montré à plusieurs reprises que certaines formations, y compris publiques, étaient utilisées pour des choses pas vraiment bonnes».

Olexandre Koutchetkov, politologue:

«Nous nous éloignons de plus en plus de cette Ukraine démocratique, dont l’Euromaidan rêvait».

«Comme tous nos dirigeants, Arsen Avakov n’aucune intention de quitter le gouvernement. Il a donc décidé de devenir tellement influent qu’aucun pouvoir ne pourra exister sans lui. Aujourd’hui, Avakov maintient sous son contrôle une des principales institutions de la force. C’est une figure clé au sein du Front populaire, un des composants de la coalition au pouvoir, mais cela ne lui suffit pas. C’est la raison pour laquelle Avakov ayant des ressources très larges, s’approprie de manière totalement pragmatique le champ politique et paramilitaire. A gauche, il y a des socialistes, avec son adjoint Illya Kiva. À droite, il y a «Azov» avec Biletsky. M. Avakov a décidé de muscler maintenant son flanc droit à l'aide de la «Milice nationale». Je suis convaincu que ces soi-disant «combattants», comme ils se surnomment, n'hésiteront pas à utiliser la force contre ceux que l'on leur indiquera. Arsen Avakov est en train de construire un système tel que tout président légalement élu aura besoin de son soutien pour entrer dans le cabinet de la Bankova. Et peu importe qui sera à la tête du pays après les élections de 2019, il sera obligé de coopérer avec Avakov. Donc, d’une manière ou de l’autre, il entrera dans le nouveau pouvoir. Malheureusement, chacun de ces pas nous éloignent de plus en plus de cette Ukraine démocratique dont l’Euromaidan rêvait ».

Victor Tchoumak, député ukrainien, général de justice en réserve

«Andriy Biletsky, tout comme Arsen Avakov, a une influence sur ces personnes»

«Dans les conditions de la guerre, dans les conditions d’une crise compliquée et globale: politique, économique, financière, humanitaire, nous devons faire face à une radicalisation importante de la société. Il est très important d’établir des limites pour les citoyens dans leurs manifestations sociales. Andriy Biletsky a une influence assez importante. Et c’est lui-même qui le dit. S'il coopère avec le ministère de l'Intérieur, le ministre Avakov bénéficiera probablement de la même influence. Je pense que ces gens sont conscients de leur responsabilité devant les citoyens et le pays».

Myroslav Liskovitch

Photo Volodymyr Tarasov


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